L'envol du corbeau et le chant de la mésange - Chapitre 3

rosam

-          Ça parle de quoi ? demanda-t-il

Salomé le regarda, perplexe, ne sachant pas s'il plaisantait ou non.

-          Tu…tu ne connais pas ? Ni même le dessin animé de Disney ?

Il lui jeta un regard noir.

-          Désolé d'être un prisonnier ignare, cracha-t-il, offensé

La demoiselle se sentit honteuse. Elle ne voulait pas le blesser, ni l'humilier.

-          Non… ce n'est pas ce que je voulais dire ! Désolée ! Mais…c'est un conte que l'on lit  de nos jours aux enfants…

-          Ce n'était pas le trip de ma mère.

Elle détourna les yeux, gênée par cet aveu.

-          Je suis vraiment désolée... balbutia-t-elle

Il resta silencieux, la considérant. Cette fille paraissait vraiment chagrinée alors qu'elle n'avait commis aucun tord et qu'il n'avait rien dit de triste.

-          Ne t'excuse pas, tu n'as rien fait de mal. C'est moi, je me suis emporté, et avant qu'elle enchaine, alors ça parle de quoi ?

-          C'est… une jeune fille contrainte d'aller vivre dans un manoir d'un monstre. Mais peu à peu, elle s'approche de lui et voit au-delà des apparences.

Chris eut alors une expression profonde, les yeux rivés sur le livre. Avait-il compris le message qu'elle essayait de transmettre ? Après un court geignement, il concilia :

-          D'accord je le lirai. Bon, parlons d'autre chose.

Je n'ai pas demandé des cours de littérature, pensa t-il. Salomé devint quelque peu nerveuse, n'étant peu douée pour entretenir une conversation autre que sur les lettres.

-          Parle-moi de l'extérieur, de ton quotidien.

-          Je n'ai pas une vie très intéressante…Elle est très ennuyante… confessa-t-elle.

A la vue du visage surpris et déçu du prisonnier, elle débita à bout de souffle :

-          Mais je peux te parler de mon amie Ambre ! Elle a une vie tellement mouvementée. Pas plus tard qu'hier, elle a dragué un homme d'affaire et…

-          Salomé, interrompit-il d'une voix posée, je m'en fous de cette Ambre. Parle-moi plutôt de toi et de ta vie ennuyante. Ça ne peut pas être plus chiant que mes journées en cellule.

Les joues de la bénévole s'empourprèrent, rivalisant avec sa chevelure. Ses prunelles devinrent humides. C'était la première fois qu'on la préférait à son amie, et curieusement cela ne la déplut pas.

-          Et que veux-tu savoir de moi ?

Il haussa les épaules.

-          Décris-moi où tu habites.

-          J'habite dans une résidence étudiante. Un vieil appartement dans un vieil immeuble.

Il sortit un briquet et alluma sa clope.

-          Quel étage ?

-          Premier.

-          Quel numéro ?

-          130 … Pourquoi ces questions ?

Le condamné exhalait la fumée, les paupières mi-closes, les traits détendus, avant de répondre.

-          Ces petits détails font la force du monde.

Il avoua ceci avec une telle droiture qu'elle en fut déconcertée. Le monde extérieur devait être l'eldorado pour les prisonniers.

-          Et la rue de ton immeuble est comment ?

-          Laide. Je respire la pollution à plein poumon.

Il grimaça.

-          Et sinon quoi d'autre ? L'état de la route, les panneaux, les feux, les voitures ? insista-t-il curieux

La demoiselle fut étonnée puis amusée par tant de questions sur des choses insignifiantes. Elle n'osa le regarder, embarrassée par la réponse qu'elle s'apprêtait à donner.

-          Je ne sais pas vraiment…, puis en voyant le visage outré du garçon, elle justifia, en fait dès que je sors, j'écoute de la musique. J'en oublie la réalité. Je me concentre qu'au son de la musique.

-          Tu rêves d'un monde meilleur ? en déduit-il après un bref silence

Elle baissa la tête, prête à recevoir des moqueries. Au lieu de cela, il lui offrit un rictus ressemblant à un sourire sincère.

-          Et bien, Salomé, même si nous sommes dans des conditions différentes, nous nous ressemblons.

La séance s'acheva sur cette remarque. Ils se quittèrent, frustrés de ne pas poursuivre la conversation.

En retournant dans sa cellule, Chris se maudissait. Comment avait-il pu faire une telle réflexion : « nous nous ressemblons » ? Salomé et lui étaient le jour et la nuit. Un monstre comme lui, un tueur différait d'une jeune fille pure et pudique. Qu'il était stupide et misérable.

 

Dans le bus, la bénévole repassait sa conversation avec le prisonnier.  Avait-il raison ? Observait-elle assez le monde qui l'entourait ? Elle ôta les écouteurs de ses oreilles, se détacha de Chopin et de Rachmaninoff quelques minutes, se confronta à la réalité. Elle contempla les immeubles oppressant la route. Des anciens bâtiments, très hauts, aux fenêtres sales de poussières, surplombaient les voitures rouillées roulant sur une route fraîche de goudron. Un faible rayon de soleil illumina une des façades, brilla sur les vitres en mille reflets, révéla des ombres, des coups de pinceaux grossiers sur les volets délabrés. Ce n'était certes pas artistique mais abondant en détails.

Les jours qui suivirent, l'étudiante se força à scruter du regard chaque recoin des ruelles, des édifices, des couloirs et portes de sa résidence. Peu à peu, elle prit goût à cette nouvelle occupation et s'amusait à noter minutieusement les habitudes de chaque personne qu'elle croisait. M. Ibrahim*, l'épicier, ouvrant sa boutique à 7h30 du matin, ramassait des oranges qui étaient tombées de son étagère et les remettaient discrètement sur le présentoir ; l'inconnu au chapeau, qui marchait aux alentours des 9h00 du matin, les yeux rivés au sol, évitant ainsi de poser ses pieds sur les besoins du caniche que Mme Groud, la régisseuse de son immeuble, promenait un quart d'heure plus tôt. Salomé s'engouait de reluquer d'un nouvel œil son environnement. Jamais elle n'avait autant réalisé la richesse du tableau qui constituait l'arrière plan de son quotidien.

 

Satisfaite de ses observations, elle s'empressa de les mentionner au prisonnier. Elle avait le visage relevé, ses cheveux étaient coincés derrière ses oreilles, et elle fixait les iris d'acier avec une petite pointe d'assurance. Ce dernier paraissait intéressé et rêveur par ces propos.

-          Tu vois, quand on prend conscience de la beauté qui nous entoure, on apprécie mieux la vie.

Salomé resta silencieuse face à cette remarque riche en sagesse. N'était-ce pas ironique que seulement encloitré dans une cage en béton on admirait l'étendue du monde ? La vie s'avérait cynique, affluée de paradoxe : une personne sourde réalisait mieux la hauteur des sons, un handicapé de la joie de courir… N'était-ce pas horrible de s'attacher à des choses une fois qu'on ne pouvait plus les atteindre ? Une interrogation lui vint alors à l'esprit et fila rapidement hors de ses lèvres.

-          Vois-tu de la beauté dans la prison ?

Chris écarquilla les yeux, ahuri. Etait-ce de la provocation ? Voulait-elle l'avilir, lui rappeler sa place dans cette société ? La bénévole saisit le malentendu et calma aussitôt la tempête qui menaçait.

- Je suis navrée ! Je ne voulais pas que tu le prennes mal ! Je suis si confuse…

Ces excuses rassurèrent le condamné. Cette fille était juste curieuse et voulait plus le connaître. Elle lui rappelait un enfant : innocente du mal qu'elle pouvait engendrer inconsciemment. Comment pouvait-il décevoir cette âme si chaste ?

- Pff…Je ne sais pas trop… murmura-t-il. Nous, les taulards, sommes des ordures. Certains nous qualifient de psychopathes, de bêtes sanguinaires. Alors la beauté est loin d'être dans un lieu réunissant de telles hommes, un lieu aussi répugnant. Mais…

Il marqua une pause, cherchant ses mots.

- Il y a ce vieux dicton « [i] Nous sommes tous parfaits aux yeux de Dieu [/i]».  Ca m'étonnerait. En quoi des personnes qui tuent peuvent-elles être parfaites ?  Puis j'ai compris que si la beauté n'était pas en nous, elle était dans la façon dont les autres réagissent avec nous, face à cette pénurie de beauté. C'est vrai, je n'ai jamais rien vu de plus beau que les bénévoles qui viennent nous soutenir, nous aider… et qui nous regardent comme des êtres humains.            

Sa voix étouffait un sanglot. 

Salomé fut émue par cet aveu si sincère et si triste. Spontanément, elle posa sa main sur la sienne sur le bureau. Elle ressentit un léger frisson, sa peau étant froide, rigide, et pourtant le contact se révélait fébrile. De sa paume, elle pouvait sentir les veines et fines coupures qui tranchaient la chair du condamné. Réalisant son geste, elle voulut retirer son bras. Comment avait-elle pu faire un geste indécent dans ce lieu ? Mais  cela ne semblait pas le perturber : sa main restait immobile et semblait se décontracter sous la chaleur du geste.

- Merci, souffla-t-il

 

Salomé méditait sur la réflexion du jeune homme jour et nuit. Elle était tellement bouleversée par ses paroles. Il était mature contrairement à elle. L'étudiante apprenait tout à l'école et dans les livres. Lui, avait retenu les mauvaises punitions à l'école et c'était la déchéance de la société qui l'avait formé et cultivé. Or, lui seul comprenait le véritable sens et l'envergure de la beauté. Il savait regarder le monde, avec ou sans barreaux devant ses yeux.

 

Dans l'amphithéâtre, l'étudiante écoutait passivement Ambre qui relatait ses dernières aventures. A quoi définissait-on l'intéressant ? Comment différencier une vie ennuyante et une vie fascinante ? Si on narrait un évènement peu distrayant avec de l'entrain, du suspens, ne deviendrait-il pas épatant ? Est-ce que tout serait relatif ?

Elle se tourmentait, tant de questions se mélangeaient. Elle voulait comprendre. Pourquoi Chris ne se souciait pas le moins du monde de son amie ? Qu'est-ce que Salomé avait de plus ? Cette dernière s'était toujours montrée fascinée devant la jolie blonde, celle qui parlait avec maîtrise. Il était ainsi dur pour elle de remettre cette admiration en cause. Et pourquoi Ambre ne l'écoutait à peine alors que le détenu n'attendait que le son de ses paroles ?

 

 « Ses sujets le virent avec joie ; et il épousa la Belle, qui vécut avec lui fort longtemps, et dans un bonheur parfait, parce qu'il était fondé sur la vertu. »

Chris replia la couverture rigide sur cette dernière page. Il savoura sa lecture, huma les ultimes images qu'il s'imaginait. Ce conte était très sympathique. L'aurait-il plus apprécié enfant ? Il ne saurait dire. Cette histoire l'avait particulièrement affecté. Il se confortait dans la Bête, un animal exclu. Sauf que la Bête était un prince, plein de bonté et admirable, tandis que le condamné n'avait aucun cœur qui prônait. Le seul mal qu'avait fait le dauphin fictif était de ne pas donner de l'argent à une mendiante ; lui, il avait fait bien plus pire. Et il n'existait pas de conte sur un criminel.  L'arrêté avait deviné le message de Salomé par delà le livre, mais il était convaincu qu'un prisonnier était le mal incarné, un être sanguinaire comme ce que l'on peut voir dans les films.

Néanmoins, lorsqu'il discutait avec sa visiteuse, des doutes germaient, des idées absurdes naissaient. Il se sentait étrangement vivant et humain. Il voyait comment la petite rouquine semblait s'émerveiller au timbre de sa voix, et comment certains mots la l'émouvaient. Puis sa main sur la sienne…Le prisonnier avait été d'abord surpris. Personne, ni lui-même, ne voulait les toucher, meurtrières, tachées de sang et de culpabilité, elles qui lui rappelaient à jamais son pêché commis.

Alors pourquoi Salomé a-t-elle osé faire ce pas ?

Au contact de sa peau, il voulait ôter sa main. Mais celle-ci semblait morte, glacée, ancrée dans la table. Impossible de la bouger. Le sang paraissait ne plus circuler pourtant il tourbillonnait. La paume de la jeune fille était douce, une belle chair sans discontinuité. Elle se voulait réconfortante. Or, on n'apaise pas le mal.

 

Chris s'assit en face de Salomé, dans l'habituelle petite salle. La pièce paraissait plus lumineuse, les murs fraichement recouvert d'une peinture verte pistache. L'endroit était anormalement très propre, le sol brillait.

Le détenu s'empressa de lui annoncer l'achèvement de La Belle et la Bête. Il se montrait passionné et fier d'avoir lu ce livre. La bénévole captivait son enthousiasme comme une victoire personnelle.

-          Si…si tu as aimé ce thème, tu peux lire L'Homme qui rit  de Victor Hugo, suggéra-t-elle

Elle nota la grimace de l'arrêté au nom de l'auteur.

-          Je…je sais que le style d'écriture n'est pas le même, mais…

-          Ce n'est pas ça le problème, coupa-t-il. Je n'aime pas Victor Hugo.

-          Pourquoi ?

-          C'est d'un ringard ! Ses livres sont chiants, périmés depuis des siècles ! Au lycée ça me saoulait.

Il ne continua pas, se rappeler du passé avait fait surgir une douleur au ventre.

-          Je…je ne suis pas d'accord.

Il la dévisagea, perplexe.

-          Si tu ne veux pas le lire c'est ton choix. Mais Victor Hugo n'est pas ringard, ni chiant, ni périmé… Au contraire. A son époque, il était un révolutionnaire. Il n'hésitait pas à pointer les failles de la société, armé de sa plume. Il défendait les conditions des pauvres, et …des prisonniers.

Le jeune homme resta silencieux, pensif.

-          Tu sais…, poursuivit-elle, souvent on a l'impression que les écrivains sont des vieux « intellos ». Mais ils ont bien plus de caractère. Il faut connaitre leur temps, l'histoire et leurs mœurs pour mieux les comprendre. Certains peuvent même se révéler amusants.

-          J'attends voir ça, défia-t-il, intrépide

 

La séance suivante, le sac rempli de livres et feuilles, elle le brava. Elle sortit des lettres de George Sand et Alfred de Musset. Après une courte biographie de ces auteurs, elle invita Chris à lire la correspondance.

-          Nul, ennuyant, incompréhensible, conclu-t-il

-          Je ne crois pas. Lis cette lettre une ligne sur deux.

Il obéit puis s'esclaffa.

-          Alors ringard ?

-          Non, pervers.

Salomé sourit et montra d'autres lettres, détailla la vie de certains écrivains puis enchaina une série d'anecdotes sur des auteurs. Elle expliqua des poèmes, des textes d'Anna Karénine de Tolstoï à Rhinocéros d'Ionesco en passant par Un Roi sans divertissement de Jean Giono.

-          Souvent les personnes n'aiment pas les vieux romans, car ils ne comprennent pas le sens caché. Mais dès que l'on saisit toute l'ampleur de chaque phrase, on ne peut se montrer qu'admiratif.

Remarquant le visage incrédule de son interlocuteur, elle poursuivit.

-          Il m'arrive parfois de somnoler en lisant Voltaire, mais pour me passionner je m'imagine l'auteur écrire ses lignes. Je le vois alors corriger les phrases, chercher la bonne tournure, le mot adéquat, appréhender la réaction du lecteur. L'œuvre parait ainsi plus proche, plus vivante .Je sais que les goûts de chacun diffèrent, mais je suis persuadée que tout le monde peut trouver son bonheur en lisant un livre. Peut-être que les vieux romans ne te sont pas très intéressants mais tu peux toujours gouter un bouquin de nos jours, une comédie, une histoire sentimentale, quelque chose de moderne qui saura te transporter. Il arrive parfois de tomber sur des perles, qui, pourquoi pas, deviendront des classiques pour les générations suivantes.

Elle lui conseilla ensuite quelques titres, prêta des ouvrages qu'elle avait amenés. Chris la remercia puis songea quelques instants.

-          Dis-moi…Quel métier veux-tu faire plus tard ?

-          Je…j'aimerais bien ouvrir une libraire…

Il lui offrit un clin d'œil.

-          Tu feras de bonnes ventes.

 

 

            La jeune fille s'enroula dans les draps et sa couette. Le mercure de ce mois de mars déroutait le thermomètre. Elle éteignit la lumière.

Salomé revivait l'entrevue de la veille. Jamais elle ne s'était montrée aussi extravertie. Pis, jamais elle n'avait vu son interlocuteur aussi captivé. « Je peux donc être intéressante », jugea-t-elle.

Sa tête s'enfonça dans l'oreiller.

            Elle étala la nuit de ses paupières.

Elle se retourna, gesticula moult fois, les membres lourds. Salomé était mal à l'aise dans chaque position. Agacée, elle jeta un œil à son radio réveil. Deux heures s'étaient écoulées et elle n'arrivait toujours pas à s'endormir. Elle était en sueur, retirait ses draps, puis elle avait froid et les remettait sur elle. Elle s'agitait, embêtée de ne pas trouver le sommeil.

 

Dos à la télé allumée, Chris écrivait dans son cahier. C'était devenu une habitude le soir. Cela lui procurait un bien fou comme si ses émotions se confondaient dans l'encre noire jaillissant du stylo. Il inscrivait ses pensées du jour, ses rêves et ses peurs, tout en écoutant à moitié la télévision.

 « Et maintenant, voici une des reprises les plus connues… Man who sold the world » de Nirvana.

Des grattements de cordes de guitare résonnèrent. Lancinent, pénétrant, instable.

Le stylo se fissura. Le sépia se libera, envahit la feuille blanche.

« We passed upon the stair, we spoke of was and when
Although I wasn't there, he said I was his friend »

Tout devint flou. Les murs se resserraient, l'air l'oppressait.

« Oh no, not me
I never lost control
 »

Son poing heurta la table avec fracas. Ses ongles griffèrent le bois puis ses bras, sa peau, ses veines.

« You're face to face
With The Man Who Sold The World
 »

La voix faisait écho et chaos dans sa tête. Les mains sur son crâne, il essayait d'éteindre cette chanson. Ne plus jamais l'entendre. OFF…OFF…

Tous ses sens étaient aigus. Chaque bruit résonnait. Son corps l'emprisonnait dans une cacophonie.

 Il vit alors son sourire, son dernier regard rivé sur lui. Ses paupières qui closent à jamais sa vie.

«  I searched for form and land, for years and years I roamed  »

Il cogna la porte métallique. Il brisa le miroir. Damné au milieu des éclats. Le poing rouge. Il hurla, un cri, un râle.

 «We must have died alone, a long long time ago
Who knows? not me
 »

Il se déchaina sur les meubles. Toutes ses forces. Le sang s'allia à ses larmes. Il suffoqua, cracha.

 « With the Man who Sold the World  »

Il ne s'aperçut pas qu'il frappait un autre homme. Ni d'autres mains qui l'attrapèrent.

Tout redevint néant dans cette pièce vacante.

 

Salomé se laissa fouiller par des surveillants entre deux bâillements. Elle avait bu tout le café possible pour rester debout. Un jeune gardien arriva avec le prénom Christian écrit sur sa veste.

- Bonjour mademoiselle Everitt. Vous venez voir Chris Carter ? l'accosta-t-il

Elle acquiesça tandis qu'ils marchèrent en direction du parloir.

- Je doute que vous puissiez lui parler normalement ce matin. Hier soir, il était extrêmement violent.

Elle tourna brusquement la tête, hébétée.

-          Comment cela ?

-          Il hurlait, frappait les murs. Une crise de nerf et d'angoisse. C'est fréquent chez les prisonniers. Nous avons dû lui injecter des calmants.

Elle ne savait que dire, n'arrivant à imaginer de telles choses. Elle avait tant de questions…

-          En fait-il souvent ?

-          Non. Cette année il est particulièrement calme et…mature. Il avait 17 ans quand il est arrivé ici. Il était agressif, ne dormait pas la nuit et il faisait de nombreuses crises. Je ne pense pas qu'il soit vraiment conscient de ce qu'il s'est passé, et il est encore sous l'effet des médicaments, alors évitez de lui en parler, s'il vous plaît.

Elle demeura silencieuse, attristée, puis avec une pointe d'anxiété entra dans la pièce. Le détenu était assis, immobile. Il paraissait assommé, les yeux rougis et les pupilles dilatées. Il tenta de parler à plusieurs reprises, mais difficilement, la mâchoire lourde, les paupières tombantes. Puis il s'écroula sur la table, abattu par la fatigue.

Salomé retira délicatement deux cheveux charbon collés par la sueur sur sa peau. Elle le contempla. Elle était tellement inquiète de le voir si faible. Pourquoi avait-il sombré ce soir-là ?

Puis à son tour elle s'assoupit, le visage près du sien.

 

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*J'adore Eric Emanuel Schmitt, alors dès que l'occasion se présente, je le rappelle :)

 

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