Le syndrome "My Major Company" touche aussi le livre
pierredurtal
Il y a une éternité de ça, en 2005, la planète musicale s’extasiait toute entière de la réussite d’un petit groupe de rock issu de Sheffield, en Angleterre, The Arctic Monkeys qui, grâce à sa page Myspace, s’était retrouvé propulsé numéro un des hits parades.
Par le biais d’internet et d’un bouche à oreille savamment orchestré, ces quatre là avaient réussi à percer, sans passer d’abord par une maison de disque.
Il y en eu d’autres qui suivirent le même chemin (comme la chanteuse Lily Allen), puis bientôt la formule évolua et l’on vit éclore sur le web des plateformes proposant aux internautes de miser de l’argent sur des artistes en devenir, moyennant un intéressement sur les ventes futures. Citons à titre d’exemple l’allemand Sellaband ou le français My Major Company, à qui l’on doit l’énorme succès du chanteur Grégoire.
On sent bien derrière tout ça aussi l’influence de la télé réalité et des émissions du type Star Academy, qui ont donné au public le goût sinon de décider, du moins de participer à la carrière d’un artiste (ou d’en avoir l’illusion…).
On pouvait s’étonner de ne rien voir venir dans le domaine du livre. Quatre sites proposent aujourd’hui aux lecteurs de devenir « éditeurs » à leur tour.
Le premier à se lancer dans l’aventure, Les Nouveaux Auteurs, adossé au groupe Prisma Presse, propose aux internautes de former le comité de lecture de la maison d’édition, et, de par leur vote, de permettre aux auteurs ayant atteint une certaine note, de se voir publiés.
Lancé à grand renfort de publicité, et avec le parrainage de Paolo Coelho, les premiers titres ont connu un succès certain.
Passé le phénomène de nouveauté, on remarque cependant que les ventes des derniers livres ainsi édités ne sont pas forcément toujours très bonnes.
Plus proches de l’esprit My Major Company, Sandawe, Éditeurs et Auteurs Associés et My Major Company books (sic), proposent aux visiteurs de leurs sites d’investir financièrement sur de futurs ouvrages.
Chez Éditeurs et Auteurs Associés, branche des éditions Alphée, les livres étaient pré-sélectionnés et assurés d’être publiés. Simplement, en achetant des parts (de une à cinquante maximum, pour un total de mille par livre), vous deveniez « co-éditeur ». Vous étiez par exemple consultés sur l’argumentaire et la couverture du livre, et, en cas de succès, vous touchiez une participation sur les ventes. Le projet était séduisant, d’autant que derrière Alphée il y avait Jean-Paul Bertrand, ancien des Éditions du Rocher, avec plusieurs succès à son actif.
Malheureusement, l’expérience fut peu concluante, avec des mises très faibles (moins de 2000 euros pour le meilleur, quand le coût estimé pour l’édition était de… 24000 euros !). Cinq romans sont ainsi sortis en librairie, mais là encore, il n’y a pas eu de curiosité particulière de la part du public, et les ventes furent relativement faibles. Enfin, depuis le 11 janvier 2011, une brève publiée sur le site informe les prétendants auteurs et éditeurs qu’avec « le récent changement de direction des éditions Alphée, la collection Editeurs et Auteurs Associés ne se développe pas plus pour le moment ». De là à dire que l’affaire a tourné court…
Le constat est bien meilleur chez Sandawe, spécialisé dans la bande dessinée, qui pour l’instant a réussi à réunir les fonds nécessaires à l’édition de trois albums, prochainement disponibles en librairie. Adossé à une distribution Hachette, l’entreprise s’est dotée des moyens de son ambition.
Si Patrick Pinchart, ancien de chez Dupuis et à l’origine du projet, peut s’enorgueillir de ces premiers succès, la partie n’est pas encore gagnée, puisqu’il faut compter entre 19000 et 50000 euros pour publier un album de bande dessinée et seuls deux nouveaux projets comptabilisent pour le moment plus de 15000 € de participations.
Chez My Major Company Books, sorte de joint-venture entre le label de disque éponyme et la maison d’édition XO, il s’agit de miser 20000 € sur un livre pour voir son poulain dans les librairies. Mais à bien y regarder, le concept n’est somme toute qu’un alibi visant uniquement à lancer de nouveaux best sellers en capitalisant sur la tendance du moment. A cet égard, je vous conseille vivement la lecture de l’article d’Élisabeth Philippe sur Rue89 : la littérature façon Star Ac’ de My Major Company Books, paru il y a quelques mois mais qui reste toujours d’actualité.
A la différence de ce qui s’est produit pour la musique, où les majors du disque, désemparés devant l’effondrement du marché du cd, ont eut tôt fait de rebondir sur le phénomène participatif (My Major Company s’est ainsi associé avec Warner Music), dans le livre les éditeurs dans leur grande majorité ne semblent pas porter grand intérêt au phénomène. Il est vrai que le marché est différent, plus équilibré, et que, hormis le phénomène de mode, l’intérêt financier pour une grande maison est aujourd’hui tout à fait relatif.
L’arrivée du livre numérique dont on prédit l’envol pour cette année peut-il changer la donne ? Personne ne le sait véritablement, mais il apparaît de plus en plus probable que les auteurs établis seront rapidement moins dépendants de leurs éditeurs, et en capacité de distribuer eux-mêmes leurs œuvres. Il faudra sans doute alors pour certains se tourner vers le net pour toucher de nouveaux acheteurs…
Très intéressant.Merci.
· Il y a presque 14 ans ·Marcel Alalof
Très instructif, éclairant et juste. Restons le plus intègre possible face à la marchandisation de la culture.
· Il y a presque 14 ans ·Lézard Des Dunes