Les animaux du quotidien
Esther J. Hervy
Je la regardai mâchouiller avidement les restes de ce je présumais être un hamburger. Elle avait l'œil fixe et suintant, la truffe humide et les joues gonflées de graisse que l'enchaînement des rations avait fini par faire enfler. Le poil blond bien lissé on aurait tout de même dit qu'elle avait fait un effort certain pour paraître à son avantage. Mais comment était-ce possible ? Seuls les être humains sont capables d'un essai de mise en valeur.
Ses grosses pattes striées de petites lignes blanches bougeaient comme de la gelée qu'un anglais aurait servi au dessert. On aurait dit de petites pistes de ski. Un village de montagne pour acariens. Une carte routière pour parasites. Elle ouvrit la gueule puis la referma. Une bouchée avait pris le mauvais chemin. Elle toussa, secoua la tête puis déglutit. Ses narines cherchèrent l'air un instant. J'avais eu le temps de voir la viande presque liquide coincée entre chaque dent. Elle continua finalement de mâcher les restes de son repas comme si de rien n'était. Les yeux à nouveau posés sur son téléphone, le regard vide et les lèvres encore parsemées de miettes, elle essuya ses lèvres d'un revers de ses grosses mains.
Elle me jeta un rapide coup d'œil dénué d'expression, se leva avec difficulté et quitta la salle d'un pas lourd et traînant. J'avais le cœur au bord des lèvres. Cette vision grotesque d'un quotidien des plus ordinaires me fila le cafard. Je regardai autour de moi ces gens ternes et sans saveurs. Ils étaient gris, fades, poussiéreux. Monochromes de la tête aux pieds. Et même si certains d'entre eux souriaient, ils ne pouvaient duper qui que ce soit d'un peu attentif : la misère de leur existence dégoulinait de leurs pores crasseux bouchés par la crème bon marché.
Esther J. Hervy @2015
J'aime bien le monochrome. Je suis persuadé qu'il n'existe pas. Il y a toujours, forcément une nuance.
· Il y a presque 9 ans ·jom