Les Contes de la Mégère (2)

maelle

Ainsi commença la plus belle et la plus dure année de toute sa vie. Prâline traversa la forêt de Tintagel. Elle n'avait jamais voyagé et les ampoules avaient colonisé ses pieds. Son sac lui meurtrissait le dos -définitivement trop lourd, malgré le sortilège censé l'alléger en diminuant l'énergie. Les nuits à la belle étoile étaient exaspérantes. Les provisions désertaient le sac pour l'estomac à une vitesse hallucinante. Et pourtant Prâline mangeait peu. Elle était également hystérique grâce aux insectes qui lui grimpaient dessus et haïssait la pluie. Elle avait tournée en rond dans la forêt de Tintagel pendant un mois ; parfois elle reprenait le chemin parcouru la veille après un court petit-déjeuner. Elle était lente. Et ralentit lorsque les doutes et les interrogations se mêlèrent à la partie : Pourquoi s'obstiner ? Pourquoi ne pas revenir à Mytilène ? La réponse était simple : complètement perdue, aucun sens de l'orientation.

Et le tableau n'aurait pas été complet si la jeune fille n'était pas tombée malade. Assoiffée, la langue sèche, errant depuis plusieurs jours, complètement perdue, une entorse au pied et seule, définitivement seule, elle avait cru mourir, délirant seule entre les troncs humides. Les gnomes des bois l'avaient soignée, en échange de la moitié de ses affaires. Elle ne les avait jamais vraiment rencontré. Parfois, serrer les dents et compter sur elle-même ne suffisait même plus.

Prâline vécut toutefois quelques instants de bonheur. Un soir, un seul, elle réussit à maintenir un abri debout qui ne s'effondra pas dans la minute et la protégea efficacement de la pluie. Jusqu'à ce qu'un coup de pied heurte une branche et que l'édifice ne s'écroule en pleine nuit sur la jeune fille. Prâline aimait aussi le printemps dans les bois. Et le premier jour du mois de Jull, premier jour de l'été, elle se fia à son odorat lui indiquant des pains chauds et sortit de la forêt de Tintagel.

À partir de ce jour, la jeune fille profita. Elle alterna restaurants et soirées passées à compter les étoiles. Tobi n'était plus qu'un lointain souvenir. Prâline voyageait. Traversant à la nage des fleuves dont elle ne connaissait même pas le nom, courant seule dans les prairies en effrayant les moutons et grimpant aux arbres, la jeune fille vivait. Elle acheta une tente et ne bougea plus. Il faisait trop chaud pour marcher était son excuse préférée. Les forces lui revinrent, l'assurance également, accompagnées de pensées telles que la rivière est vraiment trop belle. Un jour, Prâline attrapa un poisson à mains nues ; elle sauta de joie. Le poisson n'éprouvait pas les mêmes sensations, transpercé d'un morceau de bois en grillant au dessus du feu.

Prâline profitait de la vie, grisée par une liberté immense, par une Nature qui n'offrait son spectacle qu'à elle seule. Les barrières sociales érigées par ses parents tombaient les unes après les autres devant l'émerveillement de ses propres capacité. Une autonomie qui pesait cependant lourd lorsque la solitude reprenait le dessus.

Au début du mois de Septy, Prâline vendit sa tente, plia bagage et partit. Elle n'abandonnait pas le but qu'elle s'était fixée. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était que l'été touchait à sa fin. Prâline ne retrouverait jamais le beau jeune homme au château de Brocéliande avant la fin de l'hiver. Elle avait traîné et n'avait peur que d'une seule chose : mourir. Alors la jeune fille repartit chez les humains tandis que l'automne s'installait et se mit au travail. Il lui fallait de l'argent. Prâline savait désormais comment survivre dans les bois. Elle apprit à se méfier des hommes. Elle étudia la lutte, le maniement de l'épée, les mensonges et la lutte. Elle renonça au tir à l'arc mais découvrit qu'elle démontrait une certaine agilité pour l'épée légère. Alternant marche, combat et travail en tant que serveuse dans des établissements moyennement fréquentables, aide pour marchands, bonne à tout faire, et parfois femme de ménage, Prâline disait oui à tout sauf aux maisons closes. Elle apprit à contrôler son apparence, se montrant repoussante quand il le fallait et parfois attirante. La jeune fille économisait tiniac par tiniac pour sa survie en même temps qu'elle se dépêchait. Elle se débrouillait chaque jour un peu mieux.

C'est le premier jour du mois de Nowy que Prâline paya sa première chambre à l'auberge. Ensuite, elle ne bougea plus du village. La jeune fille avait trop peur de se perdre et de mourir de froid durant la nuit. La sœur jumelle se familiarisa avec les habitants du village ; elle travaillait la journée à l'auberge contre une ristourne sur le logement et les repas. L'aventurière apprit à se montrer sociable et enfouit son côté sauvage. Les premiers flocons apparurent alors. Prâline les regardait tomber depuis la fenêtre de sa chambre de bonne. Elle renonçait à sa liberté pour une couverture et une soupe le soir. Prâline lisait beaucoup de livres pour s'évader. Au final, toutes ces aventures l'écœurèrent ; elle voulait en vivre et non les lire. Alors elle se rabattit sur le journal du village. Prâline perfectionna tranquillement son maniement de l'arme en secret. Bien au chaud, les pieds dans les chaussettes et le nez au dessus de la tasse brûlante de chocolat chaud, la sœur jumelle apprit que l'hiver pouvait être calme et doux. Sans oublier son regret pour la forêt pour autant.

Dès que les premiers bourgeons germèrent sur les branches, la jeune fille reprit son énorme sac vert et poursuivit sa route. L'énergie lui revenait peu à peu tandis que le printemps s'étendait sur le royaume de Tinténiac. Ainsi que la haine. Prâline apprit à détester Claire plus que n'importe qui au royaume. Et elle adorait Tobi de nouveau, malgré des souvenirs légèrement altérés par ses sentiments. La jeune fille s'était de nouveau réfugiée dans la forêt entre les feuilles humides et gelées le matin. Prâline aimait les arbres, la mousse sur les pierres, les froissements lorsqu'elle marchait. Toute la forêt. Elle avait surpris un renard, le nez en l'air ; l'autre soir un hérisson. Elle parlait toute seule, passait sûrement pour une folle et s'en moquait totalement. Elle était libre.


Elle y était. La forêt de Tintagel se tenait devant elle. Un an pour en arriver là. Tuer une princesse ; épouser son fiancé : son plan avait été établi le jour même où elle avait sauté de la fenêtre. Un an entier et la jeune fille hésitait encore. Son premier pas à l'ombre des bois. Elle se balançait d'avant en arrière, puis d'arrière en avant depuis vingts minutes. Prâline revisitait ce qui pouvait la faire fléchir, le moindre indice susceptible de l'empêcher d'entrer dans cette forêt, un quelconque regret, quelque chose susceptible de la faire changer d'avis, la moindre faille. Peut-être avant. Quand elle n'était que Prâline, insouciante, heureuse et niaise.

Elle avait dit non à « avant ». Et elle était partie. À la recherche du prince charmant de Mytilène, elle avait tout abandonné. Le petit Joe et le vieux Mitch, les cigarettes empruntées et jamais rendues au marchand, ses deux amies qui ne lui manquaient même pas. Elle avait enterré son passé, sa seule famille. Pour un garçon. Qui ne l'aimait pas et qu'elle n'aimait presque plus.

Prâline s'était endurcie ; elle avait dix-sept ans. Après les nuits à la belle étoile avec la peur et la solitude collées au ventre, les crises à se frapper la tête contre les troncs, les heures sous la pluie à jouer au facteur pour un misérable shilling, elle avait bien mérité le droit de se faire protéger par un bel homme. Et ce n'était pas Tobi qui l'en empêcherait. Encore moins la princesse. La jeune fille avait toujours agit selon son instinct ; ce n'était pas ce jour-ci qu'elle changerait. Au fond, Prâline n'avait pas changé de la gamine de Mytilène. Et le pire dans cette histoire, ce n'était pas le gâchis d'un an de vie en tant que vagabonde, ni la promesse meurtrière scellée dans l'épée pendante à sa ceinture. Le pire, c'est que rien, absolument rien, au village de Mytilène, ne lui manquait.

Ce lieu était sans doute le mélange parfait de son voyage : des hommes, des combattants et la forêt. Tout cela lui correspondait parfaitement ; Prâline eut un demi-sourire. Elle fit un pas et pénétra à l'ombre feuillage.


***


Prâline n'avait pas peur. Son cœur tambourinait violemment dans sa poitrine. Sa main ne s'éloignait pas du pommeau de son arme -une épée pour gosse d'après le vendeur. La force nécessaire lui manquait pour brandir les autres. Non, elle n'avait peur de rien d'autre que sa propre mort. Et de la découverte d'une jeune fille sale, insensible ; d'une meurtrière endurcie. Prâline avait passé la dernière année en tête à tête avec elle-même. Et elle ne se connaissait toujours pas. La jeune fille n'entendit pas le chevalier arriver.

— Halte là, mon fidèle cheval, fit la voix grave.

Prâline se crispa, les deux mains sur son arme et genoux fléchis. Monture et cavalier s'immobilisèrent au milieu du sentier qu'empruntait la jeune fille. Elle venait enfin de rencontrer son premier chevalier ; ils se dévisagèrent un instant en silence.

— Mademoiselle... Permettez-moi de mettre à votre service moi-même, votre fidèle serviteur, ainsi que son compagnon, alias sa très estimée monture, Éclair. Nous serions ravis d'escorter mademoiselle durant le temps de votre voyage. Juste au cas où un danger surviendrait, évidemment. Mon nom est Edward.

Prâline plissa les yeux. Cheveux blonds plaqués en arrière avec soin, yeux bleus, visage carré, sourire éclatant, armure étincelante, cheval blanc, fière allure et grande estime de soi-même.

«  C'est donc ça, un chevalier ? songea la jeune fille. Pas mal... mais un peu trop feuilleton. »

Prâline s'était renseignée sur les chevaliers, sans même poser de questions. Ils étaient les maîtres des Hommes et de la Forêt.

Leur enfance se déroulait entre ces bois ; l'apprentissage théorique et physique avec pour maître les druides des bois, les occupait jusqu'à ce qu'ils se lient d'amitié avec un chevalier, devenant ainsi écuyer.

L'adoubement se trouvait être la plus intense cérémonie. La jeune chevalier prêtait serment avant de recevoir de ses anciens maîtres son armure, une monture, un but, une identité et l'épée, au pied du chêne millénaire.

Le respect du Code de la Chevalerie, étudié très jeune dans la forêt, constituait le pilier de tout comportement chevaleresque. Ce qui entraînait un mode de vie et une réputation particulière. Mais qu'importe, puisqu'en respectant toutes les lois et règles du Code sacré, on devenait digne des véritables chevaliers de la légende tels que Perceval, Gauvain et Lancelot.

Prâline se méfiait de leur comportement vis à vis des étrangers. S'ils croisaient un homme, ils pouvaient le tuer ou le saluer. S'il s'agissait d'une femme, le combattant le courtisait à l'aide qu'une quête. Une union scellait la fin de la mission, parfois la présence d'une bague à l'annulaire gauche. Il fallait bien engendrer d'autres garçons-chevaliers. De nombreuses rumeurs où les chevaliers tuèrent « accidentellement » le mari pour s'enfuir avec la veuve circulaient. Étrangement on évitait de croiser un chevalier.

Prâline remarqua immédiatement, à son regard passionné, que le dénommé Edward n'avait pas croisé de jeunes filles depuis très longtemps. Il semblait aussi intéressant que sa monture, était d'ores et déjà catalogué dans la section collant et allait l'empêcher de tuer Claire. C'était la raison pour laquelle Prâline n'aimait pas les combattants plus forts qu'elle. Si blond et charmants qu'ils soient. Bah, la vagabonde ne comptait pas s'embarrasser d'un chevalier jusqu'au château. Ce serait drôle mais Prâline avait autre chose à faire que gérer Tobi d'un côté et un beau gosse en armure de l'autre.

La jeune fille prit un air détaché.

— Merci, mais je n'ai besoin de rien.

Elle allait repartir la tête haute lorsque le chevalier lui barra ostensiblement la route avec sa monture. En prime, un demi-sourire apparut sur son visage.

— Mademoiselle, si je puis me permettre... Vous connaissez mal les dangers de cette forêt.

«  Par pitié, laisse moi tranquille. »

Fatiguée, excitée, curieuse, excédée et effrayée à la fois, Prâline n'arrivait pas à considérer l'affaire avec recul. C'était déjà assez compliqué ; ce bellâtre n'avait pas besoin d'y rajouter son grain de sel.

— Une frêle jouvencelle ne peut s'aventurer seule dans les bois sans un beau et fort mâle pour la protéger des mauvaises rencontres. C'est évident.

Prâline haussa un sourcil. Elle n'était pas entièrement convaincue.

— Je suis désolée mais... je me vois contrainte de refuser, répondit Prâline en imitant l'élocution des chevaliers. Je vous suis très reconnaissante de m'avoir fait cette proposition, c'est très gentil et tout, mais j'ai l'habitude de me débrouiller seule.

Edward poussa un petit cri aiguë et s'offusqua :

— Une si petite demoiselle comme vous ! Seule ? Dans quel misérable monde vivons-nous ?

La jeune fille haussa les épaules.

— Dans le royaume de Tinténiac, je crois, ironisa-telle.

Le chevalier commençait vraiment à l'irriter. Elle n'était pas une misérable chose incapable de se défendre et l'épée attachée à sa ceinture pouvait facilement en témoigner.

«  Autant essayer d'y aller avec douceur, tact et diplomatie tout de même... »

— Ne vous inquiétez pas de mon sort. Je vais très bien, je suis débrouillarde et je vous assure que je n'ai besoin de l'aide de personne.

— Mademoiselle…

— Ça va ! Tout va très bien !

— Seulement…

— Je vais bien !

«  Mon Dieu, il est encore plus collant que ce que je pensais ! »

— Mademoiselle, permettez-moi de me rendre utile. Je ne souhaite que devenir votre chevalier servant. Pour une si jolie jeune fille, je suis prêt à mettre mon corps et mon cœur au devant de tous les dangers.

« Jolie ? Il se moque de moi, là ! »

La sœur jumelle recula instinctivement en arrière lorsque le chevalier lui tendit sa main gantée. L'homme lui faisait peur, malgré son sourire et ses yeux pétillants. A cause de, peut-être.

— Laissez- moi passer ! ordonna Prâline d'une voix qui trahissait son manque d'assurance.

Le chevalier se redressa de toute sa hauteur, dominant entièrement Prâline.

— Vous n'avez aucune raison d'être effrayée. Je ne vous veut aucun mal, seulement vous proposer mon aide.

« Et une vie commune par la suite, c'est ça ? Moi, à la maison, en train d'astiquer la vaisselle et mon mari battant la campagne pour retrouver sa petite femme le soir. Quelle joie... »

Prâline prit son courage à deux mains et elle s'avança d'un pas résolu, plus tendue que jamais, la poignée de son épée recouverte d'une main. Si jamais Edward faisait un seul geste dans sa direction…

— Mademoiselle…

— PARTEZ ! Tonna la jeune fille.

Le chevalier se pétrifia sur place. Prâline en profita, elle contourna Éclair, pas inquiet pour deux tiniacs et s'éloigna rapidement du chevalier. Direction le château de Brocéliande !

Elle regrettait déjà.

  • Suite :
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    · Il y a presque 10 ans ·
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    maelle

  • Ton texte est parfait :)
    Seul hic : les répétitions. Je n'en ai vu qu'une,au moment où Praline court dans la forêt puis s'arrête, tu as utilisé 2 fois le mot "s'arrêta", mais si tu ne trouvais pas d'autres verbes pour remplacer, ce n'est pas grave ;)
    Tu écris très bien, je ne vois pas de fautes d'orthographe ;)
    Continue comme ça ;)

    · Il y a presque 10 ans ·
    Img17

    Nanaah

    • Merci ! ^^ ( euh oui, peut être... )
      Oui, je galère un peu pour ce passage, je vais corriger ça !
      Merci !

      · Il y a presque 10 ans ·
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      maelle

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