Léo et Léa
kitty95
— J'aimerais vraiment continuer cette conversation chez vous, par exemple…
— Chez moi ? Impossible, je vis chez ma fille.
— Et alors ? Où est le problème ?
— C'est-à-dire que… ma fille se couche de bonne heure…
— Même le samedi soir ?
— Ben… Oui.
— Vous avez peur qu'on la dérange, c'est ça ?
— Absolument.
— Pas de souci, nous prendrons soin de ne pas faire de
bruit.
— Ce n'est pas tout… Elle est très possessive.
— Ah ? Mais si elle dort, elle ne se rendra même pas compte de ma présence !
— Si, elle vous verra puisqu'elle ne sera pas couchée quand nous arriverons et elle exigera que je reste avec elle jusqu'à ce qu'elle s'endorme…
— Comment est-ce possible ?
— J'ai oublié de préciser que ma fille a 6 ans…
— Dans ce cas, c'est elle qui vit chez vous et non l'inverse !
— C'est bien là le problème…
Et voilà, encore un qui me prend pour une folle. A juste titre, d'ailleurs. Comment peut-on imaginer qu'une femme divorcée de quarante-cinq ans soit encore sous la coupe d'une petite fille tyrannique ? Il est vrai qu'à cet âge-là, les femmes sont souvent sorties des couches et autres tracas occasionnés par les enfants en bas âge.
Surprise ! Il ne bouge pas, me regarde fixement, un sourcil levé, perplexe. Il ne fuit pas. Il ne prétexte aucun rendez-vous urgent l'obligeant à remettre notre conversation à plus tard, c'est-à-dire jamais. Son silence me met mal à l'aise. Finalement, je préférerais qu'il déguerpisse comme les autres, confortant l'opinion que j'ai des hommes : tous des égoïstes !
— Je ne vois pas de solution, alors… reprend-il soudain, en s'éclaircissant la voix, si ce n'est…
— Si ce n'est quoi ?
— Que je patiente chez vous jusqu'à ce que votre fille s'endorme.
— Impossible ! Vous sachant présent, elle n'arrivera pas à fermer l'œil !
— Autre solution, vous rentrez, vous m'appelez dès que le champ est libre… et je vous rejoins.
Devant mon silence, il ajoute en me tendant sa carte de visite :
— Voici mon numéro.
Sur ces paroles, nous échangeons une poignée de mains. Je promets d'appeler, il promet de me rejoindre. Je bous intérieurement, sidérée par la tournure des événements. Celui-là ne manque pas d'audace, ni d'assurance. Il n'y a pas eu l'ombre d'une hésitation dans sa façon de me dire « à tout à l'heure ».
Je le regarde s'éloigner d'un pas allègre vers le métro. Voilà qu'il se retourne pour m'adresser un grand signe de la main. Statufiée, je ne réponds pas à son geste. Lorsqu'enfin il disparaît de ma vue, je prends la direction de mon appartement où Léa m'attend avec sa nounou. Arrivée à destination, je reprends ces gestes mille fois répétés depuis la naissance de ma fille : repas préparé à la hâte, bain, câlins, histoire racontée en bâillant. Alors que je m'apprête à me coucher à mon tour dans mes draps glacials, je repense à Olivier, l'homme que j'ai rencontré aujourd'hui à un colloque sur les O.G.M et avec qui j'ai pris un verre avant de rentrer.
Je retourne sa carte de visite dans tous les sens, comme si elle me brûlait les doigts. Je finis par composer le numéro. Une sonnerie, deux, trois. Alors que je me décide à raccrocher, sa voix me répond.
— C'est vous Lætitia ?
— Oui…
— Je n'y croyais plus. Donnez moi-vite votre adresse, je saute sans un taxi et je vous rejoins. Nous ne serons pas longs, me dit-il précipitamment avant de raccrocher…
« Nous ? » Qu'est-ce que cela signifie ? Perplexe, un rien agacée, je me mets à faire les cent pas dans l'appartement. Réveillée par cette agitation, Léa débarque dans le salon avec sa peluche préférée dans les bras.
On sonne. Je vais ouvrir, ma fille sur les talons. Olivier me sourit sur le pas de la porte. Il tient un petit garçon à l'air maussade par la main. Apercevant Léa, le gamin écarquille les yeux.
— Tu t'appelles comment toi ?
— Léa.
— Alors ça, c'est marrant ! Moi, c'est Léo ! On va jouer ?
J'esquisse un sourire à mon tour… en pensant à la vie qui nous réserve parfois de jolies surprises.
Excellent!
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher