L'enfant qui détestait sa mère.

Carole H.

Aujourd'hui, ma mère est morte. C'était une femme facile à aimer. Et pourtant, moi, je la détestais.

Aujourd'hui, ma mère est morte. C'était une femme que les gens trouvaient simple et gentille. Elle avait une vie sociale équilibrée, participait aux évènements de la communauté et étant de nature joyeuse, elle se faisait vite apprécier. En résumé, c'était une femme facile à aimer. Et pourtant, moi, je la détestais.

Depuis des dizaines d'années, nos rapports se limitaient à de rares visites de sa part. Elle savait qu'elle n'était pas la bienvenue mais venait tout de même. Pas pour tenter d'arranger les choses car elle avait rapidement compris que ce serait impossible, mais plutôt parce qu'elle avait accepté que notre relation mère-fils se résumerait à cela et qu'elle s'en contentait. Elle n'amenait rien, ne demandait rien et ne parlait même pas. Elle restait juste assise dans mon salon à me regarder. Elle ne m'a jamais questionné. Elle semblait penser qu'il était juste possible pour un fils de détester sa mère sans raison valable, comme certains détestent les épinards par exemple. Mais ma haine n'était pas innée. Elle était basée sur un souvenir qui avait tout changé.

J'étais dans mon berceau. J'étais choyé, aimé, adoré. Je ressentais cette plénitude que je n'ai jamais retrouvée plus tard. Je ne sais pas quel âge j'avais. A peine quelques mois. On pense généralement que les enfants aussi jeunes n'ont pas de souvenirs mais c'est faux. Un enfant a des souvenirs dès sa naissance sauf qu'il ne les garde en mémoire qu'un certain temps. Plus l'enfant grandit et plus il va être capable de se souvenir longtemps. Mais lorsqu'un évènement est traumatisant, il bouleverse la manière de penser de l'enfant et reste présent, quelque part au fond de lui, influençant chacun de ses choix et modifiant chaque aspect de l'individu qu'il deviendra.

Mon évènement traumatisant a été son arrivée à lui. Il devait avoir à peu près mon âge mais contrairement à moi, il était calme et ne pleurait jamais. Ma mère l'emportait avec elle dans la pièce à côté alors que j'étais cantonné à ma chambre de bébé. Elle tournoyait avec lui, lui achetait de jolis vêtements en velours et de beaux chapeaux. Je les observais rire ensemble tandis que je devais sagement faire la sieste. Lorsqu'elle était satisfaite d'une nouvelle tenue, elle me le montrait et s'attendait à ce que je m'extasie. On devait alors partager mon berceau et faire semblant de s'amuser. Je pense qu'il ne m'aimait pas beaucoup non plus. Quelque fois il dormait avec moi. Je me débattais alors pour ne pas avoir à le toucher. Une nuit j'ai tellement gigoté dans ma nacelle à bascule qu'il en est tombé. Je ne l'ai plus jamais revu après cela. Il est reparti aussi soudainement qu'il était arrivé. Peut-être les vacances étaient-elles finies ou peut-être l'avais-je blessé, toujours est-il qu'il est retourné là d'où il venait. Par contre est restée cette certitude que ma mère le préférait lui, l'enfant inconnu qui n'était même pas le sien. J'ai compris à ce moment-là que ma mère ne m'aimait pas et dans l'inconscience de la petite enfance, j'ai décidé que l'inverse ne serait pas vrai non plus.

Aujourd'hui, ma mère est morte. Pour la première fois depuis des années je me suis rendue dans son petit appartement. Il était assez dépouillé. Elle n'était pas du genre à accumuler les souvenirs. J'ai récupéré quelques albums photos, des papiers administratifs et les bijoux de valeur. Et puis dans un coin, j'ai trouvé un poupon, habillé d'un costume en velours vert. Sa tête en porcelaine était fissurée et ornée d'un petit chapeau en plastique. C'était le genre de poupon dont les yeux bougeaient dans tous les sens dès qu'on le secouait un peu, ce qui lui donnait un air assez effrayant. Malgré cela, il avait dû être joli à une époque. En fait, il était exactement comme dans mes souvenirs… La vie en moins.

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