Les confessions du temps

1.

-         Lobe temporel ouvert.

César était  fixé sur le siège de sa bulle à voyager dans le temps et, en entendant

ces mots, il appuya sur le starter sans aucune hésitation.

2.

    An de grâce 2099, la Confédération des Nations Organisées était au bord du

gouffre. La guerre thermonucléaire totale était imminente et avec elle allait sonner

le glas pour l’humanité entière.   

    A cette H-1 de l’apocalypse général, le commando d’un mouvement pacifiste était parvenu à investir une station de voyage temporel. Leur but était d’envoyer l’un des leurs dans le passé afin d’expédier, à travers les siècles, un témoignage

Pour prévenir la race humaine de son anéantissement, et peut-être ainsi modifier son destin en lui évitant de refaire les mêmes erreurs.

3.

    César espérait pouvoir retourner assez loin dans le passé pour avoir la chance, même infime, d’infléchir l’histoire. Lorsque le lobe temporel se referma faute d’énergie, son cadran indiquait : 1518.

Il sut du même coup que la terre avait cessé d’exister.

    Il pressa le bouton d’ouverture et dans un chuintement de décompression les panneaux de carbone de sa bulle s’écartèrent. Une bouffée d’air frais lui fouetta le visage. César agrippa le petit Larousse illustré qu’il avait emporté, débrancha la tuyauterie de sa combinaison et sortit.

    Le paysage était étrange. Nulle enceinte de béton encombrait l’horizon, il n’y avait que des arbres et du vert partout. Un subtil parfum de lavande lui emplit les narines. Il aurait presque pu se croire atterri sur une autre planète.

    Son voyage était sans retour. Il déclencha l’autodestruction du véhicule temporel

qui éclata sans bruit tel une bulle de savon. Au même instant, les cloches de l’église d’un village firent vibrer l’air et les tympans de César. Il prit la direction de cette sonorité qu’il n’avait eu l’occasion d’entendre auparavant que sur de vieilles bandes enregistrées.

    Il n’avait aucune idée du lieu où il pouvait se situer. Un déplacement dans le temps signifiait aussi un déplacement dans l’espace, si bien qu’il pouvait très bien

se trouver n’importe où sur terre. Son départ avait été si précipité qu’il n’avait pas eu le temps de calculer les données de son décalage géographique.

    A chacun de ses pas, ses pieds s’enfonçaient un peu dans la terre humide, cela le changeait du tout au tout de la dureté du métal. Cette sensation était plutôt agréable.

Au dessus de son crâne, le ciel était bleu et nullement chargé de gaz toxique. Chose surprenante : il pouvait même distinguer le soleil mais ça lui brulait les yeux.

4.

    Je vis un garçon d’une quinzaine d’année sur le sentier que j’empruntais, il était de style européen. Apparemment, je devais être sur le territoire de ce qui était anciennement appelé, la France. J’avais donc subi une dérive approximative de

6000 km.

    Lorsqu’il m’aperçut, il détala à toute vitesse, sans doute effrayé par mon accoutrement. Je le rattrapais fissa de peur qu’il ne crie au diable dans tout le village. Si je voulais parvenir à délivrer mon message, je ne devais pas me faire capturer.

5.

    En actionnant ses semelles à contrôle de gravité, César eut vite fait de le rejoindre en trois bonds.

-         N’ait pas peur mon garçon…

    César essayait de le mettre en confiance mais le garçon continuait à le regarder de ses yeux emplis de crainte, tel un lapin prostré devant le furet qui va l’égorger.

-         Je m’appelle César. Toi, qui es-tu ? Où sommes-nous ?

    Le garçon bredouilla quelque chose, mais la langue s’était tellement modifier au cours des siècles que César ne put comprendre que deux choses :

-         Michel…St Rémy de Provence…

    Ce fut alors qu’un paysan revenant des champs se mit à crier en le pointant du doigt. Un groupe armé de fourches et de bâtons s’attroupa rapidement autour de lui.

    César comprit que ce n’était pas le moment de trainer dans le coin, ni de se lancer dans de grandes explications. L’important étant de sauvegarder sa vie pour sauver l’humanité. Il mit en marche ses semelles à contrôle de gravité, mais à peine avait-il décollé qu’une pierre lui heurta brutalement l’occiput. Il eut l’impression que sa tête explosait.

6.

    Le petit Michel aperçut un objet à ses pieds. C’était cet étranger qui parlait une langue bizarre et faisait des bonds prodigieux dans les airs, sans doute un sorcier, qui l’avait perdu en cherchant à fuir.

    C’était un livre.

    Il était si curieux que malgré l’appréhension, il le saisit. Sur la couverture était écrit : «  Larousse 2099 ». Cela ne voulait rien dire. Il le feuilleta. A l’intérieur, les pages était chargées d’images abracadabrantes, jamais il n’avait vu de pareille chose. Il dissimula le livre sous sa chemise et rentra chez ses parents sans parler à personne de sa trouvaille.

7.

    Les flammes commençaient à lui dévorer la plante des pieds mais c’était presque un soulagement face aux tortures que l’inquisition lui avait infligé pour lui faire avouer ses fornications avec le démon.

    Il avait beau inlassablement répété que l’humanité courait vers une fin certaine et qu’il était en mesure de changer cela, personne ne l’avait cru. Et d’ailleurs, qui aurait raisonnablement pu croire à ses aberrations.

   Alors que l’épaisse fumée noire montant du bucher l’asphyxiait, César, dans un ultime effort, eut encore la force de crier :

-         Vous ne comprenez donc pas que je suis venu sauver l’humanité.

     Puis, tout bas, pour lui-même :

-         Tout cela n’aura servi à rien, pardonnez leur seigneur.

    Le bucher flamba une bonne partie de la nuit.

8.

    37 années plus tard, paraissait un petit livre chez un éditeur de Lyon : «  Les prophéties » de Michel dit Nostradamus.

    Un livre est-il capable de changer le cours de l’histoire ?

                                                               Le temps présent auecques le passé,

                                                               Sera iugé…

                                                               Nostradamus ; Centuries x, 73 (fragment).