L'équinoxe des printemps

christophe-lasserre

I

Le jeune chien enroulait sa langue rose et humide autour de son sexe turgescent lorsque, pris d’une ardeur soudaine, il se mit à laper si furieusement que de minces filets de bave s’effilochèrent dans le soleil qui dardait ses rayons à travers les branches sinueuses des arbres centenaires. La lumière pénétrant ainsi l’élément liquide donnait à ce dernier l’aspect d’une perle étrange et éphémère. Le chien poussa alors un grognement désappointé, ses oreilles se dressèrent et il se mit aux aguets puis, s’ébrouant entre deux agaves qui tendaient leurs faisceaux de glaives dentelés, il disparut dans des buissons secs, dont les feuilles luisaient dans l’ombre des micocouliers de l’île de Naxos.

Alors que le tournant du chemin qui menait de Sangri au temple de Demeter était vide, on pouvait entendre entre le bruissement que produit le vent et le grincement intermittent des cigales, le son de clochettes lointaines, celles qu’agitait une troupe de trois beaux éphèbes et trois vierges. 

La procession s’étendait en une belle farandole qui serpentait, éclatant du blanc des minces toiles qui couvraient les corps nubiles sur le chemin de terre battue dont la poussière, soulevée par les douze jambes qui frappaient le sol, faisait comme un nuage rouge sang autour des mollets nerveux. Les jeunes élus dont les formes fermes et duveteuses saillaient sous les vêtements collés à la peau tant par le vent que par la douce moiteur de la fin d’après-midi frappaient leur tambour, des pétales de fleurs s’égaillant des couronnes posées sur leurs têtes, ils psalmodiaient dans le vent léger le chant sacré de Dionysos «Évohé, Évohé».

L’île de Naxos, outre qu’elle fût l’une des Cyclades les plus puissantes faisait montre d’une richesse spirituelle tout particulièrement prégnante autour de Sangri où se concentraient les influences des cultes apollinien et dionysiaque mais aussi ceux de Demeter et des mystères d’Asie mineure. À l’aube de la chrétienté, ce lieu était ainsi devenu le creuset d’un polythéisme fécond où le culte de la vie s’accompagnait tous les sept ans d’une cérémonie étrange. Trois jours durant, enfermés dans une vieille bâtisse du village, les jeunes gens s’isolaient et priaient les dieux, séparés, jeûnant. Les poumons saturés d’encens dans leurs cellules, seuls les psaumes qui s’échappaient de leurs lèvres desséchées résonnaient dans la pénombre. 

Ils étaient libérés alors, lavés et parfumés, on leur donnait des fruits secs et de l’eau clair, on leur tressait des couronnes de fleurs odorantes. La ville éclatait dans une fête débordante qui devait durer jusqu’au retour des élus. Ces derniers foulaient alors la poussière du chemin qui menait au temple et durant deux longues heures, se nourrissant de noix, buvant un vin blanc, ils dansaient, se laissant pénétrer doucement par la transe. Lorsque le temple était en vue, les filles devaient commencer de frotter leurs sexes avec des olisbos de cuir excitant ainsi l’ardeur des jeunes mâles.

II

Le poignet fin et bronzé de Séléné s’agite doucement, dessine des cercles concentriques, entourant encore et encore le point de son nombril. Sa main se fait moite tandis qu’elle serre fermement le manche de cuir qui froisse la toile blanche et, saillissant son entrecuisse, laisse deviner la toison noire, comme ses cheveux, qui surplombe ses lèvres. Imaginer alors celles-ci qui se gonflent doucement tandis que s’ouvre la vulve qui laisse alors perler un doux liquide. Sa bouche mince et brune s’entrouvre, elle secoue alors ses cheveux d’une manière adorable, adoucissant ainsi l’angle de ses pommettes, encadrant ses grands yeux noirs alors que dans le soleil, les silhouettes d’Ariane et Ascalis et les dos musclés d’Endymion et Cédalyion ondulent de concert, entre les arbres. 

Je sens poindre en mon bas ventre une chaleur qui irradie tout mon corps, mon bassin semble animé d’un fourmillement qui court entre mes cuisses, mon sexe se tend à la manière des chiens que j’ai vus, s’accouplant à l’ombre des arbres, près du ruisseau. Je discerne maintenant dans l’air comme une odeur musquée et qui se mêle à celle, capiteuse, des fleurs, qu’accompagne une autre, plus poivrée, de nos corps moites et chauds. Et la silhouette du temple grossit progressivement comme en moi monte une vague dont je ne sais pas si elle doit m’emmener vers des contrées inconnues ou si je vais m’y noyer, m’y fondre tout entier. 

Nous foulons enfin la dalle de marbre frais en passant entre les lourds piliers du temple. Mu, comme étranger à moi même, je me rue sur Séléné dont j’enlace les hanches de mes bras, mes jambes ne me soutiennent plus, mon visage, s’abandonne dans les plis de sa robe qui ne couvre plus qu’à peine ses fesses minces. Je sens contre ma joue le soyeux duvet qui couvre sa peau. Mon nez fouisse dans sa chair et s’immisce entre les deux pêches juteuses et rencontre la membrane moite qui en constitue le centre, elle s’agenouille et gémit tendrement. Son odeur de terre humide, parfum envoutant, m'enivre tandis que ma lèvre inférieure caresse d’avant en arrière les deux petits bouts de chair que je sens se boursouffler de sang. Mon menton se couvre d’un onguent délicieux comme elle attire, se cambrant pour mieux m’atteindre, ma tête au plus profond d’elle. 

Reprenant ma respiration, je peux la voir qui abandonne sur le sol l’olisbos de cuir. Elle attire à elle Ariane et baise sa toison rousse; de son bras libre, elle enserre ses fesses blanches et généreuses, tandis que sa bouche se fraie un chemin dans le labyrinthe des poils, jusqu’à trouver l’ouverture des lèvres couvrant son petit bouton rose qui point comme un minuscule obélisque. Sa langue dessine alors comme une muraille protectrice autour de celui-ci et Ariane se pâme, prise de frisson, ses cuisses d’albâtre se couvrent de rigoles luisantes, elle s’agrippe à la chevelure épaisse et noire de Séléné. N’y tenant plus, j’empoigne mon vit dont le gland a jailli, rubicond, et caresse l’orifice satiné de ma compagne, comme elle le faisait peu avant avec le bâton de cuir.

III

Séléné se cambre, le visage tendu par le plaisir, dans son dos, un corps, chaud comme le sien, se serre et le bras puissant de Leucippos fait comme une ceinture au-dessus de ses hanches fines et osseuses. Les doigts de l’homme jouent avec son téton qui surplombe son petit sein adolescent, le pince et le vrille. Sa langue douce et chaude de femme, soudain, cesse sa course endiablée et s’applique, comme apaisée, entre mes cuisses, sur la protubérance du plaisir. Tout tourne autour de moi, je sens des vagues de chaleur qui déferlent et atteignent mon nombril. Ma tête tombe en arrière, mes jambes tremblent et flageolent. Sa main se fait plus ferme sur mes reins et m’empêche de choir. 

Je vois alors derrière moi, Ascallis, entièrement nue, sa tunique blanche abandonnée sur le sol de marbre, à ses côtés. Elle est, à la manière des chiennes s’offrant au printemps, à quatre pattes, Endymion a saisi sa chevelure blonde de son poing massif et imprime à sa tête un mouvement de va et vient. De sa bouche sourd deux filets de bave tandis que le sexe rouge dont on peut voir les veines qui saillent se fraie un passage entre les deux lèvres fines avant de disparaître tout entier. Cédalyion, accroupi, les deux mains appuyées contre ses reins suit la même danse, ses fesses se tendent à la rencontre de la chair et dessinent ainsi deux petites fossettes. 

Un souffle chaud environne alors mon aine. Les yeux de Séléné se ferment si fort que des ridules apparaissent et viennent prolonger l’amande de ses paupières. Leucippos tenant son sexe, la pénètre doucement, son gland luit comme couvert d’un baume précieux avant  d’être avalé par la vulve béante de la jeune fille, je m’agenouille à mon tour, et baise les lèvres salées de Séléné, les enserre entre les miennes, mes mains se joignent à celle de son amant et caressent ses seins, les pressent tant que je puis sentir ses tétons durcir sous le frôlement de nos doigts. 

Je m’allonge alors sur le sol et emprisonne sa tête entre mes cuisses. «Bois, bois, mon amie à la source d’Aphrodite !» De mes mains, je caresse les fesses luisantes de Cédalyion avant que de malaxer tendrement ses bourses qui balancent d’avant en arrière comme un pendule. Il pousse alors un gémissement satisfait. Ma main glisse et suit la forme de son dos, les muscles qui saillent sous la peau étonnamment claire; la pointe de mon index court entre ses deux fesses fermes comme des pommes vertes, chaudes comme une brique au soleil, et vient masser en cercles concentriques les muqueuses de son anus. Endymion abandonne alors la bouche hospitalière et de ses bras puissants me soustrait à la langue douce de Séléné, il me retourne si bien que je fais face au visage anguleux de celle-ci dont les joues se sont empourprées sous le va-et-vient viril de Leucippos. Je sens contre mes genoux le marbre dur et froid, et me retournant, je vois Endymion, le regard comme égaré, qui saisit son sexe violacé et luisant, d’un coup, il me pénètre. Je sens en moi un membre dur et chaud et ma bouche se désaltère à celle de Séléné. Dans le temple ouvert aux éléments, on n’entend alors que nos souffles profonds et nos gémissements lascifs.

IIII

Le glaive brûlant d’Endymion quitta ma bouche, celui de Céladyion poursuivit sa besogne. Je pouvais sentir le haut de ses cuisses s’imprimer sur mes fesses et son souffle rauque caresser ma nuque. Arquant mes reins, je me relevai alors, ceignit le bassin de mon amant d’un bras tandis que l’autre caressait sa nuque chaude où poussait un duvet noir qui n’était pas sans rappeler la douceur du plumage des jeunes oiseaux. Nous pivotâmes, ainsi joints, afin de nous mêler aux autres dont l’entremêlement des corps et des soupirs faisait penser à la confluence des ruisseaux de montagne qui, joignant leurs flux, communient et coulent vers un but commun. 

Alors que la verge dure de Céladyion touchait un point sensible dans mon corps, je gémis de plaisir sentant une secousse semblable à celles qui animent la terre. Ses mains me cambrèrent un peu plus, lors, continuant de jouir, je me mis à laper l’anus d’Endymion. Ses bourses qui, par intermittence, venaient cogner mon menton, je les léchai, les aspirai comme les noyaux des prunes pour en détacher la chair la plus goûtue. Remontant ainsi de ses testicules jusqu’au centre de ses fesses, je sentis ce dernier s’ouvrir lentement, j’y introduisis mon doigt qui fut accueilli par une membrane chaude et moite. Je l’agitai ainsi jusqu’à ressentir une boule qui grossissait et la massai, provoquant chez l’homme des gémissements sourds qui suivaient le rythme de mes mouvements. 

Les yeux clos, je ne pouvais discerner qui me touchait, qui gémissait à mes côtés, nous faisions corps avec le temple, avec les étoiles, nous étions Tout. Nous n’étions que courbes et angles brisés, un entrelacs de corps s’agitant et frémissant de plaisir. 

Mon doigt continuait de fourrager lorsqu’un vit rencontra mon autre main, celle-ci, moite, glissa frénétiquement comme animée, des lèvres rencontrèrent les miennes, une langue caressa ma langue. Je pris un olisbos sur le sol de marbre et l’introduisis dans l’orifice béant de Céladyion. Je sentais grossir le sexe en moi dont les veines pulsait une vigueur qui semblait infinie. Son mouvement s’accéléra dans le même temps que ma main joignit le sexe à un autre sexe. La verge en moi se fit tronc et cogna contre un point qui me fit me mouvoir furieusement, tout mon corps s’animait, je mordis une chair gémissante tandis que, prise d’une convulsion, il me sembla que mon corps était un faisceau d’ondes qui me transperçaient. Ma vulve éjacula une pluie d’un liquide transparent, et je sentis Céladyion jouir en moi, par tressautement, comme son corps s’évanouit sur moi et me berça, chaud. 

Dans le même temps, toutes les chairs vibrèrent, un liquide chaud vint baigner mon visage, des cheveux longs me caressèrent le dos, avant qu’une tête vînt se reposer sur mes reins. Tout s’apaisa, nous ne faisions qu’un.

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