L'envie de Sophie

     Cela faisait trop longtemps qu'elle en avait envie. Sophie demanda à son père de l'accompagner. S'il refusait de l'aider dans cette tâche qu'il jugeait barbare ainsi qu'immorale, il pouvait au moins la soutenir.   

Plusieurs mois qu'ils étaient ancrés dans son esprit, maintenant plusieurs semaines qu'ils guidaient tous ses actes, ses moindres gestes. Du harcèlement. Ils faisaient partie intégrante de Sophie: ils la définissaient. En réalité c'est cette pulsion, l'envie de les voir exterminés qui la rongeait. Et cette satanée couleur jaune. Sophie la détestait du plus profond de son âme. Une vie comme celle-ci n'était plus envisageable: elle devait agir, tant pis pour les conséquences. De toute façon, elle les avait déjà toutes envisagées des milliards de fois.   

     C'était trop tard : elle avait choisi. Ce sera le numéro deux puis le cinq et enfin celui à l'origine de tout : le numéro un. Une fête foraine n'était peut-être pas le meilleur endroit pour faire cela. Si, c'était le mieux de tous, le seul où cela était possible. Elle les observait. Ils étaient entre la grande roue et la montagne russe. Sa stratégie était établie, il suffisait de l'appliquer. Sophie n'avait pas le droit à l'erreur si elle souhaitait arriver à son but. Ni la gloire, ni même l'espoir d'une plénitude ne l'intéressait, elle voulait leur destruction pure et simple. Acte de vengeance sans retour. Son père l'avait prévenue:

-Tu sais, Sophie, ce sera très compliqué de revenir en arrière. Pour une fille de ton âge, je trouve ça très dangereux.

-Je sais papa, tant pis, j'ai choisi ! Et j'suis plus un bébé !Elle mit le fusil en joue. C'était une vieille carabine en plomb, presque rouillée, elle se demanda si ça allait vraiment fonctionner. Évidemment, de simples plombs ne seraient pas suffisants pour les tuer définitivement, mais ce sera bien assez pour faire très mal.  

     Elle tenait toujours l'arme, elle hésita. Ses mains commencèrent à être moites. Sophie ne tenait plus la vieille carabine aussi fermement. Son doigt glissa sur la gâchette, tremblant. Un premier coup retentit. Son père l'aida à absorber le recul. Cible deux manquée. Sophie ne voulait pas baisser les bras. Elle réitéra. Deuxième coup.Manqué également. Sophie commença à être agacée. Il ne restait plus qu'un seul espoir: la cible une. Elle décocha une nouvelle balle. Nouvel échec pour Sophie.

- Putain ! J'en ai marre de ces canards de merde ! s'exclama t-elle

- Sophie ! Ce ne sont pas des mots pour une jeune fille de quatre ans ! Je savais que ce n'était pas une bonne idée. Pose cette arme, on s'en va.

-Non ! Je vais les déglinguer ces canards ! déclara-t-elle, bouillonnante de rage tout en dirigeant la carabine en direction de son père.

-Sophie ! Que fais-tu ? Tu la pose maintenant, ordonna t-il sèchement.

- Sinon quoi ? rétorqua-t-elle. Son père soupira avant de répondre, accablé:

-Sophie, voyons...Tu sais ce n'est pas parce que tu n'arrives pas à les attraper avec une canne à pêche que tu réussiras au tir à la carabine. Puis l'arme est plus grande que toi, ça n'a aucun sens. Elle lâcha le fusil et éclata en sanglot:

-J'avais réfléchi, j'avais une idée pour tous les avoir, et puis en plus, elle renifla, je voulais la grande peluche licorne...

-Oh non ma puce, tu n'as vraiment plus le contrôle quand tu manges trop de sucre. Je n'aurais pas dû te laisser dévorer toute la barbe à papa, dit-il en la prenant dans ses bras.

-Je suis désolée papa, balbutia-t-elle entre deux cris larmoyants.

- Ce n'est pas grave, viens, c'est terminé la foire.  

     Il la porta sur le chemin pour se rendre à la voiture. Sophie lança un dernier regard vers ses pires ennemis: les maudits canards. La jeune fille s'endormit instantanément à peine sa ceinture bouclée. Qui sait les horreurs que Sophie fait subir à ces pauvres canards dans ses songes.

/Fin\

Degroote Aurélien