Le Voleur D'ombres (Texte + vidéo)

Nadja Anane

( En vidéo : http://sundaylab.blogspot.fr/2013/03/une-ombre-coloree.html )

Les murs se rapprochent. 

Et moi qui ne suis pas Indiana Jones. 
Je me cache, et me tortille, je m’accroche à mon ombre avant qu’Il ne me la vole.
Il approche. Faut penser à autre chose.          > Je pense à l’expression « Etats d'âme » : s'agit-il d'un gouvernement ?         > Je pense « qua-treuh-dou-bleuh croches ! qua.treuh.dou.bleuh.qua.treuh.dou.bleuh croches ! "Blooon-Deeuuuuh" » ! 
et j’chantonne du rythme, je m’accroche à mes couleurs - à celles de mes joues, de mon jean, de mon ombre. Mon ombre colorée, mon condensé d’énergie.  Il approche.
S’il me touche, il va me laisser grise. Vide.

 

Alors je rentre dans ma tête, et je chantonne. Parce que si Dieu existe, c’est un mélomane. Parce que y'a quelque part un ange gardien chef d'orchestre qui veille sur moi. Forcément.
Nous sommes nés chaotiques et bruyant, et les voleurs d’ombres essayent de nous classer, de nous ratatiner. Monstres ! Je veux qu’ça pulse.  Je rêve d’affrontement au corps à corps.
Il approche.
Et j’ai peur. Moi qui suis née fille, je sais que sa présence me condamne à devenir femme.

Play. J’entends le rythme, tam-tam-TCHAC, et dedans je suis loin. Je me réfugie où je peux, pour ne pas finir comme les autres.

       > Je pense : « peut-on tuer l’Ennui à la carabine ? »        > Je pense que jveux parler de non-dits, et dire non.        > Et je pense : « Da – din – daaaa – terekete –daaaa » - parce que les rythmes du nord, ça réchauffe.
Il approche. Il a une silhouette de dictature. Et une aura grisâtre de salarié.
Alors je révise mes leçons d’histoire. Pour penser à autre chose.

Je me rappelle qu’on nait sur des rails. 5. 5 traits droits, tracés sur notre chemin à coups de bulldozer, et sur notre peau à coups d’ennui. 5 lignes, comme une portée, la partition d’une vie.
Et qu’on fait tous nos gammes.
Da – din – daaaa – terekete –daaaa. Le rythme est lancinant, il ne s’explique pas sur papier.
Il approche.
Je tape du pied, je maintiens le rythme. Mais j’ai peur. Qu’il me vole mon ombre, mais surtout qu’il me la rende. Comme il a rendu celles des autres : essorées, teintes, repassées.
Tac.Tic.Tac. Si j’m’aintiens mon métronome interne au beau fixe, peut-être que j’aurais encore un moment la force d’essayer de tordre mes lignes directrices, ou de passer à travers. De ramer ou de surnager. De me reposer dessus, et de laisser le tapis rouler.
Ceux qui L’ont vus passer n’ont plus cette chance.

Laissez-moi vous raconter la mélodie de l’ennui. La partition de leur quotidien. 5 lignes intransigeantes : Travail                         ____________________________________________________
Responsabilités           ____________________________________________________
Loyer                           ____________________________________________________
Couple                         ____________________________________________________
Habitude                     ____________________________________________________

C’est à eux d’engager la musique, faut qu’on s’accorde, qu’ils choisissent leurs clés ! Ils répondent Clé de Sol. Le ton de la normalité. Utile seulement à fermer une porte à double tour.
Il approche.
Alors je saute sur le Sol,  je rêve d’ailleurs. Je rêve d’extrêmes. Jveux du violent, des maisons bleus accrochées à la colline, de l'accident, on y vient à pied on ne frappe pas, des cris, ceux qui vivent là ont jetés la clé, des points sur la gueule, des clés de Fa, des gueules qui éclatent - de rire et de pleurs.

Il approche.
Je chantonne.
Si je suis aventurière, ma jungle est fourbe, volatile. Mon ennemi est bureaucratique.

Il est là. Je crie, je hurle, mais tout reste silencieux. Un silence respectueux, un silence de musique classique. Un rectangle noir accroché sur une des lignes – ma nouvelle ligne d’horizon. Il est là.
Je monte le son. J’ai les oreilles qui hurlent et qui saignent. Mais j’aime ça. Tout pour garder mon ombre. Tout pour éviter de rentrer dans le rang.
Il est là et je veux fuir.
Je veux m’envoler, comme je le pouvais du temps où j’étais colorée. Je veux sentir le ploc ploc ploc de la pluie sur ma gueule. Il me fait grandir, ça tire et ça fait mal.

Il était là et il est parti.
Etape franchie.
Je ramasse des débris de moi et les remets en place, comme un puzzle branlant : les pieds et dessus les jambes et dessus le reste. Reliez les points.

Il était là et on l’a tous rencontré. Ce voleur d’éternité.
Il n’est plus là, alors je reprends mon élan…
Mais quelque chose me tire au sol, m’accroche au goudron, quelque chose de sombre. Une chose qui a ma silhouette, et qui s’accroche au trottoir. Une ombre, mais pas celle que je connaissais. Une autre, sombre, attachée à moi comme un boulet, dans le seul but est de m’empêcher de m’envoler.

Voleur. Faiseur de citadine. Je te hais et je suis piégée. Autour de moi, le gris avance. L'ennui, c'est comme être Indiana Jones, sauf que c'est exactement l'inverse. Dans ce monde y’a des monstres qui se déplacent sur roues. Et toujours, le gris avance.
Je cherche une échappatoire.  
Je mets un pied devant. Et puis l’autre. Mes pas font ta-tac, ta-tac, ta-tac – et tout à coup j’ai une porte de sortie. Qui s’ouvre avec une clé de Fa.
Ta-tac, ta-tac, ta-tac – lalalalala. Mon corps balance et respire. Ecouteurs dans les oreilles, je redeviens aventurière. Dans la rue je suis transparente et je suis invincible. Plus fort. Plus fort la musique.
Putin de plus fort.

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