Le "Swing"

Un style de musique envoûtait la ville. Le "Swing" qu'ils l'appelaient. Je sortais d'un de ces bars branchés dans le grand renommé Time Square, New York. Le Jazz résonnait encore dans mes oreilles et je marchais en mettant ce léger rythme dans mes pas. 

J'avais peut-être, sûrement un peu trop bu, ce qui me penchait d'autant plus sur la musique. Comme lorsqu'on plonge notre oreille au creux d'un coquillage et qu'on entend la mer. Je ressentais chaque note qui épousait parfaitement mon état actuel. 

La légèreté des mots, des maux en plaisance, une mélodie qui s'embrase. Un blues mêlé à l'improvisation, ainsi qu'une incontrôlable envie de danser. De bouger mes pieds dans tous les sens suivant le rythme.

Il y avait une catin de l'autre côté de la rue. Elle était bien amochée. Son t-shirt était déchiré et sa jupe était chiffonnée de toutes parts. J'étais allée la voir

-Comment tu t'appelles ? 
-J'ai fini mon service pour ce soir. Tu peux aller voir Jane, elle aime bien les femmes, elle est pas trop cher. 
-Regarde-moi bien, est-ce que j'ai l'air d'avoir besoin d'une putain ? Non. Qu'est-ce qui t'es arrivée ? Pourquoi t'es pareillement dévêtue ?
-On m'a tant jugée que je n'en ai plus rien à foutre. Pourquoi mon mascara coule ? Pourquoi suis-je dans un état pitoyable ? Mais j'arrive plus à vivre. Pourquoi continuer à vivre dans de conditions pareilles ? Est-ce humain de se faire payer pour assouvir leurs besoins à des hommes ignobles ? 

Le swing émanait parfaitement de cette femme. Ce blues improvisé. Tenter de garder l'apparence et de danser alors que la fragilité reprend sans cesse le dessus. Boire maints et maints verres dans des bars réservés aux hommes. Elle était l'exception. Et je l'étais aussi.

L'exception d'une femme qui avait tout et qui a fini par partir en vrilles. Ça ne m'aurait pas étonnée de la voir en tête d'un journal pour cause de décès, la pute de Times Square. Et pourtant, je le voyais bien dans le fond de ses yeux qu'il restait quelque chose. Un petit truc qui laissait croire qu'elle voulait être sauvée. Que l'espoir était la seule chose à laquelle elle s'accrochait chaque fois qu'elle se faisait prendre en espérant que ça soit son dernier racolage. 

Moi à côté j'avais tout. Comment m'étais-je retrouvée en face d'une femme aussi indigne ? L'alcool, on peut toujours tout camoufler avec l'alcool. Alors je lui avais offert un verre pour qu'on discute un peu. De tout et de rien, des marches du bar et de l'ambiance tamisée. L'alcool qu'on avait à foison éreintait la gêne entre nos deux personnes tant différentes l'une de l'autre à première vue. 

Au final, je m'étais rendue compte que nous n'étions pas tellement différentes. La vie laisse bien des surprises à chacun. Des contretemps, des épreuves, ce blues lorsqu'on sort en ville. Elle laisse tellement de beaux côtés comme de mauvais. Je me suis rendue compte ce soir-là que tout ceci n'est qu'un juste milieu, rien de plus.

Que j'aurais pu me retrouver à sa place tout compte fait. Que j'étais également dans ces bars parce que la solitude m'envahissait. Qu'au final c'était cet état d'esprit qui nous avait réunies. Qu'on attendait de voir une main tendue vers nous pour finalement nous sauver.

C'était ce soir-là que je m'étais rendue compte que la musique était bien plus qu'une mélodie et des notes, c'était un ressenti. Un état d'esprit et le Jazz, Swing relataient plus du blues qu'autre chose. De ce blues qui nous avait enivrées.