Le trésor du roi Bav'Ohar
alcala
Comme tous les enfants de sa cité, Jackson avait appris à voler dès l'âge de 5 ans. Toutes les villes flottaient dans le ciel, et pour passer de l'une à l'autre, les habitants se servaient d'une paire d'ailes en plumes d'oies qu'ils attachaient à leurs bras. Il suffisait de quelques battements et d'un peu de contrôle pour décoller et voler haut dans le ciel.
Jackson maîtrisait la technique depuis plusieurs mois, si bien que pour le tester, son père lui demanda de voler de ville en ville à la recherche d'un trésor inestimable, un trésor qu'aucun homme ne possédait, et que tout homme aimerait avoir. Il ne devait pas revenir sans l'avoir trouver.
Le petit garçon avait déjà visité des centaines de villes, mais aucune ne cachait de trésor. De l'or, il en avait trouvé, mais beaucoup d'hommes en possédaient déjà. Du pétrole, il en avait découvert, mais personne n'en voulait ; l'électricité était fabriquée par des éoliennes.
Jackson commençait à se demander s'il trouverait le trésor que lui avait commandé son père. Il pensa faire demi-tour pour rentrer chez lui et avouer son échec, lorsqu'il distingua une nouvelle ville volante qu'il n'avait pas encore visité. Avant de s'en aller, pourquoi ne pas tenter une dernière fois sa chance avec celle-ci ?
Il se posa sur le toit d'une maison pour observer la cité dans son ensemble. Au lieu de routes, de l'eau verdâtre circulait entre les habitations, et des nénuphars permettaient de traverser. Un grand temple en bois de bambou dominait la ville, alors Jackson s'y rendit pensant pouvoir y trouver le trésor qu'il cherchait.
Lorsqu'il atterrit sur un nénuphar, une dizaine de crapauds sortirent de l'eau et l'encerclèrent. Ils portaient tous des lances et des boucliers en bois.
— Coooaassss ! Coooaassss ! fit l'un d'eux. Tu es dans la ville des crapauds, et les crapauds n'acceptent pas les humains. Tu n'as rien à faire ici ! Coooaassss ! Coooaassss ! Nous t'arrêtons et t'emmenons devant notre roi.
Le petit garçon n'eut pas le temps de répondre que déjà les soldats crapauds l'attachèrent avec de longues tiges vertes. Ils le trainèrent dans le temple jusque dans la salle principale où un crapaud plus petit et plus maigre que les autres trônait sur un grand coffre en bois. Il était coiffé d'une couronne d'or à l'étoffe rouge, il portait une longue cape de la même couleur, et au bout de ses doigts visqueux se trouvait un sceptre d'or sertit d'une centaine de rubis.
— Crrrôôaaaa ! gronda le crapaud. Je suis Bav'Ohar, le roi des crapauds. Que viens-tu faire ici, petit humain, ne sais-tu pas que cette cité est fermée aux étrangers ? Cela a toujours été ainsi, depuis des millénaires ; telle est notre loi. Crrrôôaaaa !
Le petit garçon n'était nullement effrayé par le roi crapaud qui était bien plus petit que lui. C'est donc avec assurance qu'il lui présenta l'objet de son voyage.
— Je suis à la recherche d'un trésor pour mon père. Ce doit être quelque chose qu'aucun homme ne possède, et que tout homme aimerait avoir. Je ne l'ai toujours pas trouvé, et cette ville est ma dernière chance.
Le roi crapaud se gratta le menton, bava, puis se gratta la tête.
— Crrrôôaaaa ! Voilà une mission bien difficile. Mais je crrrôôaaaa avoir quelque chose qui pourrait t'intéresser.
Bav'Ohar sauta de son coffre, l'ouvrit, fouilla à l'intérieur, et en sorti un dé. Ce dé possédait mille faces transparentes qui scintillaient à la lueur des chandelles.
— Crrrôôaaaa ! reprit le crapaud. Prends ce dé magique, je n'en ai plus besoin. Chacune de ses faces raconte une histoire unique, et je les connais toutes par cœur. Voici mille récits qui retracent la vie de mille personnes. Chaque fois que tu prendras connaissance d'une histoire, tu gagneras une expérience. Crrrôôaaaa-moi, malheureux est celui qui ignore les contes. Il ne mène que sa seule vie et manque d'innombrables destins. Voilà un dé qu'aucun homme ne possède, et que tout homme aimerait avoir. Crrrôôaaaa !
Jackson accepta le cadeau du roi crapaud. Il repartit de la cité le cœur léger avec la certitude que son père le féliciterait ; il n'y avait pas plus beau trésor que l'histoire de mille personnages, de mille vies, et de mille rêves.