Le vol d'Immortalia (5/5)

perno

Dénouement tragique de l'histoire de Gaelan; en remerciant celles et ceux qui auront pris le temps de lire, et espérant qu'elles et ils auront aimé!

Le Môsomme allait enfin vaincre. Il brandit son terrible sabre pour porter le coup fatal à son adversaire qui avait un genou à terre, incapable du moindre mouvement, et acceptant déjà sa défaite, lorsqu'une lame d'une blancheur éclatante lui transperça le thorax par derrière. Il lâcha son arme, l'air ahuri, puis son regard se porta lentement sur le métal qui se mit à étinceler d'une lumière étrange, presque phosphorescente. Gaelan se souvint avoir été surpris en apercevant les armes des Môsommes. Mais là, quelle beauté, quelle pureté et quelle force se dégageait de cette lame même pas tachée par le sang du blessé. Celui-ci se retourna et regarda incrédule son adversaire inattendu ; Amilda ne s'était pas enfuie, mais s'était approchée furtivement, et, curieusement attirée par le sac que portait leur ennemi, elle avait dénoué la lien de cuir le refermant et découvert une magnifique épée à l'intérieur, le plus bel objet qu'elle avait jamais vu.

Norbrenn était maintenant à genou, tout était perdu, il avait échoué. Les deux humains étaient face à lui, ne sachant que faire. « Allez-y, achevez-moi ; qu'attendez-vous ? » Gaelan frissonna au son de la voix encore puissante et grave de son adversaire, et surtout surpris que ce dernier s'exprime dans la langue des humains, certes avec un accent brutal qui écorchait les mots, mais dans un langage compréhensible. « Je… je… n'ai jamais tué personne… » Sa voix s'étrangla ; lui qui s'était juré de venger son village, maintenant il se tenait là devant son ennemi à terre, et était paralysé, non par la peur, mais par l'horreur à l'idée de prendre la vie. Le jeune Môsomme sembla lire le trouble dans ses yeux. Avec un air d'hésitation, il demanda : « Connaissez-vous cette épée ? »

Le jeune bûcheron sortit de sa torpeur à cette question étrange, alors que son ennemi, au prix d'un gros effort, avait réussi à retirer l'épée de son corps, pour la déposer entre eux deux. Il s'approcha pour contempler l'arme, mais sentit qu'on le retenait dans le dos. Amilda s'était approchée pour se poster derrière lui. Cependant il sentait aussi que la terrible épée l'attirait inexorablement. « C'est Immortalia ; je ne sais pas pourquoi, mais je le sais, comme si c'était elle-même qui me le soufflait…

- Connaissez-vous son pouvoir ? demanda le Môsomme en haletant bruyamment.

- Oui, euh… je ne sais pas bien ; on dit qu'elle donne l'immortalité aux plus braves de ses serviteurs… répondit Gaelan, de plus en plus surpris par la tournure de la rencontre. L'autre repris avec une respiration de plus en plus sifflante :

- Je me nomme Norbrenn, fils de Laïbrenn, chef du clan des Moarlans. Avec une troupe de guerriers, nous sommes venus dans votre capitale pour dérober Immortalia…

- … et massacrer des innocents qui ne vous avaient rien fait ! s'écria Amilda, avec une sourde colère dans la voix.

- C'est faux ! Nous avons tout fait pour dérober l'épée discrètement ; d'ailleurs, nous disposions de complicités auprès de certains soldats dans votre capitale, la belle Sylona, qui ont permis à quelques-uns d'entre nous d'entrer discrètement dans le palais ! Mais tout ne s'est pas passé comme prévu, nous avons été découverts trop tôt, et avons dû nous enfuir par la forêt…

- … en massacrant au passage des malheureux villageois !

- De qui parlez-vous ? Nous sommes passés dans quelques villages, oui, et avons demandé de l'eau, quelques provisions et de l'aide pour nos blessés. Au lieu de cela les habitants nous ont attaqués, et à chaque fois nous sommes partis, certes en nous emparant de force de ce dont nous avions absolument besoin, mais refusant le combat ; nous avons toutefois dû nous défendre à plusieurs reprises, et il y a eu des blessés, des deux côtés!

- Je reviens de mon village, il est dévasté, tous les habitants ont été massacrés, et jetés dans un grand bûcher dans la forêt. Seule Amilda a survécu, parce qu'elle s'était cachée ! » rugit Gaelan, menaçant. Les yeux de la jeune fille à ses derniers mots jetaient des éclairs de fureur. Mais Norbrenn ne se laissa pas intimider et se borna à répéter : « je ne sais pas de quoi vous parlez… Oui, nous sommes passés dans des villages, nous avons été attaqués, et avons essayé de nous procurer par la force ce dont nous avions besoin. Mais nous n'avons pas tué. Et dans le dernier village dans lequel nous sommes passés, en le quittant, une troupe de vos Gardiens de l'Epée nous a attaqués par surprise, et nous nous sommes enfuis, sans avoir eu le temps de massacrer les habitants, si telle avait été notre intention ! » A ces mots, Gaelan fut frappé de stupeur ; de nouveau le doute s'installa en lui. Dans le premier village qu'il avait visité avec Belfon après le passage des envahisseurs, il se souvenait qu'effectivement personne n'avait été tué ; et les disparus pouvaient très bien s'être simplement enfuis… Mais dans son village ? Et ce qu'avait vu et entendu Amilda ? Pourtant le Môsommes n'avait pas l'air d'un menteur, et il était clair que sa blessure étant mortelle, il n'avait rien à attendre des humains. Alors… Il se rappelait aussi le regard sombre de Belfon, sa réserve, quand les Gardiens de l'Epée apparurent dans son village. Y aurait-il un rapport ? Mais lequel ? Comme en réponse à ses questions silencieuses, Norbrenn reprit. « Je vais vous confier un secret, car il faut que vous sachiez, que vous compreniez. Depuis la fin de la guerre il y a dix ans, vos soldats n'ont eu de cesse de s'introduire chez nous, de piller, mais surtout de kidnapper des proies faciles à capturer, des femmes, des enfants qui s'étaient écartés de nos villages. » Gaelan voulut protester, car il avait toujours entendu le contraire. Mais le Môsomme ne le laissa pas s'exprimer, comme s'il souhaitait se hâter de parler, sentant sa fin proche. « J'ai moi-même perdu mon plus jeune frère, et il en est de même dans la plupart de nos foyers. Mais un jour, l'un d'entre ces jeunes kidnappés réussit à s'enfuir des geôles de Sylona, et à revenir auprès de nous pour nous éclairer sur le sort réservé à ceux que les Gardiens de l'Epée emmenaient de force : ils étaient destinés à être sacrifiés dans la Grande Forteresse de votre capitale, le prix à payer pour l'immortalité… » Les yeux de Norbrenn se fermèrent.

Les deux humains étaient abasourdis en écoutant les révélations de leur ennemi, et ne savaient plus que penser. Gaelan sortit de sa réserve, il voulait tout entendre et secoua le Môsomme. « Norbrenn ! Quel était le sort de ces gens ? Parlez !

- Ah, la vie me quitte, mais vous devez savoir… Il faut que tout le monde connaisse le prix de l'immortalité… Car cette pratique immonde doit cesser…

- Comment cela ? Que voulez-vous dire ? - Votre peuple est-il donc si ignorant ? Vos chefs vous cachent-ils donc la vérité ? Et bien je vais vous dire ce qui se passe… » Le guerrier sentait ses forces l'abandonner, mais il fit un ultime effort. « Voilà, si vos nobles et vos plus valeureux soldats obtiennent l'Immortalité, ce n'est que par un moyen : grâce à Immortalia, cette épée maléfique… Et le prix à payer est le plus élevé : la vie…

- Quoi ? fit Gaelan, pris de vertiges.

- Vous avez bien compris, Malogad : la vie. La vie d'un innocent pour l'immortalité d'un individu assoiffé de sang et de pouvoir ! La vie de notre peuple !

- Je ne comprends pas… La voix du jeune bûcheron tremblait à présent. Il avait bien compris. - Vous avez vu l'éclat de cette épée maudite lorsqu'elle transperça mon corps ? Elle aime le sang et le meurtre, tout comme vos soldats, obnubilés par un pouvoir qui les dépasse, à tel point qu'ils croient que plus ils prendront de vies, plus ils seront forts. Il fallait arrêter ça, à n'importe quel prix. Mais nous avons échoué », dit tristement le Môsomme.

Les minutes semblaient être des siècles. Norbrenn agonisait, les deux humains restaient près de lui, mal à l'aise, et n'osant partir. Le bruit de la bataille plus loin s'était apaisé, et tout était maintenant calme dans la nuit noire de la forêt. Après les terribles révélations, la jeune voix douce d'Amilda suffit presque à elle seule à apaiser le cœur lourd des deux combattants. Mais c'était avec la sage détermination d'une adulte qu'elle s'exprima : « oui, je me souviens mieux à présent ; après votre arrivée, je me suis cachée, et il y a eu un bruit de bataille, alors que nous n'étions pratiquement pas armés. Le calme est revenu, et puis de nouveau les cris… C'était horrible. » La jeune fille ferma les yeux, plaqua les mains sur ses oreilles, comme si elle cherchait à éviter de revivre la situation. Puis regardant Norbrenn droit dans les yeux : « Donc si vous dites la vérité, il faut que cette épée soit à l'abri de toutes les convoitises… Je n'ai plus de famille… Et Belfon… il n'est que mon demi-frère, et s'il a lui aussi participé à commettre ces atrocités, je ne veux plus le revoir… Confiez-moi cette épée, je vous jure que je l'emmènerai hors de ces terres maudites. Mais… je ne sais pas si j'y arriverai toute seule !

- Moi non plus je n'ai personne qui m'attend, nous pourrions voyager ensemble ? »

Un timide sourire passa sur les lèvres d'Amilda, le premier depuis leurs retrouvailles. Un sourire de reconnaissance, mais elle sentait aussi un sentiment plus profond grandir très lentement dans son cœur.

« Etes-vous prêts à me faire le serment que vous ferez tout pour soustraire Immortalia à la cupidité et à la barbarie ?

- Oui, répondirent d'une même voix les deux jeunes humains.

- Puisqu'il en est ainsi, je vais vous aider comme je le pourrai.

- Oui, bien sûr, dit Gaelan, feignant l'espoir, nous allons vous porter jusqu'au premier village, où nous trouverons bien un chariot et de quoi vous soigner !

- Non, je suis mourant, et vous le savez très bien. Mais ce qui me reste de vie peut encore vous être utile. » Il se tourna vers Amilda. « Que la Porteuse de l'Epée me tue avec cette lame, et elle obtiendra l'immortalité, pouvant ainsi tenir sa promesse. » Les yeux de la jeune fille s'écarquillèrent de stupeur, ils passèrent de Norbrenn à Gaelan. Mais tous les trois savaient bien que c'était la meilleure chose à faire. « Allez-y, un coup au cœur, dites-vous que vous me soulagez de mes souffrances… »

Amilda prit l'épée que lui tendait son compagnon, ses mains tremblaient. Elle fit face au Môsomme qui l'implorait du regard, tout en restant digne face à la mort. Gaelan se plaça derrière la jeune fille, prit ses mains dans les siennes pour l'aider à tenir l'épée. Se sentant rassurée, elle la tint plus fermement, et, les larmes aux yeux, regarda fixement le guerrier môsomme pendant que l'épée s'enfonçait inexorablement dans sa poitrine. Norbrenn souffla quelques mots dans sa langue, une sorte de prière ou d'incantation, eut un dernier regard pour les deux humains avant que ses yeux ne se referment définitivement.

Immortalia changea de couleur, son éclat se fit de plus en plus vif. Une douce chaleur envahit les deux jeunes gens. L'épée semblait se consumer, sans être brûlante. Tout à coup, au dernier souffle de Norbrenn, un puissant éclair partit de la pointe de la lame vers le ciel, avant de revenir frapper le cadavre dans un bruit de tonnerre, de repasser dans l'épée et se propager comme une onde de choc dans le corps des jeunes gens qui ne purent lâcher l'arme terrible qu'à ce moment-là. Ils furent alors projetés à plusieurs mètres par la déflagration.

Quelques secondes plus tard, tout était terminé. Gaelan et Amilda se regardèrent ébahis ; ils étaient à présent tous les deux immortels ; ils le sentaient. Leur corps s‘était développé pour être au fait de sa puissance d'adulte. Celui de la jeune fille surtout avait définitivement perdu toute trace de l'adolescence, elle était maintenant une femme aux formes épanouies. Il lui faudrait du temps pour s'habituer à ces changements si soudains. Son visage rayonnait également d'une beauté intemporelle. Quant à Gaelan, il se sentait prêt à déplacer une montagne. Tous les deux savaient que leur nouvelle force ne se tarirait jamais. L'épée avait vraiment un étrange pouvoir, c'était à la fois agréable et terrifiant.

Mais il n'y avait plus un instant à perdre. L'éclair et le bruit avaient éveillé l'attention des soldats qui s'étaient entretemps débarrassés de tous les Môsommes. Des voix se rapprochaient, il fallait quitter les lieux au plus vite. Gaelan ramassa ses armes, prit le sabre de métal noir à la lame finement ciselée et à la poignée d'ivoire de Norbrenn, tandis qu'Amilda retira délicatement Immortalia du corps sans vie du valeureux Môsomme, la remit dans son sac de cuir pour la dissimuler. Elle prit aussi un pendentif étrange au cou puissant de Norbrenn, afin de toujours se souvenir de celui qu'elle avait tué, de ce jour néfaste.

Ils finissaient à peine de regrouper leurs quelques effets dans le noir – étrange, il faisait nuit, pourtant, ils voyaient presque comme en plein jour ; encore un effet de leur transformation - que des voix dangereusement proches se firent entendre. Gaelan reconnut celle du Capitaine Gyldan lançant ses ordres, mais Amilda se figea soudain, percevant également celle de son demi-frère. « Il faut partir », dit doucement le jeune homme. Sa belle compagne se tourna vers lui, lui prit la main, sourit timidement et, sans un regard en arrière, ils disparurent pour toujours dans les ténèbres de la forêt.

  • Un texte magnifique et émouvant,qui nous démontre que les véritables ennemis ne sont pas toujours ceux que l'on soupçonne...Bravo.

    · Il y a presque 8 ans ·
    34cf88ab

    Blackat

    • Bonjour! Désolé pour la réponse tardive, mais je voulais te remercier pour ton commentaire encourageant, ravi que tu aies aimé! Depuis ce texte j'ai écrit une sorte de "préquel", et dès que le temps sera là, j'aimerais étendre l'histoire dans un projet (multi?) romanesque!

      · Il y a presque 8 ans ·
      P1040273

      perno

    • Génial! Il me tarde de voir ça!

      · Il y a presque 8 ans ·
      34cf88ab

      Blackat

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