L'Elégant

Sylvie Palados

Dans la pénombre il disparu au bout du quai, laissant derrière lui un cliquetis de vagues s'échouer sur les bords vermoulus. Son pavillon flottait au vent du large, l'entrainant vers de nouveaux horizons.

Il s'appelait l'Elégant ! Bateau à voiles terni par le soleil, balafré des multiples escarmouches rencontrées lors de sa longue vie. Il était de toutes les batailles, de toutes les guerres. Il transporta aussi bien des victuailles que des soieries, des vins délicats que des esclaves. Il passa entre les mains de plusieurs capitaines, corsaires, flibustiers, aventuriers au longs court, savant en mal de découvertes et même soldats. Sa coque avait perdu sa belle couleur d'ambre qui le caractérisa quand il naquit. Mais il était paré de tellement de blessures qu'on ne pouvait que le remarquer quand il s'amarrait. Peut lui importait les motifs de ses déplacements, seuls comptaient pour lui les voyages. Ces moments magiques ou il ne faisait plus qu'un avec l'océan. Où sa force rencontrait la férocité des courants, la froideur des lames qu'il pénétrait le revigorait, la douceur des vaguelettes quand la mer était chantante le berçait. Oui, pour rien au monde il ne souhaitait changer son destin. Tant pis pour les blessures, tant pis si il dut souffrir le martyr le jour ou un boulet de canon lui détruisit sa colonne vertébrale, son mât ! Il fut réparé, il guérit difficilement car un nouveau membre ne remplace jamais vraiment l'original ! Mais il considéra avoir la chance de pouvoir revivre là ou beaucoup de ces congénères n'auraient plus été que des épaves...

Sa vie n'était qu'une succession de voyages, d'escales dans des endroits parfois pittoresques, souvent dangereux mais il ne souhaitait pas en changer. Traverser les océans était sa vie, sa raison d'être.

Ce pour quoi il était fait de ce bois si beau, si sombre après des années de glisse au contact de ces lames acérées, salées, glaciales, que pourtant il pourfendait vigoureusement et tendrement !

L'élégant : il le portait si bien dans sa jeunesse ce nom qui remplissait d'effroi ces hommes orgueilleux, paillards, quand au port il s'amarrait. Son capitaine était un tyran, fier de son navire, mais un homme sans cœur, ivre de pouvoir et de richesse. C'est ainsi qu'il se retrouva à embarquer tantôt des marchandises, tantôt des découvreurs qui payaient très bien, quoique leurs intrépidités lui valus sa plus belle blessure, dans des eaux tumultueuses et remplies de roches acérées.

Des mers sans noms, des fosses sans fond, voilà ce qu'il avait vu ! Des animaux dont personne ne soupçonnait même l'existence ! Des tempêtes magistrales où il perdit des hommes ! Enfin la rencontre de l'enfer, outre le cap Horn : horrible et détestable voyage ; mais sa plus redoutable peur fut cette monstrueuse et insidieuse traitresse, glaciale, implacable, qu'il rencontra au milieu de nul part. Elle faillit le briser, le moudre, il lui échappa par miracle en s'échappant d'instinct par une interstice impromptue qui s'ouvrit à lui alors qu'il la voyait l'abattre !

Ça oui, il en avait vécu des aventures. Il était toujours debout, halé par le vent, noirci par le sel. Mais voilà, il savait que maintenant quoi qu'il arrive, il avait fait ce pourquoi il avait été construit. Il ne craignait plus rien, n'attendait plus rien !

Son bois craquait, ses hommes travaillaient et chantaient ! La routine, mais là quelque part au bout de la route l'attendait l'insidieuse, l'indomptable, l'horreur absolue !

Quand son temps sera venu il sait que seule la mer pourra le garder, le caresser une dernière fois avant de l'absorber dans son ventre, mère entière !

L'élégant fut et sera unique dans les anales de la flotte il en était certain.

La vie ne vaut que d'être vécue pour ce qu'elle nous apporte, non pour ce qu'on voudrait recevoir.

  • La vie nous attache mais l imagination est ma force.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Coquelicots jolis 54

    Sylvie Palados

  • Au fil de tes textes que je lis à l'envers, de ton dernier au premier, tu est attirée par le désir de partir, de voyages, d'immensité, de faire de ta vie, une histoire à raconter, maintenant et plus tard, avoir des souvenirs.Vogue la voile!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

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