Les bien malheureux
sisyphe
C’est lorsque les souffles sucrés et les charmes particuliers qui les accompagnent entrebâillent doucement les battants d’un été plein de promesses que, traditionnellement, les amours des jeunes gens refleurissent et embaument suavement ce petit bourg près de la mer. A la faveur des embruns qui chatouillent langoureusement les visages, les jeunes gens se rassemblent tous, se baignent dans la joie qui inonde les rues puis dans la mer où ce bonheur se prolonge. Ce fut dans ce cadre là que je tombais dans le piège amoureux, comme prit dans les filets de l’habile pécheur où se massent tant d’autres, pareils à moi. Me joignant à mes condisciples, j’errais avec l’éternel sourire des jeunes bienheureux en été. Les mains étaient bien plantées dans les poches de mon pantalon dont les traits se plissaient à chacune de mes avancés. A l’approche de la plage qui étalait son sable aux yeux des passants comme un horizon, eldorado chargé d’or, le vent se faisait plus présent et plaisant, chargé d’idées marines de liberté. Inébranlable dans ma démarche, je trainais mes sandales dans l’étendue imbibée de soleil chauffant à blanc les flancs des vacanciers qui se plaisaient à brûler dans un fantasque ballet de viandes grillées. Je passais au milieu de ces cadavres de vie, inconscients de leur ineffable inertie. Si la joie collective avait pu m’emplir du bonheur propre aux jours ensoleillés, la vue de ces larves de sable m’avaient rendu au pessimisme de la misanthropie. Me trainant plus que marchant sur ce chemin de croix maintenant devenu si long, je laissais mon regard se perdre au loin. Le malheur qu’il lui prit de se perdre si loin !
Dans l’infinie et noire plaine que l’horizon m’était devenue, noyé dans les obscurs et violents rayons célestes, venait d’apparaitre une clarté plus vive que tous ce qui était présent et se réclamait du vivant. On ne peut dresser la nomenclature des charmes d’une femme, on est subjugué par le tout indivisible qu’ils forment. Il serait banal mais néanmoins juste d’appeler cette créature un ange. Elle était de ces êtres qui vous attirent hors de votre torpeur quotidienne. Dans ce quotidien embrumé elle était de celles qui vous donnent la fulgurante nostalgie d’un battement d’aile vers la liberté, du chant aigu et matinal d’un oiseau, de la course lente et éternelle du soir et du soleil, c’était une apparition qui redonnait à ma vie ses couleurs originelles. Nature fleurissant dans la ville, vie parmi la presque mort, éclat dans la froide torpeur de ma vie, voilà ce qu’elle fut. M’arrachant avec peine à la contemplation enivrante de son être, il me fallu trouver le courage d’avancer à sa rencontre. La distance nous séparant s’amenuisant, l’importance de sa personne dans mes yeux ne faisait que s’accroitre. Puis ce fut la peur qui me saisit le cœur et me coupa les jambes. Je me trouvais là, immobile ; un insignifiant obstacle sur sa route auquel elle ne prêterait aucune attention. Et puis, il y avait cette idiote envie qu’elle ne me remarque pas, comme pour me conforter dans ma solitude, et qu’elle passe son chemin, que je n’ai pas à me sortir de ma silencieuse contemplation. Alors que j’arrivais ç sa hauteur, son portait m’emplit la vue et ce fut la seule beauté que je puis me rappeler.
Aucune créature foulant la terre ne supporte la comparaison. Elle était le fruit de tout ce que la création a de plus beau. Comme pour souligner sa divine filiation, en effet elle devait être déesse ou descendante d’une, tout se prêtait à mettre sa beauté en valeur. Les vents se conjuguaient pour apporter son délicieux parfum, fragrance sucré qui saisissait véritablement mon corps, engourdissait mes membres. Surement que mon trouble, en mon esprit, la grandissait mais sa présence n’était semblable à nulle autre. Les délicats plis de sa robe presque nacré se mouvaient amoureusement dans une dance langoureuse avec le vent qui épousait ses formes. Dans la désolation que je parcourrais, elle était ce voile blanc que l’on croise, flottant au dessus des flots, plein d’histoire et d’espoir pour le naufragé. Perdu dans la blancheur éclatante de sa robe, perlait une majestueuse fleur de sang. Un œillet rouge vif, seule violence au regard dans la composition de cet être. Pour le peu de temps que je la croisais, je put me perdre dans l’immensité verte de son regard. Il me captivait et j’y trouvais tous les bonheurs qu’on peut éprouver à se perdre dans la nature que cette couleur rappelait.
Mais cette beauté ne dura pas longtemps. Continuant sa marche, insensible de moi, elle finit par me laisser derrière, encore plus ébetté. Toujours immobile, piégé dans mon amoureuse stupeur, je la laissais s’enfuir vers d’autres horizons qu’elle avait à embellir. Elle glissait de mes doigts, c’était un sable trop libre pour que je ne le retienne. Revenant de ma torpeur, c’était cette vision que je voyais s’amenuire lorsque par un heureux coup du sort qu’encore aujourd’hui je maudis, son œillet s’envolait, frappé par la brise qui me le déposait aux pieds. Je me trouvais alors avec ce trésor à ma merci que je m’empressait de lui rapporter. Qu’elle joie me prit lorsque de sa délicate bouche sortit ce si doux « merci » !. Je ne pu lui rattacher sa fleur ensanglanté mais l’électrique caresse de sa main sur la mienne lorsqu’elle prit son bien me suffit amplement. Féériquement, un contact se nouait, mon émotion augmentait. Chaque parole qui perlait au coin de ses lèvres, je m’empressais de la boire. Nous restâmes deux semaines où je pu vivre la plus entière de mes passions à la faveur d’un été complice, particulièrement bienveillant envers ces deux amants. Les endroits qu’il nous arrivait d’occuper prenaient la magnifique dimension des endroits où on a vu naitre et grandir l’amour. Les criques, plages, chemins de campagnes, après midis sous le tilleul, falaises sont autant de lieux de pèlerinage où je commémore toujours son souvenir.
Car notre temps était compté, elle ne m’avait été léguée que le temps d’un voyage qu’entreprenait son père, en affaires dans la région. Toutes les peines m’accablèrent lorsque, le funeste moment venu, elle m’attacha un œillet à la poitrine, un de ceux que nous avions cueillit ensembles en riant et, scellant notre aventure d’un dernier baiser, elle laissa sur mes lèvres et dans mon cœur, à jamais gravée, son empreinte. Après son départ, les débris de mon être ne se reformèrent jamais vraiment. Chaque été, le moment des amours s’annonçant par cette joie indicible qui envahissait les rues, je me mure dans une solitude acharnée dont je suis encore aujourd’hui prisonnier. Encore aujourd’hui je me recueil sur nos souvenirs et je ne veux en aimer d’autre.
La beauté d'un classique.
· Il y a plus de 13 ans ·Marcel Alalof
Cet texte est Splendide ! C'est génial le "ç" à la place du "à" : "Alors que j'arrivais ç sa hauteur". Erreur de frappe, peut-être. Mais cela donne à votre texte une petite touche iconoclaste qui le rehausse fortement. Félicitation, vous écrivez sacrément bien !
· Il y a plus de 13 ans ·retsig