Les bijoux perdus

stockholmsyndrom

Elle était belle, juste ce mot suffirait a la décrire, si le temps m'était compté.Mais tu vois petit, on peux pas simplement la réduire a ça.

On passerait a coté de son sourire, celui qui faisait rougir tous les commerçants du quartier, et pester leurs femmes, on passerai a coté de ses longues jambes dorées qui les jours de printemps faisaient chavirer les hommes assis aux terrasses des bistrots, au rythme effréné de ses talons hauts claquant sur le pavé chaud.

C'est un peu a cause d'elle si je fréquentait les bistrots.

C'était pas grand-chose, mais il lui arrivait parfois de m'adresser un petit bonjour en passant. Elle devait savoir, elle devait sentir mon regard plein d'admiration se poser sur elle tous les jours, comme un sixième sens aiguisé, il paraît qu'elles en ont toutes un. Moi, comme un con, je répondais timidement un bonjour que j'étais certainement le seul a entendre sur cette planète.

Faut que je te parle de ses cheveux aussi, ah, ses cheveux, j'en étais fou, sa longue crinière noire, j'ai jamais rien vu d'aussi envoûtant, quand ils se balançaient de gauche a droite quand elle déambulait tout naturellement des hanches, telle l'égérie du plus grand couturier du monde, a la différence que chez elle, tout était naturel, oui, ce couturier j'ai toujours pensé que c'était Dieu.

J'ai eu du mal a la traquer, c'était plutôt un animal sauvage, faut dire qu'elle en intimidait plus d'un, ces cons la, ils faisaient tous un complexe d'infériorité. Ce serait te mentir si je te disais que c'était pas mon cas, j'étais pétrifié, je lui arrivait pas a la cheville, elle représentai tout ce que moi j'étais pas, mais j'ai jamais été de ceux qui se lamentent, j'étais jeune et courageux, alors j'ai foncé, tampis pour les archéologues, les explorateurs, les aventuriers, tampis pour tous les hommes de la terre, la huitième merveille du monde, elle était pour moi.

Ce jour la, elle portait une robe blanche a pois rouges, oui, comme le meilleur grimpeur du tour, c'est exact, même le mauvais goût chez elle se transformait en œuvre d'art. Elle est passée devant moi, a deux pas de ma table, sans lever le regard. J'ai longtemps hésité, et plus j'hésitais, plus elle s'éloignait, alors dans un moment de panique j'ai balancé un « bonjour ! » qu'on qualifieras d'un peu surfait. Surprise, sursautante même, elle s'est retournée, et m'as salué a son tour, un peu étonnée, et puis elle est repartie de plus belle. Alors pour attirer désespérément son attention j'ai dis ce truc tellement con, tu sais toi, comment je suis con parfois, mon humour médiocre, parfois ridicule, j'ai fait référence a sa robe et j'ai dis : « Accélérez ! Le maillot jaune est a 2min30 ! ». Elle s'est retournée pour me regarder, elle a certainement due voir un pauvre poivrot balançant des idioties tout droit sorties de son imagination polluée par le Picon. Il s'est rien passé, elle n'a rien relever, elle a juste continué son chemin avant de s'effacer dans la foule. J'aurai tellement préférer être Georges Clooney, mais j'étais rien d'autre que moi, et je t'avoue que la, je me sentais très con, et les mecs derrière moi ne manquaient pas de me le rappeler en m'applaudissant a l'unisson. J'aurai tellement voulu être Schwarzenegger a ce moment la. Hollywood était a des années lumières alors j'ai fini ma bière et je suis parti, en silence. Quel con.

J'ai un peu pensé a elle, en me disant que j'étais juste naïf, et puis, j'ai arrêté de penser.


Le lendemain aux alentours de 17h, je me suis reposté a ma fidèle terrasse, on change pas les habitudes. Cette fois ci, je me contenterai de regarder.

Je me souviens de ce jour comme si c'était hier, les moindres couleurs, les moindres gestes, les moindres particules flottant dans l'air, ma mémoire en a fait un monuments aux souvenirs : La cité bouillante, les façades de chaux fissurées, dans les ruelles, on pouvait sentir la beauté colorée de la vie, et son lot de malheurs. Un son de guitare faisant écho dans les couloirs du quartier, les vieillards assis, luttant contre le soleil, quelques gosses qui jouent avec un ballon usé, et les heures incandescentes défilant dans l'air. Devant les portails ornés de fleurs, quelques créatures a talons hauts attendent l'homme qui leur donnera quelques pièces en échange d'un peu de vertu. Les pavés crépitant au milieu de l'étonnant vacarme orchestré par les marchants bavards et racoleurs. Sur un banc en pierre, une jeune señorita tombe un peu de corsage pour donner le sein au cadeau que lui a fait le ciel, ses yeux vert pleins d'espoir scintillant au soleil. Sur la terrasse, l'odeur du cigare s'évaporant vers les feuilles veillant sur les tables ou volent les cartes, s'expriment les gestes. Les quelques ombres se déplient par terre, couvrant les surfaces que les chiens les plus paresseux s'empressent de rejoindre pour y trouver un matelas naturel. Le temps paraissait si doux, l'existence, éternelle.

J'étais en train de regarder les quelques pigeons se disputer les mies de pains jetées par terre par les passants. Y'en avait un plus gros que les autres, il raflait tout, ça avait l'air d'être la terreur du gang, il bousculait ses compères, il ouvrait le bec et bim, aucun respect, ça me rappelait un peu nos vies finalement. J'étais la avec ma bière, a philosopher sur ces bestioles a plumes, sans trop me soucier du monde qui tournait, de toute façon, j'avais depuis toujours cette impression qu'il tournait sans moi. C'est la que j'ai senti sa présence derrière moi, son odeur fleurie, qui bizarrement me semblait familière , en une fraction de seconde c'est devenu évident, j'ai su que c'était elle, sans même la voir, il y a des choses parfois comme ça petit, que les explications ne pourront jamais expliquer. Je me suis retourné. Elle se tenait devant moi, avec ce sourire qu'ont les enfants devant le sapin de noël. J'étais loin d'être un cadeau, mais elle avait l'air d'y croire. Je l'avais jamais vue d'aussi prés, ça n'étais que plus effrayant, j'étais assis devant la reine d'un royaume, celui de la beauté, et tout mon être a ce moment la s'est senti tout petit, crois moi. J'ai plongé sans me rendre compte dans ses grands yeux verts. C'est la que j'ai compris, tout est devenu parfaitement clair, le commencement de la vie, ce pourquoi elle valait la peine d'être vécue, les yeux d'une femme, ce qu'ils veulent bien te dire quand ils te rentrent dans la tête, pour ne plus jamais en sortir, j'ai tout compris, les mots n'ont pas d'importance petit, ils n'en ont jamais eu, ce jour la, j'ai commencé a vivre. Ses lèvres fines et sinueuses bougeaient, elles m'en faisaient perdre l'ouïe, elles avaient le don de renverser les idées reçues, c'était bel et bien elles qui mettaient le rouge a lèvres en valeur, et pas le contraire. Je rêvais juste qu'elle m'invite a partager leur goût. Sur son épaule nue se reposait une tresse brune remplie de légèreté, son front dégagé luisait au soleil, ce dernier étant en parfaite harmonie avec toutes les courbes de son visage dessinées au pinceau fin, par Michel Ange certainement. Je peux pas trop te parler de sa silhouette, mon cœur est devenu bien trop fragile pour ces choses la, sache juste qu'elle était capable d'épouser la soie au point d'en faire trembler les entrailles de ce vieux monde. La robe jaune qu'elle portait ce jour la en était le parfait exemple. J'étais en train de chavirer, ces lèvres bougeaient toujours autant, peut être était elle en train de me parler, peut être, mais j'étais dans l'incapacité de répondre de moi même. Elles se sont figées, et puis d'un coup sec elle a jeté puissant « OH! », comme me faire revenir sur terre. J'ai timidement répondu :

« - Oui ? »

« - Je disais que j'ai suivi vos conseils, j'ai accélérer », elle a alors fait un tour sur elle même, comme si ça tournais pas déjà assez pour moi…

« - Pardon ? »

« - … Laissez tomber. Bonne journée », elle m'a gratifié de son plus beau sourire et puis elle a commencer a filer. J'ai compris après coup, mais c'était pas trop tard, elle était a deux pas, je venais de reprendre mes esprits, c'était un message, et elle venait de me décomplexer totalement. Alors c'est sorti tout seul de ma bouche, et j'ai pas eu le temps de regler le volume :

« - LE MAILLOT JAUNE !!! »


Voilà comment ça s'est passé petit. J'avais un peu plus de vingt ans, elle en avait un peu moins, et c'est grâce au tour de France que j'ai connu ta grand mère. On s'est assis la, pendant toute une soirée d'été, et on a commencé a écrire les premières pages de l'histoire de l'éternité.

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