L'envol du corbeau et le chant de la mésange - Chapitre 1

rosam

Bénévole, Salomé fait la rencontre d'un prisonnier, Chris. Un lien unique s’installe entre les deux, chacun découvrant le monde de l’autre, à la cadence de poésie.

Prison : Lieu de détention où sont enfermés les prévenus, les condamnés.

Prisonnier : Personne détenue en prison. Enfermé, privé de liberté.

Poésie : Forme d'expression littéraire caractérisée par une utilisation harmonieuse des sons et des rythmes du langage, et par une grande richesse d'images. Art trop subtil pour un prisonnier.

 

Un homme et une jeune femme arpentaient les couloirs glauques. Leurs pas résonnaient comme un glas et produisaient un écho glacial. De sinistres néons verts pendaient et agonisaient au plafond. Ils éclairaient de leur faible lumière les nombreuses grandes portes alignées sur ces murs sales. Une odeur de sueur, d'haleine d'hommes envahissait le bâtiment.

La jeune femme, munie d'un sac à dos et revêtue de vêtements simples et difformes, tremblante, semblait apeurée avec l'envie de partir au plus vite. Tout en marchant, elle baissait la tête, absorbée par ses vieilles chaussures. Ses cheveux roux aux reflets cuivrés cachaient son visage tout en formant de fines bouclettes, ondulant gracieusement et reposant sur ses épaules. Sa toison flamboyante contrastait avec le teint laiteux de la demoiselle. Ses joues étaient poudrées de quelques tâches de rousseur. Elle avait d'étranges yeux bleus, semblable à des pierres précieuses, deux agates, d'une beauté mystérieuse. N'osait-elle regarder les tristes couloirs pour ne pas souiller ses pupilles ? Son visage fin se terminait d'une délicate bouche sèche, légèrement gercée. Ses lèvres, d'un rose pâle, ressortaient toutefois. De temps à autre, elles laissaient échapper un petit souffle pour faire déguerpir une mèche de cheveux.

On la baptisait Salomé.

A côté d'elle se tenait un surveillant, habillé d'un pantalon et d'une veste bleue. Il agitait dans sa main un trousseau de clefs. Cet homme d'une carrure assez imposante respirait nerveusement, telle une bête. 

- L'entretien a lieu en dehors de la présence d'un surveillant, récita-t-il. L'objectif du visiteur est de faire prendre conscience à la personne détenue de ses richesses et de ses manques et de l'aider à bâtir un projet d'avenir cohérent et réaliste.

La jeune fille hocha la tête, essayant de retenir les paroles du gardien. Ce dernier la laissa devant une porte vitrée entrouverte, donnant sur une petite salle où étaient disposées quelques tables en bois et des chaises. Un des murs était entaillé de petites fenêtres consentant des timides rayons de soleil.

Un détenu était assis au milieu de la place. Seul.

C'était un grand jeune homme, les épaules carrées, une silhouette taillée. Ses cheveux, d'un noir intense tel le plumage d'un corbeau, dépérissaient jusqu'au niveau du menton. Lisses hormis quelques mèches rebelles fourchues.  Le visage dur, marqué d'un nez aquilin, des sourcils broussailleux et des lèvres pincées, un menton mal rasé et entaillé de cicatrices, il paraissait avoir traversé de nombreuses épreuves. Lorsqu'il posa son regard sur la visiteuse, celle-ci frissonna et détourna aussitôt la tête. Elle se sentait terriblement honteuse de l'avoir fixé pendant autant de temps.

Salomé se rapprocha timidement du condamné, puis tendit la main.

- Bonjour… Je m'appelle Salomé Everitt…

- B'jour. Chris Carter.

- En…enchantée ! bégaya-t-elle

Elle s'assit sur une chaise devant le détenu. Elle fut absorbée par les iris orageux du jeune homme. Quelques éclairs noirs fendaient le gris acier. Ils étaient lourds de profondeur.

La visiteuse fut gênée par le silence qui s'était installé. Elle ne savait que dire et craignait d'être ridicule. Elle devait parler, sinon l'arrêté penserait qu'elle était effrayée. Elle se souvint alors d'une phrase dite par le gardien. « Vous êtes mandée car ces détenus ne reçoivent pas de visite.». Elle ressentit alors de la peine pour l'inconnu qui se tenait devant elle.

-  Je déteste cet endroit.

Elle leva les yeux et lu sur son visage une expression grave, accrue par des cernes.

- C'est horrible, continua-t-il. C'est crade et… j'étouffe.

La jeune fille acquiesça d'un mouvement de mâchoire. Elle essayait de comprendre les tourments de l'homme. Bien qu'elle fût en prison depuis seulement un quart d'heure, elle aussi était opprimée par cette atmosphère accablante.

- Enfin, c'est ce qu'on mérite, non ? On est les déchets de la société.

Salomé fut surprise par le ton faussement désinvolte. Elle voulut répliquer, rassurer, mais s'arrêta aussitôt : il devait se ficher de sa réponse.

Après un long soupir, Chris sortit un paquet de cigarettes abîmé, presque vide, en prit une et la fuma.

-  Tu crains ?

-  N…non.

Elle le regarda inhaler de la fumée puis l'expirer. Il savourait la nicotine, la laissant vagabonder dans sa trachée, envahir ses poumons. Les paupières fermées, la bouche entrouverte, il paraissait être en extase.

Il débita alors des paroles sans suite, des phrases inachevées, des mensonges et inepties. Ses exploits étaient contradictoires, irréels, mais gardaient une étrange profondeur. Vivant au travers de ses tromperies, il transformait sa réalité. C'était toujours plus facile que d'accepter la vérité. Mentir pour exister un peu plus. Il ne se souciait pas de la réaction de Salomé, ce qu'il voulait c'était rêver juste un instant. Sa voix n'avait plus le même timbre que tout à l'heure : elle était plus légère, plus souple.

La visiteuse se blâmait de ne pas avoir consacré ses études à la psychologie et sociologie. Elle aurait alors pu comprendre le reclus, deviner ce qu'il enfouissait derrière ses mensonges. Elle désirait posséder un dictionnaire avec pour chaque geste et parole une définition. Se sentant au départ embarrassée, elle se laissa peu à peu imprégner de ces artifices, s'efforçant de les admettre.

Lorsqu'il eut achevé ses multiples récits, un silence retomba. Le poids de la désillusion accablait la petite pièce. Chris fixait de ses yeux gris ceux de Salomé, tels des aimants. Ils paraissaient crier au supplice et chercher une bouée à laquelle s'attacher. La solitude le noyait, il pleurait au secours.

Quelques mèches cuivrées glissèrent sur le visage de la fille, créant une fragile muraille. Elle regrettait de ne pas être à la hauteur, d'infliger ce silence et cette timidité maladive à un inconnu. Il fallait qu'elle mette un terme à cette humiliation. Des phrases banales, peu consolantes se bousculaient entre ses lèvres, ne voulant guère sortir. Quelques mots s'assemblèrent puis furent portés par un souffle.

- Je te crois.

L'homme écarquilla les yeux. Trois syllabes inespérées, qui furent jusqu'alors inaudibles. Un signal attendu depuis bien trop longtemps. Salomé avait visé juste. En sa voix, elle avait apporté la confiance. Elle avait accordé une part de foi tant cherchée.

-  Merci, articula-t-il d'une voix rouillée

L'entretien s'acheva peu de temps après.

 

Lorsque la visiteuse sortit de la prison, elle réalisa avec effarement l'étendue de la liberté, l'ampleur des choix. Elle pouvait aussi bien prendre un café que flâner dans les ruelles ou rentrer chez elle en prenant divers chemins. Elle avait l'immense pouvoir de faire ce qu'elle voulait et d'aller où elle désirait. Savourer la profondeur du quotidien. Jamais elle ne sentit aussi libre qu'en cet après-midi. La jeune fille monta aussitôt dans le premier bus, regagnant son logement.

 

Le vendredi suivant, l'étudiante s'habilla rapidement d'un vieux jean et d'un pullover kaki. Elle ne portait aucun vêtement qui épousait ses discrètes courbes et sa silhouette menue. Elle ne possédait à son goût nul charme.

Elle quitta son appartement, marcha jusqu'à son arrêt de bus, la tête baissée, ne s'attardant pas à regarder les tristes bâtiments en bétons ou la fumée s'échappant des voitures. Les arbres nus étaient gelés par le meurtrier vent glacial de février. De grands panneaux affichaient des publicités aussi grossières que les produits qu'elles exposaient. Salomé soupira de cette laideur grise.

Dans le bus, elle examina le sol, de la poussière à l'emballage de bonbon, puis s'enfermait dans ses questions. Soucieuse, elle avait peur de ne pas être à la hauteur. Elle devait tendre la main à ce prévenu, apporter son aide. Elle avait à la fois hâte et peur de le revoir. Elle espérait que leur relation s'arrangerait, évoluerait avec le temps. Elle se sentait considérablement inutile. Durant toute la semaine, elle avait réfléchit, repassé en mémoire leur discussion, cherchant désespérément un indice. Jamais elle n'avait vu autant de souffrances en un seul homme. Comment lui venir en aide ?


Arrivée à la maison d'arrêt, elle déposa ses papiers d'identité, présenta le contenu de son sac à un policier, puis après avoir entendu son nom dans le grésillement d'un haut parleur, elle se dirigea dans la petite salle où Chris se tenait déjà, à la même place que la dernière fois. La bénévole fut frappée par l'aspect lugubre du détenu. Il s'avérait plus désemparé et plus fatigué. En discutant avec lui, avait-elle suscité plus de peine ?

De nouveau la réticence s'imposa entre ces deux personnes. Le condamné attrapa dans sa poche une cigarette, en proposa une à Salomé qui déclina l'offre. Tout en fumant, il jouait avec les cendres dans sa main, les glissait sur ses coupures. Il relata alors son triste sort en prison, ses journées « chiantes », ses repas pauvres en goût. Il se replia sur lui lorsqu'il sous entendait les agressions et viols qu'il avait subis. La bénévole l'écouta sans l'interrompre. Elle savait que l'écoute était essentielle et que le silence pouvait être consolant. Mais était-ce suffisant ?

Puis quelque chose semblait le perturber, l'évitant de croiser le regard de la demoiselle.

- J'ai…recommencé à faire des rêves la nuit, du dehors. Ou des cauchemars je ne sais pas.

Il jeta son mégot et frappa la table d'un poing.

- Fait chier ! s'exaspéra t-il

L'étudiante fut effrayée. Elle ne voulait pas le brusquer davantage. Sottement, elle se sentait coupable et le besoin de s'excuser la saisissait.

-  P…pourquoi ? risqua-t-elle

-  Dans mes rêves, je pose à peine un pied dans une petite salle jaune, lumineuse, que…une tâche difforme m'engouffre. Et là, il y a un brouhaha, des ultrasons. Quelques silhouettes sont perceptibles. Elles m'encerclent et me huent. C'est pénible. Je me réveille au milieu de la nuit, apeuré, en sueur.

La jeune fille essayait de décrypter ce songe singulier. Chaque détail devait signifier quelque chose, mais quoi donc ?

- Tu vois, les remords et le repentir sont du domaine de la lâcheté, pesta-t-il

- Pour qui ?

- Pour les autres. Ici, en taule.

Elle fut surprise que de telles règles et mœurs fussent imposées en prison.

- Mais…si tu ne veux rien apprendre de tes erreurs, tu n'avanceras pas.

Chris parut décontenancé par les paroles de la visiteuse.

- En acceptant tes contritions, continua-t-elle, en écoutant distinctement les sons de cette pièce noire, tu…pourras retourner dans la salle lumineuse.

Salomé devint écarlate et baissa aussitôt la tête. Elle venait de dévoiler son côté optimiste. Elle ressemblait à une fillette croyant encore aux contes. Elle s'attendait à ce que le condamné se moque.

- J'en ai trop… confia-t-il. Ou pas assez. En tout cas ça me déchire. J'ai l'impression que je vais imploser. Je ne sais plus quoi faire.

Les lèvres de la jeune fille rosirent, touchée. Elle avait une solution. Elle osa soutenir le regard du garçon.

- Je…je pense connaitre une solution à cela…L'écriture.

  • Coup de cœur.. Parce que, même si généralement je ne lis pas les histoires en plusieurs parties parce que j'ai peur de ne jamais avoir le temps de lire les autres chapitres qui suivent celui que j'ai lu, j'me suis dit "Vas-y, tu verras bien" ; parce que l'idée de base je l'aime bien, cette étudiante qui va à la rencontre d'un prisonnier ; parce que cette fille aurait très bien pu être moi ; parce que c'est très fluide, sans rien de trop ... Voilà voilà.
    P.S: deux petits défauts "un menton mal rasé et entaillé de cicatrices, il paraissait avoir traversé de nombreuses." je crois qu'il manque quelque chose non? un petit mot a disparu?
    "Lorsque la visiteuse sortit de la prison, effarement elle réalisa l'étendue de la liberté, l'ampleur des choix." pareil ici, j'ai eu un soucis avec "effarement" posé au milieu de la phrase en quelque sorte, j'ai pas compris. :p

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • Merci pour ton commentaire, je suis ravie que l'histoire te plaise.
      Merci d'avoir relevé les fautes, je les ai corrigées ! :)

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Dior bd   copie

      rosam

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