L'écriture de l'eau

Un roi avait un fils. Il avait bercé ses nuits de l’histoire de ses batailles perdues. Le fils devenu grand devait lui aussi partir à la guerre. Il livra sa première bataille et la perdit. Comme il ne voulait pas raconter lui aussi au fils qu’il aurait un jour, des histoires de bataille perdues, il abandonna son père et son royaume pour trouver le secret des batailles que l’on ne perd jamais. Il promis à son père de ne revenir et d’accepter son destin de roi qu’à la condition de percer à jour le secret des batailles que l’on ne perd jamais.

Mais de quoi vivras tu demanda le père

Je raconterais mon histoire sur les marchés. Je saurai bien toucher quelque âmes charitables.

N’est-ce pas déjà avoir perdu une bataille que d’errer ainsi sans pain et sans toit? Tu fuis le royaume, voila encore une bataille de perdue. Il en est ainsi dans ce royaume de père en fils. Tu n’y changeras rien.

Le jeune homme pensait livrer l’ultime bataille qui lui permettrait d’en finir avec toutes les batailles. Le jour où il aurait le secret des batailles que l’on ne perd jamais, il retrouverait son père et ce dernier pourrait partir en paix rassurer qu’il serait sur sa descendance enfin à l’abri de toutes les défaites.

Pour gagner sa vie comme il ne savait qu’être roi mais qu’il n’avait pas de royaume il racontait les défaites de son père et la sienne. Cette seule bataille qu’il avait livrée et qu’il avait perdue. Bataille qui l’avait convaincu qu’il aurait le même destin que son père, bataille qui l’avait poussé à tout quitter.

Un jour qu’il était assis au bord de la fontaine, un marchand vint à passer. Il lui raconta son histoire contre un peu de pain.

Le secret des batailles que l’on ne perd jamais c’est la fuite lui dit le marchand. Tu as bien fait de fuir le royaume de ton père. Maintenant il te faut trouver un travail, conquérir une femme et léguer un jour ce que tu auras appris à un fils. Je t’apprendrai le métier de marchand. C’est un bon métier.

Que vend tu demanda le jeune homme au marchand.

Je vends des étoffes. Je vais par les chemins faire entendre aux femmes, le chant de la soie.

Le jeune homme devint marchand de soie.

 Il fit ce métier pendant de longues années. Le marchand avait une fille d’une grand beauté. Quand elle vint à connaître l’histoire du prince qui cherchait le secret des batailles que l’on ne perd jamais, elle lui dit:

Le secret n’est pas la fuite comme te l’a appris mon père. Le secret est le choix. Choisir sa bataille voila le secret des batailles que l’on ne perd jamais.

Le jeune homme fut séduit autant par ses paroles sages que par la beauté de la fille du marchand. Il l’épousa et lui donna un fils.

Cependant il ne pouvait se résoudre à rentrer chez son père s’assoir sur son trône et devenir roi à son tour.

Des années passèrent, mais rongé parla certitude qu’il n’avait pas accompli ce pourquoi il était parti et que le secret pas plus que la fuite n’était le choix, il tomba malade.

La fille et le marchand à son chevet se désolaient. Ils lui avaient tout donner, un toit, un métier honnète, l’amour d’une famille. Que pouvait désirer de plus le prince?

 Nul ne le savait.

Cela resta ainsi jusqu’au jour où le prince fut appelé au chevet de son père mourrant.

En chemin il se désespérait de ne pas pouvoir permettre à son père de partir en paix, en lui révélant le secret des batailles que l’on ne perd jamais.

Il s’arreta à la fontaine et demanda à la femme qui se trouvait là un peu d’eau.

Un autre voyageur plus assoiffé le bouscula. La cruche que les deux hommes se disputaient tomba et se brisa. Le jeune homme eut alors la révélation en voyant le dessin de l’eau s’évanouir dans la poussière du chemin.

Le secret des batailles que l’on ne perd jamais c’est de les mener avec la même science que l’eau. Une qualité d’âme qui comme l’eau saurait épouser tout ce qui vient à sa rencontre et trouver le chemin pour appaiser la soif de la terre et des hommes.

Dans le secret de son coeur, le jeune homme enfin en paix murmura:

Qu’à présent le vent m’emporte là où le bonheur va.