LE VOYAGE INTERDIT

johnnel-ferrary

LE VOYAGE INTERDIT

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Un mot que l’on écrit comme l’écrit un dictionnaire. Un mot imaginaire, l’horizon ! Sur une sphère, le mot existe, la vérité absente. Vouloir toucher l’horizon, voire ce qu’il y a au-delà d’un tel mur est impossible sur cette bonne vieille Terre. Alors, j’ai dû chercher ailleurs cet horizon, il m’a fallu crever la barrière du temps et de l’espace, et enfin, j’ai pu trouver puis construire la machine à explorer l’autre coté de l’horizon. Ce ne fût pas facile, on s’est moqué de moi, mais j’ai persévéré. Enfin, après quarante années d’un dur labeur, la voici, plus belle que jamais. Oui, c’est une sphère, vous avez bien lu, c’est une boule de dix mètres de diamètre bien campée sur ses trois pattes en carbone nervuré. Une très grosse boule synthétique dont la paroi fait à peine cinq millimètres d’épaisseur. En carbone nervuré, fragile certes, et pourtant plus solide qu’une simple ferraille du commerce. Surtout lorsque j’irai explorer le mystère de cet horizon tant décrié par nos dictionnaires inutiles. Oui, il existe un autre monde derrière l’horizon si jamais cet horizon existe dans la réalité. En tout les cas, pas sur une sphère car ce mot est une simple invention d’académicien des siècles d’antan. L’horizon est une vision, un leurre. Pourtant, ailleurs, cet horizon est là, sous nos yeux ébahis. Oui, l’horizon est une barrière entre deux mondes temporels, entre deux strates, celle du haut et celle du bas, celle de droite et celle de gauche. Derrière cet horizon existent toujours mon père, ma mère, ma chienne avec laquelle j’apprenais le mot liberté. Mon rêve, mon désir, c’est de me retrouver dans cet autre coté de l’horizon, c’est pourquoi j’ai construis une telle machine mû par le désir et le souffle divin du Diable en personne ! Nous sommes actuellement le mois de Mars 2017, je vais me transporter en Août 1967, au moment précis où j’ai déclaré mon Amour à cette jeune fille de mon âge. Nous étions âgés d’à peine quinze ans, vierges de corps et de cœur, mais en nous, l’Amour naissant sculptait l’inaccessible et intemporel lien qui allait nous unir à jamais. Tout avait commencé à la gare d’Austerlitz, un très vieux monument qui ne sert plus à rien pour notre époque actuelle. J’ai quinze ans, mon cœur bat. Je suis seul, une valise bleue dans la main droite, la seconde main dans la poche de ma veste. Il y a un trousseau de clefs qui me frôle les doigts, un peu de monnaie dans l’une des poches de mon pantalon. Les billets sont dans la valise, quant à mon billet de train, il se trouve dans la poche interne de ma veste. Au bout du quai, la machine à vapeur crache son feu tel un dragon en furie. Je marche vite car mon wagon est en tête de convoi, et dans moins de cinq minutes, ce dernier s’ébrouera dans un bruit infernal. Je serais sur le bon chemin, celui de l’Amour éternel ! Je viens de monter à bord, je longe le couloir exigu de la voiture, et enfin, je tombe pile poil sur mon numéro de place réservée. Tout près de la fenêtre, je verrais défiler le paysage de la capitale, de la banlieue, de la nature aux verdoyantes couleurs. Je vais m’asseoir, heureux de constater que je suis dans le sens de la marche et non le contraire. Cà me donne la nausée lorsque j’ai le dos accolé à la machine qui traîne autant de wagons. Dans mes yeux, je vois le visage de ma bien aimée, cette jeune fille si belle qui luit dans mon regard. Coup de sifflet, c’est l’heure. Un petit choc, et nous voilà parti. Je me sens bien, tout comme maintenant lorsque je referme la nacelle qui va m’enlever de ce monde actuel. Pas de hublot, un siège pas très confortable, un volant d’inertie, je place sur mon crâne les trois pastilles d’où partent les trois fils reliés au système de navigation temporel. C’est un petit boîtier qui renferme une bulle dans laquelle défilent des nombres entiers, chaque nombre correspond à une date précise. Je pense à cette date, et elle s’inscrit dans le liquide fluorescent où baigne la bulle en question. Je ne suis pas l’inventeur de ce système, je l’ai simplement subtilisé pour ce cours instant de voyage temporel. Je le rendrais ensuite à son propriétaire qui dort à poings fermés dans son appartement. Cinq pastilles de neuroleptique, et notre homme dormira pendant une bonne semaine. A son réveil, il croira qu’il a dormi juste une nuit, voire à peine dix heures ! Moi je serais revenu à ce présent mais avec la certitude d’avoir comme épouse la femme aimée de mon enfance. Comme c’est bon de voyager seul et revenir à deux dans une strate où solitude et grisaille vous accompagnaient. Je ferme les yeux et je pense à la date de ce mois d’Août 1967. Je suis transcendé de bonheur.

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Le voyage me parait long, bien plus long qu’autrefois lorsque j’étais gosse. La machine de tête crachait le feu, elle hurlait de ses poumons d’acier, de ses tuyères surchauffées. Dans la sphère, assis sur un siège trop dur pour ma colonne vertébrale, je crois que les secondes se sont transformées en minutes. Je suis à la fois dans le train et dans cette bulle, aussi prisonnier du présent que de ce passé qui ne cesse de froisser amoureusement ma mémoire. Oui, je la revois, regard dans mon esprit, je voudrais l’enlacer, l’embrasser, lui faire l’amour des jours, des nuits entières. Mais je suis seul dans ce train qui déchire le silence des vertes prairies, dans cette boule qui ne ressemble à rien vu de l’intérieur. Un univers spartiate que j’ai conçu, pour éviter toute surcharge en passant d’une strate à l’autre. J’ai oublié de vous dire mon nom, je m’appelle Victor DELANDE, je suis écrivain, chercheur dans un laboratoire qui tente de construire une machine à se déplacer dans le temps. Et cette machine, la voilà, je suis à l’intérieur, solitaire, perdu dans un néant qui prend la forme d’un vortex inconnu. Pourtant, je suis dans ce train qui roule vers cette province lointaine, j’ai quitté la gare d’Austerlitz et me voici en face à face avec une femme et ses deux gamins. Qui chahutent, qui se giflent, et cette mère qui ne dit rien. Ah ! Voici le contrôleur.

-            Bonjour mesdames et messieurs, contrôle des billets.

Je sors de ma poche un morceau de papier sur lequel sont inscrits des mots inconnus pour moi. L’homme en tenue les inspecte, me regarde et dit :

-            C’est vous qui voyagez dans le consortium spatio-temporel ?

-            Comment çà, dis-je ?

-            Je sais, je suis le gardien des frontières entre chaque strate qui s’opposent, sinon ce serait le chaos pour cet univers, et de ce fait, pour les autres idem ! Il vous est impossible d’aller au-delà de votre vie, car vous n’existez qu’à partir de votre naissance et jusqu’à à votre mort.

-            Je vais retrouver une femme que j’aime depuis toujours.

-            Non, impossible, vous ne pouvez et ne devez pas changer le cours du destin. A la gare prochaine vous descendrez, la Police cosmique sera là. Cette femme que vous aimez est morte depuis de nombreuses années, ce qui a disparu ne peut renaître.

-            Mais je veux y aller, c’est mon droit que je sache enfin, hurlai-je.

-            Bien, soit, allez-y, seulement vous devez comprendre que là-bas, vous trouverez le néant, une sorte d’enfer conçu pour les gens qui comme vous, tentent d’échapper aux lois de la Divinité Absolue. Alors continuez, bonne chance mon ami, et ne revenez que plus tard, si des fois vous en revenez !

Il s’était mis à rire, la femme aussi. Les deux gosses chahutaient toujours. Dans la sphère, je commençais à suffoquer. L’air devenait vicié, mes poumons me brûlaient. Et si cette Divinité Absolue existait réellement, moi qui ne crois ni en Dieu ni au Diable, ma façon de réfléchir venait de s’effondrer. Mais comment pouvais-je retourner à mon présent lorsque j’entrais dans la sphère ? Il me fallait retrouver le contrôleur et lui expliquer ma décision de m’absoudre à ce délit de voyager d’une strate à l’autre. Je me levai subitement et me retrouvai dans le couloir. Dehors, la nuit sans étoile encadrait la voiture alors que nous étions en plein après midi. Il me fallait réfléchir car je me retrouvai dans un espace de non-lieu, un non temps qui m’obligerait à mourir. Je commençais à transpirer à grosses gouttes.

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Je suis tombé sur le sol de la sphère, à moitié groggy par une sorte de fatigue musculaire. Il semble qu’autour de moi, cela tourne à une vitesse vertigineuse. Dans l’autre monde, je suis sur le sol de la voiture, mais le train s’est arrêté en pleine campagne. Des voyageurs fuient le wagon, et le contrôleur est là, il me regarde en souriant.

-            Bienvenue en enfer connard…

Et il disparaît à son tour. Je me retrouve seul, perdu dans un lieu sans issu, pas d’horizon, aucune porte de secours. J’ai mal, je souffre du dos, mes jambes ne peuvent plus me soutenir. Je vais mourir à mon tour, dans cette bulle construite depuis des années par de grands spécialistes et que j’ai utilisé sans savoir où j’allais vraiment. J’ai aimé une jeune fille autrefois, je l’ai toujours aimé, elle ne m’a jamais quitté, voilà qu’elle est morte et que ce qui a disparu ne peut ressusciter. Je sens que je vais dormir sans me réveiller, aucun message des rêves, pas de ces  cauchemars qui hantent les murs de nos esprits. Hier, demain, des mots sans importance. Le présent, insoutenable, je resterais emmuré dans cet insolite parabole qui devient le non sens de la réalité. Ce qui est mort n’apparaît nulle part dans la mémoire du temps, comme si cette femme n’avait existé que dans mes rêves. Ma respiration diminue, le souffle me manque. Bordel, mais qui va venir me secourir dans ce mælström inconnu, et pourtant, je suis là, toujours de chair, d’os et de sang ? C’est fou, la vie est une voix sans issue, impossible de faire marche arrière, le temps part vers la droite et jamais ne retourne vers la gauche. Marche avant, aucune marche arrière. Et ce putain de mot, l’horizon, où se cache t-il ? Se déconnecter de la réalité, revoir sa copie, faire choir des mots, les imbiber de volutes carcérales, et se retrouver à l’époque du partir et oublier volontairement sa valise à l’hôtel du Méridien ? Oui, l’horizon n’existe pas, c’est un mot inventé par le diable, il s’offre à nous afin que nous tombions dans le piège cousu de fil blanc par ce qui se prénomme Dieu !

-            Victor, réveille toi Victor, il est bientôt deux heures du matin et tu es toujours sur ce programme ! C’est un jeux diabolique que tu as créé, mais laisse le tomber, il va devenir un virus impossible à canaliser. Tu l’as mis dans une impasse, efface tout. DELETE d’urgence !

Je me lève soudain. Devant moi, mon écran d’ordinateur clignote. Et la voix d’une femme.

-            Attention, il y a une menace sur votre ordinateur…

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Johnnel BERTEAU-FERRARY. novembre 2010

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