Les deux mondes - chapitre 3

oreline

Eric Brandy

Quand j’étais jeune, ma vie, je la voyais pleines d’aventures. J’aurais été explorateur puis chasseur de baleines, puis pirate d’un navire. Rien de tout cela ne s’est produit, pourtant des aventures, j’en ai vécu mon lot. Enfant, je vivais chez mon père avec mes cinq frères. Ma mère était morte en mettant son dernier fils au monde. Nous n’étions pas malheureux pour autant. Nous habitions dans un petit village entouré de remparts dressé sur une colline qui surplombait la mer. Les ruelles pavées du village ainsi que le chemin broussailleux qui menait au rivage étaient nos terrains de jeux à moi et mes frères. Nous pouvions y rester des heures durant, maugréant lorsque la voix de notre père nous rappelait à la maison. L’hiver, lorsque la neige trop abondante bloquait la porte, c’était près de la cheminée que nous jouions. A l’école, nous n’étions pas médiocres mais légèrement turbulents. Nous préférions notre cour de récréation qui nous offrait également un excellent terrain de jeu à notre salle de classe, qui semblait avoir été saupoudré de poudre de sommeil.

A vingt ans, je décidai de quitter mon village natal et de rejoindre la capitale de Caterly : Coterly. Je voulais faire des études de langues et de géopolitique. Je désirais devenir diplomate. Un jour, j’avais lu une interview d’un diplomate. Il racontait ses rencontres avec des chefs de différents territoires et ses tentatives pour les persuader de faire la guerre contre l’Empire du Mal. J’ai su ce jour là que c’était ce que je voulais faire. Pour cela, il fallait rejoindre la capitale.

Coterly était une jolie ville côtière. Le port était toujours animé par les pêcheurs, les touristes et les restaurants qui ne fermaient que très tard le soir. Les ruelles pavées étaient tellement nombreuses qu’il me fallut des années pour ne pas m’y perdre. Les boutiques s’alignaient, offrant breloques, tenues de soirées, tableaux, sculptures et souvenirs en tout genre. Des effluves de gaufres ou crêpes émanaient d’échoppes, qui vous rappelaient alors que vous n’aviez rien mangé depuis le matin. Au-delà, de ces ruelles étroites, une grande avenue qui menait à une colline qui surplombait la ville et le port. Sur celle-ci, le château de la Reine Cate DiLoren, qui avait tout juste vingt ans lorsque j’arrivai dans la capitale. Tous les journaux avaient fait étalage de sa vie privée : on la voyait tout sourire, berçant son nouveau né près de son mari. L’enfant se nommait Nathanaël. Le père, maître d’armes s’appelait John Ceevitch. Extrêmement doué pour se battre au corps à corps, il était encore plus impressionnant avec un fleuret ou un sabre, avec un arc ou une arme à feu. C’était en quelque sorte son pouvoir. Moi, mon pouvoir, c’était la survoyance, mais je ne m’en servais pas vraiment. C’était drôle de savoir des choses que les autres ignoraient mais je n’en abusais pas pour gagner de l’argent ou autre. Je savais me battre également. Mes talents s’arrêtaient là. Rien de vraiment magique. J’avais entendu dire que la Reine, outre son pouvoir de persuasion, possédait le pouvoir de métamorphose, ou plutôt avait possédé ce pouvoir car du fait d’un manque d’utilisation, cette capacité avait disparu. Mais revenons à nos moutons. Le mariage entre John et la Reine ne dura pas. Le caractère de la Reine Cate ne le permit pas. Ils restèrent malgré tout en bon terme.

Tandis que je jonglais entre mes études et mes virés nocturnes entre copains, la Reine Cate se maria à nouveau, cette fois avec François, un militaire très influent. Il avait le pouvoir de persuasion très développé. Il avait réussi à récupérer un fragment de territoire de l’Empire du Mal. Ils eurent trois garçons : Philip, Sergi et Alexandro. Mais leur mariage ne dura pas non plus. La faute cette fois aux absences de François dans le lit conjugal.

Moi de mon côté, j’avais récolté ce que j’avais semé : deux fils, Colin et Hugh. La mère, un mélange de Jane Birkin et de Janis Joplin. Je l’avais rencontrée dans un bar, Le flower. Moi et mes amis y étions toujours fourrés. Elle, elle était serveuse. Elle possédait de longs cheveux châtains et une silhouette plutôt agréable. Son idée, c’était de refaire le monde, provoquer la révolution. Mes amis et moi riions de sa naïveté et lui répondions très souvent qu’il fallait déjà qu’elle sorte ses fesses de ce bar. Quoi qu’il en soit, lorsqu’elle m’annonça sa grossesse, je ne fus pas très fier. Surtout que je ne comptais pas l’épouser. Je voulais voyager, devenir quelqu’un, et non pas être père de famille à vingt cinq ans. Malgré tout, je me pliai à la bienséance. Nous trouvâmes un logement dans un immeuble situé en plein cœur du vieux quartier de Coterly. Nous prîmes place au cinquième étage de cet immeuble. Bordélique mais chaleureux étaient les adjectifs qui pouvaient décrire le mieux notre nid douillet. Tandis que j’occupais la place de père de famille, je perdis de vu mes anciens amis, qui avaient eu la délicatesse de n’engrosser personne. Toutefois, je m’habituai à ce quotidien, bien différent de mes rêves d’enfants. Je pensai à cette époque que ma vie était tracée, que les dés avaient été jetés. Mais, je sais aujourd’hui que ce n’était qu’une transition, une transition qui dura sept ans.

Lors de mon aménagement, je venais de finir mes études. Pour nourrir ma famille, je commençai par des petits boulots. Mes dons pour les langues mais surtout ma survoyance furent remarqués des années plus tard et me permirent alors de rentrer au service de la Reine Cate. Je peux vous dire qu’à cette époque, je n’avais pas idée des chamboulements qui allaient survenir suite à la prise de mon nouveau poste.

Je rencontrai peu de temps après la Reine Cate. Elle me fit penser à l’actrice Cate Blanchett. Je m’étais demandé d’ailleurs si ce n’était pas elle sur Terre. Elle était une beauté froide, distante. Je ne lui avais pas trouvé de charme, du moins au début…

Ce jour-là, elle me dit quelques mots, que je peux retranscrire ici : «  Eric, si vous êtes ici aujourd’hui, c’est surtout pour votre pouvoir de survoyance. J’ai entendu dire que Mashfer étaient entourés de nombreuses personnes telles que vous. Grâce à ces personnes, il a réussi à former une petite élite de force du Mal sur Terre. Son but : outre de répandre le Mal ici et sur Terre, c’est de s’attaquer à des gens comme moi là où nous sommes le plus vulnérable : c'est-à-dire sur Terre où par exemple je n’ai pas d’Armée impériale, où je suis une personne comme vous. Vous comprenez que si je me fais tuer sur Terre, je meurs également ici. Je vous demanderais donc de vous joindre à mes autres conseillers et d’empêcher les interactions entre nos deux mondes. »

Ce ne fut que ce jour là que je compris l’importance de mon pouvoir. A partir de là, j’occupais mes deux vies à trouver le mal et l’anéantir. Le meilleur moyen : dénicher les agents du Mal sur Terre et les tuer. Bien sûr, je choisissais toujours ceux qui n’avaient pas le don de survoyance. En gros, je jouais au même jeu qu’eux.

Je devins populaire. On dit même que mon nom résonnait jusqu’à l’Empire du Mal. J’étais assez fier, ça me faisait même sourire. Je ne savais pas dans quoi j’avais mis les pieds pourtant.

Plus le temps passait, moins j’étais présent chez moi. Mes enfants grandissaient, ma compagne me lâchait quelques insultes à chacun de mes départs mais rien n’y faisait, j’étais accaparé par mon travail. Je voulais aller à l’Empire du Mal et anéantir Mashfer. Le pire, c’est que je croyais vraiment que je ferais l’affaire, que j’y parviendrais. J’avais entendu les histoires qu’on racontait, les enfants qui étaient enlevés à leur famille et qui étaient élevés pour être des êtres maléfiques. J’en avais eu la chair de poule.

Ma vie était dans cet équilibre précaire lorsque un élément nouveau vint tout basculer. Nathanaël, le premier fils de Cate, venait d’être enlevé par des agents de Mashfer. Après avoir prévenu John qui était par monts et par vaux, nous sûmes que nous ne pouvions l’attendre. Nous partîmes donc sur les routes qui menaient à l’Empire du Mal, escortés de cinq cent hommes. Les avions, hélicoptères, voitures pouvant être dirigés par les agents du Mal à plus de deux cent kilomètres de distance, le cheval était le mode de transport le plus sûr. Nous étions donc en chemin, sans François, ni John, qui étaient à l’autre extrémité du globe. Malgré tout, nous réussîmes à rattraper les agents ainsi que Nathanaël avant qu’ils ne parviennent au territoire du Mal. Nous étions en plein cœur du désert, au royaume de Boga, à une cinquantaine de kilomètres de l’Empire de Mashfer. La Reine Cate était en larmes, serrant son enfant très fort dans ses bras. Le soir même, nous avions installé les tentes en plein désert. La Reine vint jusque sous ma tente pour me remercier. Eperdue de gratitude, elle se mit à genoux, baisa mes mains, laissant ruisseler les larmes qui lui brouillaient la vue. Cela me toucha profondément. Ce fut cette nuit-là, sous cette tente, près de cinq cent soldats, dans le silence du désert, sous une nuit étoilée que nous concevions celle qui deviendrait notre seule fille.

Après cet épisode, je décidai de quitter ma compagne. Notre relation n’avait plus raison d’être. Ce ne fut pas pour autant que je devins le troisième mari de la Reine. J’avais beaucoup d’amitié pour elle mais son caractère autoritaire ne convenait pas au mien. Un mois après notre escapade en plein désert, elle me demanda dans sa chambre. Je m’y rendis, légèrement soucieux.

« Eric, me dit-elle. Vous savez que j’ai beaucoup d’estime pour vous. J’ai déjà eu deux maris, que j’ai respectés et que je respecte toujours. J’aime les hommes forts, vous comprenez ? Malheureusement, je ne suis pas facile à vivre et je le conçois aisément. Mes unions n’ont pas fonctionné, par contre il en est ressorti des enfants magnifiques destinés à de grandes choses. En vous rencontrant, j’ai ressenti de petits picotements que j’avais déjà éprouvés avec mes précédents maris. Ne vous inquiétez pas, ajouta-t-elle en voyant mon visage déconfit, je ne vous demande pas en mariage. Seulement, pendant quelques temps, j’ai prié pour avoir un enfant de vous. Et il semblerait que j’ai été exaucée car, Eric, j’attends un enfant, et cet enfant est de vous. »

Je fus abasourdi et ne sus que répondre. Je quittai la pièce en trombe, cherchant un endroit où remettre mes idées en place. Etais-ce possible ? Avoir un enfant de la Reine ? Comment avais-je pu me mettre dans un pétrin pareil… Ma vie, n’était-elle pas déjà compliquée ainsi ? N’était-elle donc régie que par des coucheries ? On peut dire que je n’avais aucun problème de fertilité !

Malgré la situation délicate dans laquelle je me trouvai, j’avais les faveurs du peuple et de la presse. Jugez en plutôt par les titres des journaux qui annoncèrent la nouvelle :

Eric Brandy, notre héros va être père d’un enfant impérial 

La Reine Cate DiLoren va mettre au monde l’enfant d’Eric Brandy

 

Moi, je me sentais légèrement honteux de la situation mais à priori j’étais le seul. Même la Reine était heureuse de cet évènement. Durant la période de sa grossesse, je passais la semaine au château, à veiller à la sécurité. Le week-end, je retrouvais mon appartement au centre ville de Coterly et mes deux enfants que mon ex-compagne me laissait. A mes enfants, Colin et Hugh, je leur expliquai la situation : l’imminente arrivée de leur petite sœur, car nous venions effectivement d’apprendre qu’il s’agissait d’une petite fille. Bien que c’était la fille de la Reine, je comptais bien l’emmener de temps à autre ici, qu’elle fasse la connaissance de ses frères. Je commençais donc à tout préparer : je m’occupais des meubles, lits, penderie, tandis que les garçons lui faisaient des dessins qu’on placarderait sur les murs de sa chambre.

Rien de ce que j’avais imaginé ne se passa. Deux mois avant le terme de sa grossesse, la Reine me demanda de l’accompagner au royaume de Boga, afin de rencontrer le roi qui avait besoin d’aide contre des invasions à répétition de leur territoire par l’Empire du Mal. Nous entreprîmes le voyage, malgré mes réticences au sujet de son état. Avec nous, John et cent de ses cavaliers, François et cent de ses hommes. Nous étions plutôt bien paré contre d’éventuels traquenards. Mes relations avec John et François étaient tout à fait cordiales, je dirais même que nous avions une certaine estime des uns des autres. Chacun était impressionné par la carrière de l’autre. Il n’y avait pas une once de jalousie. On connaissait trop bien la Reine Cate pour savoir que c’était elle qui décidait qui elle mettrait dans son lit.

Bien qu’elle était décisionnaire de beaucoup de choses, elle ne décida pas du jour de son accouchement. En plein cœur du désert, on dut monter les tentes en hâte. La Reine ressentait les premières contractions. Malgré tout, elle ordonna à John et François de poursuivre la route afin de rencontrer le roi de Boga. Avec eux, suivirent  cent hommes.

Nous étions donc là, à attendre la naissance de la petite princesse, avec pour compagnie les cris de la Reine. La petite naquit à la tombée de la nuit, sous les applaudissements des soldats.

Je me permis de rendre visite à la Reine et de voir pour la première fois le visage de ma fille. Celle-ci était minuscule. Elle dormait, les poings serrés, recroquevillée. Je la pris dans mes bras et me promenai un instant avec elle. J’étais émerveillé par ce que j’étais parvenu une nouvelle fois à concevoir.

Je remis l’enfant à sa mère et les laissèrent dormir. Je retrouvai ma tente qui était à quelques mètres de la leur.

Après avoir bu quelques verres d’alcool en l’honneur de ma fille, je me couchai et m’endormis d’un profond sommeil. Je me réveillai complètement déboussolé, sous le bruit de cris, de hennissement de chevaux et de coups de feu. Je me jetai hors de ma tente en prenant juste le temps de récupérer mon arme à feu. Au dehors, c’était le désordre le plus total. Des tentes brûlaient, d’autres étaient piétinaient par des chevaux, des hommes couraient en tout sens, des sabres s’agitaient dans l’air. Je me précipitai vers la tente de la Reine. Je vis la Reine qui portait sa fille s’enfuir devant une troupe d’hommes en noir. Je ne fus pas long à la réflexion. Après avoir tiré sur un cavalier noir, je jetai l’homme de son cheval et pris sa place. Je partis au galop, dirigeant mon cheval en direction du sud est, là où la Reine et ma fille avaient disparu. La Reine revint dans mon champ de vision. Elle était sur un cheval, emprisonnée par les bras d’un cavalier noir et se débattait considérablement vu son état. Ma fille, quant à elle, était également dans les bras d’un cavalier noir mais elle était déjà très loin.

Je réussis à rattraper le cavalier qui retenait la Reine. Celui-ci, à bout de souffle, devant la combativité de sa prisonnière, fut vite mis hors d’état de nuire. Je laissai alors la Reine sous la protection de ses hommes qui en avaient terminé avec les cavaliers noirs et repartis à la poursuite de ma fille.

  • Bonsoir Oreline, chose promise, chose due. J'ai donc lu ce troisième chapitre et j'avoue que je m'y suis perdu. trop de personnages et d'enfants d'un seul coup et une nouvelle fois trop peu de détail sur la psychologie des personnages et leurs environnements .je maintiens que l'idée est plaisante mais ça va trop vite pour moi...A plus tard, bien amicalement,

    · Il y a environ 14 ans ·
     14i3722 orig

    leo

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