Le verre à dent

Al Prubray

Il se lave les mains. Il a soif, la moiteur...Septembre et toujours cette chaleur.....

Le verre à dent



Il se lave les mains. Il a soif, la moiteur...Septembre et toujours cette chaleur.....

Elle est là, le même regard, mais rien n'y reste. Les mêmes mains mais rien ne reste de ce qu'elle a fait, les même yeux ou presque, juste un peu ternis.

Tout s'évapore aussi sûrement que l'eau de la fontaine, en bas, qui murmure et «  fait comme un dôme », ça c'est elle qui l'a dit. Une tuyère d'arrosage , en somme,en guise de fontaine...


Mais même ça, quand ils le regardent , c'est beau.

La chambre résonne, impersonnelle.Pas de passé.Et l'avenir ?

Il parle. Beaucoup. Il essaie de son mieux, que les réponses soient courtes.Comme il est écrit dans le petit livre bleu et blanc, posé là , sur la table de nuit en formica beige.

C'est comme s'il marchait auprès d'elle, veillait, lui éviter de trébucher.Pourtant elle bute, sur les mots, s'en rend compte, "ce n'est pas exactement ça", elle redit un bout de phrase, il reprend, ou dit « c'est ça », évite de dire non. Il parle du bruit du vent, de la couleur et de la forme des feuilles « en forme de platane », des fleurs, des piliers du balcon qui n'étaient pas là tout à l'heure...

Elle répond quelques mots sensés...Un sourire...un accent...il la retrouve par instants, fugitivement, à travers ces fragments d'elle, comme les morceaux d'un miroir cassé, pense t il.

Puis, à bout d'argument, il prend un album photo. Des images de son enfance lui sautent au visage avec la même force, toujours. Il pense, ça c'était avant, avant le drame 8 ans, 5 ans, 2 ans, 1 an, 6mois, 2 mois....Le visage du père sur la photo se fige peut-être un peu plus que celui des autres, au fil des ans, ou n'est ce qu'un impression ? Voilà une photo, après. Après ... la destruction a commencé.Des photos en aube éclatante, les yeux bouffis de larmes, un pâle sourire forcé. 12 ans, une présence en creux, une absence durement,...Et voilà.

« On descend faire un tour ? »

L'air tiède circule entre les feuillages du patio. Assis là, sur un banc, il lui tient la main qu'elle a saisi, qu'elle agrippe, s'y accroche, comme si ça, on pouvait encore la sauver.

Là, il trouve les mots, les nouvelles à donner :

« Deux ans qu'elle est morte ? Et maman, ça fait longtemps qu'elle est morte ?»

« Ta mère ? »

« Oui. »

Elle est morte avant ma naissance, maman ; j'ai 50 ans »

Elle se plaint alors d'abandon ; et c'est presque alors comme avant, cette amertume, des lueurs de conscience qui affleurent. Il en est presque content, même si ça le peine.

L'enfant joue dans le bassin avec des canards en plastique, des leurres pour la chasse.

« Je crois que ça ne plaît pas aux dames d'en face, ce que fait ton fils »

« Mais maman, elle ne pense pas forcément ce que tu crains qu'elle pense »

« Ah ? bon »

Elle se tait. Maintenant, elle se tait.

Une dame approche , s'assied, puis repart.

« Je n'ai pas dit au revoir à la dame qui était assise là, sur le banc...Tu la connais ...? Tu veux que je te la présente...?Non ...? Tu lui as dit bonjour... ? Vraiment, c'est très malpoli de ta part ! »

Il a l'impression que sa tête va exploser.

Ils remontent vers la chambre.L'enfant pousse le fauteuil.

« Vous avez un brancardier en herbe qui s'occupe bien de vous! » dit une religieuse qui passe.

« Qui me parle ? Ah c'est vous ? Bonjour madame. »

Elle l'appelle, lui, par le nom de son frère, celui qui est mort l'année passée.

« Donne moi ta main. Tu as soif, maman ? »

Il lui verse un jus d'orange dans un gobelet en plastique à fonctions diverses : verre à dents, …

Lui aussi a soif : beaucoup parlé , la chaleur, la fatigue.Il prend le verre à dents, va dans la salle de bains, et le lave au savon, le relave, le ricnce, le relave encore une fois.

Ça ne le satisfait pas. Il a peur, il a soif. C'est encore un enfant, c'est son enfant à elle, encore pour quelques temps, il espère, tant que son âme vacillante comme une chandelle au vent persiste.

Et puis après ? Ça sera à son tour de s'évaporer lentement lui aussi?

Il a peur de boire dans ce verre.Mais dès sa naissance, il a commencé à boire, le sein de sa mère.

Maintenant, il a peur de boire dans son verre, d'attraper lui aussi cette maladie mortelle.

Il repose le verre, embrasse sa mère et part avec son enfant, sans se retourner, surtout pas.

Pas comme l'autre fois, non, pas ça...Elle ne voulait pas le laisser partir.





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