Les disparues du lac des brumes

maricha

 INCIPIT

« Le Lac des brumes, c’est là ! »

Sarah, à l’arrière, étire ses petites jambes en baillant. Les paroles de sa mère Catherine l’ont tirée du sommeil.

« Un lac ? On va se baigner, maman ? » demande la fillette. Catherine se retourne pour poser une main chaleureusement sur son genou.

« Non ma chérie, c’est une aire d’autoroute. Le panneau indique qu’il y a un petit étang, mais il est interdit de s’y tremper.

- Un étang ? Il n’y a pas de lac alors, c’est un mensonge ! »

Depuis quelques temps, Sarah ne cesse de s’étonner du manque de précision dont témoignent les adultes lorsqu’ils nomment les choses. Pourquoi parler du cirque d’Hiver alors qu’on y donne des spectacles même en été ? Pourquoi n’y a-t-il aucun chemin dans la rue du Chemin vert, qui d’ailleurs n’est pas verte du tout ? Pourquoi dit-on « salle des pas perdus » alors que les pas ne peuvent pas se perdre, puisque ce ne sont pas des objets ? En classe, les incessantes questions de Sarah agacent les autres élèves. Ses professeurs la jugent unanimement précoce. Pour elle, ce sont plutôt les autres qui sont en retard.

«  - Le lac des brumes », reprend Catherine, songeuse. « Peut-être que la personne qui a nommé cet endroit était un poète. 

- Ou un farceur : il savait qu’avec un nom pareil, toutes les petites filles de huit ans voudraient s’arrêter ici pour piquer une tête » plaisante Eric, au volant. Sarah éclate de rire et glisse la main sur le t-shirt de son petit frère Simon, encore assoupi, pour le chatouiller. « On va pique-niquer, et ceux qui mangeront de la salade auront droit de goûter au gâteau de mamie », ajoute leur père. A ces mots, Simon se redresse d’un bond.

Eric se gare sur le petit parking devant la station service. La famille reste silencieuse quelques secondes. Les deux pompes à essence plantées juste devant le véhicule, recouvertes de rouille, semblent tout droit sorties des années cinquante. Les fenêtres de la minuscule boutique, un peu plus loin, sont si sales qu’il est quasiment impossible d’entrevoir l’intérieur. La peinture triste de la façade est presque entièrement écaillée. Sous les fenêtres s’accroche un lierre chétif et jauni, à l’air pitoyable.

« - Eh bien, y’a pas foule », commente Eric, pour détendre l’atmosphère.

A l’arrière, Sarah gémit. Cet endroit lui donne la chaire de poule. Il lui rappelle le film d’horreur qu’elle a regardé en douce la semaine dernière, avec la baby-sitter. Un long métrage interdit aux moins de seize ans. A cause d’un terrible orage, dix personnes s’y retrouvent coincées dans un vieux motel, quelque part au milieu du désert californien. Pendant la nuit, un mystérieux tueur les élimine les uns après les autres. L’ultime survivant découvre l’identité du bourreau juste avant de mourir : un personnage secondaire jusque-là au dessus de tout soupçon. Depuis, Sarah fait de terribles cauchemars, toutes les nuits.

« Maman, je n’aime pas cet endroit. On peut s’arrêter ailleurs ?

- On dirait que c’est abandonné », tremble Simon.

Catherine se retourne vers eux : « nous nous arrêterons ici parce que nous l’avons décidé ». Elle a dans le regard une dureté presque glaciale que Sarah ne lui connaît pas. Pourquoi tient-elle tant à faire une pause au lac des brumes ?

« - Allez les gosses, on descend ! » dit Eric avec entrain. Le ton jovial qu’il utilise dissipe un peu les craintes de la fillette. « Allons voir si cette boutique est aussi poussiéreuse à l’intérieur qu’à l’extérieur ». Les deux enfants sautent du véhicule pour rejoindre leur père.

« - Dis papa, il y a des WC ici tu crois ? » demande Simon, en tortillant nerveusement dans son pantalon.

« J’en suis sûr ».

 La première chose qui les surprend à l’intérieur est l’abondance des étagères. Les rayonnages s’étirant jusqu’au plafond débordent de boîtes de conserve king size et d’énormes bocaux de verre aux étiquettes multicolores.

Sarah s’approche pour les lire : cornichons russes Baillol, jambon désossé Spong, Sardines à l’olivette Mugier. « Papa, c’est quoi ces noms bizarres ? On dirait des trucs des années 50.

- Ce sont probablement des marques locales, ma chérie.

- Ils n’ont pas de coca ! » lance Simon en pointant le rayon boisson.

« - Ça ne risque pas : on ne vend pas de cochonneries américaines, ici ».

Les deux enfants et leur père sursautent. Ils se retournent vers le comptoir. Un homme immense, dépassant aisément les deux mètres, les toise en croisant les bras. Il est accompagné d’un molosse aux babines retroussées. Son visage épais est balafré d’une large cicatrice, remontant du bas de la joue droite jusque sous la paupière. Sa peau est criblée de petits trous, vestige d’une mauvaise acné juvénile. Sarah l’observe, méfiante : elle est certaine qu’il n’y avait personne lorsqu’ils sont entrés dans le magasin. Simon court se cacher derrière son père.

« On dirait que vous avez vu un fantôme », grogne l’ogre.

« - Pardon monsieur, nous ne vous avons pas entendu entrer. Avez-vous des toilettes ? »

L’homme pointe du doigt la porte derrière lui, sans dire mot. Sarah et Simon lèvent de concert la tête vers leur père, en la secouant vigoureusement de droite à gauche. « Ah, les gosses », dit celui-ci, un peu gêné. Le géant hausse les épaules, comme pour signifier qu’il se moque pas mal de l’effet qu’il fait aux enfants. « Pouvons-nous pique-niquer dehors ? » ajoute Eric.

« - Bien sûr. Il y a une table et un joli parc, juste derrière. Ça plaira aux p’tits ». La balafre barrant la joue droite de l’orge lui donne un air diabolique lorsqu’il sourit.

Le trio se hâte de sortir, trop heureux de retrouver la lumière chaude de l’extérieur.

« Alors ? » demande Catherine, en les voyant revenir.

« - C’est sinistre », répond son mari. « Mais il paraît que le parc derrière est agréable. On y va ? »

Les parents attrapent les provisions dans le coffre. Simon glisse sa main dans celle de sa grande sœur. Celle-ci ne peut chasser le malaise qui lui serre le cœur depuis qu’ils se sont descendus de voiture. Son instinct lui murmure que cet endroit a quelque chose d’anormal.

Pourtant, lorsqu’elle arrive de l’autre côté de la boutique, ses inquiétudes s’évaporent d’un souffle. L’épicier n’a pas menti : le parc est d’une beauté saisissante. Une prairie baignée de soleil s’étire sur près de trois cent mètres, jusqu’à la lisière d’un sous bois aérien. Des herbes folles lancent leurs tiges joueuses vers le ciel. Sur la droite, des libellules multicolores jouent au dessus de l’étang vers lequel se précipitent les enfants, curieux de découvrir s’il est habité de grenouilles ou de petits poissons.

« Incroyable », commente Eric. « Tu as eu le nez creux, Cathy : c’est l’endroit parfait pour faire une pause ».

Ensemble, ils dressent une nappe de tissu fleuri sur la table de bois installée pour les visiteurs près du point d’eau. Eric pose la glacière et le cabas sur l’un des bancs et sort les assiettes en plastique. Lorsqu’il relève la tête, son épouse fixe l’entrée de la forêt. Son front est plissé d’inquiétude. Il imagine une seconde qu’elle a aperçu quelque chose, un animal ou un individu suspect.

« C’est ici », chuchote-t-elle, comme ailleurs. Il pose la main sur son bras. « De quoi parles-tu, Cathy ?

- Rien, je rêvassais » dit-elle, soudain redevenue elle-même. Il hausse les épaules et dispose les couverts autour des assiettes. Après cela, il attrape le tupperware de salade de riz, la quiche et les sandwichs.

« - Ta mère nous a encore préparé à manger pour quinze !

- Tant mieux, cela nous évitera de devoir faire des courses ce soir. Tu sais comment c’est, au village : tout est fermé à dix-neuf heures.

- Les enfants, c’est prêt ! »

Sarah et Simon approchent en courant. La famille s’installe autour de la table. Eric plonge une généreuse cuillère dans la salade de riz et entame le service.

« - On a oublié l’eau », remarque Catherine. Je vais la chercher, j'en ai pour une minute ». La jeune femme s’éloigne à petite foulée, tandis que les enfants entament avec entrain leur salade.

Dix minutes plus tard, Simon lèche goulûment son assiette pour attraper les derniers grains de riz coincés dans les rainures du carton. Sarah, elle, a cessé de manger. Elle fixe nerveusement la direction du parking. Un mauvais pressentiment lui noue les entrailles.

« - Pourquoi maman n’est pas revenue ? 

- Tu la connais : elle doit être entrain de chercher ses lunettes de soleil. Dans deux minutes on va l’entendre hurler qu’elle ne les trouve pas, et dans trois minutes elle s’apercevra qu’elles sont sur sa tête.

- Oui », répond Sarah, peu convaincue. Elle ne peut s’empêcher de songer au géant balafré qui fait office de boutiquier. Et si sa mère était entrée pour acheter quelque chose ? Et si le monstre lui avait fait du mal ? Elle tente de chasser ces pensées – depuis qu’elle a vu ce fichu film d’horreur, elle imagine que des serial-killers se cachent partout. Quand cela lui passera-t-il ? Elle plonge sans conviction sa fourchette dans ce qui lui reste de salade.

Quinze minutes plus tard, Catherine n’est toujours pas revenue.

Lisant l’angoisse sur le visage de sa fille, Eric s’essuie la bouche et se lève. « Surveille ton frère, je vais la chercher », dit-il.

Sarah se serre contre Simon et attrape le gilet de laine que sa mère a laissé là avant de partir. Elle le noue autour de ses épaules. Elle est frigorifiée, anormalement. Malgré les rayons explicites que le soleil de midi envoie droit sur eux, elle est incapable de se réchauffer. Comme si le froid qui la paralyse venait de l’intérieur de son propre corps.

Cinq minutes plus tard, Eric réapparaît. Il avance d’un pas déterminé vers la table. Son visage est livide. Ses yeux écarquillés. Sarah se blottit un peu plus contre son frère. Ils fixent avec terreur leur père avancer vers eux, redoutant déjà ce qu’il va leur annoncer. Mais celui-ci les dépasse et continue son chemin sans mot dire. Il traverse la prairie jusqu’à la lisière du bois, disparaît derrière les arbres. Les enfants le regardent s’éloigner, bouche bée.

Quelques gouttes de pluie tombent sur la table. Sarah lève la tête : des nuages noirs et menaçants masquent le soleil. Un orage se prépare. Il y a quelques minutes encore, le ciel était pourtant d’un bleu éclatant. Ils échangent un regard affolé. Simon éclate en sanglots.

« Papa ! » hurle Sarah, incapable de décider quoi faire. La pluie tombe désormais tout à fait. De lourdes et froides gouttes rebondissent bruyamment sur la nappe. En moins d’une minute leurs vêtements sont entièrement trempés. Sarah entraîne son petit frère sous la table, afin de les mettre à l’abri.

De leur cachette ils aperçoivent l’orée de la forêt, désormais dense et menaçante. Le charme de la prairie s’est envolé avec le beau temps. Le ravissant étang, survolé de libellules arc-en-ciel, a désormais une couleur glauque : l’averse a fait remonter la vase du fond. Les cumulus noirs s’amoncelant au-dessus de leur tête jettent des ombres inquiétantes autour d’eux. Une pensée traverse l’esprit de Sarah : et si leurs parents ne réapparaissaient jamais ?

Un éclair violent jette soudain une lumière aveuglante sur la prairie. Simon hurle de peur et se serre contre sa sœur. Une main attrape alors le bras de Sarah, qui hurle à son tour, figée de terreur.

« C’est moi, c’est moi ! »

Eric se glisse sous la table avec les enfants. Ces derniers se jettent à son cou avec soulagement.

« Où est maman ? » Eric reste muet quelques secondes. Il fixe le sol en se mordant la lèvre. Sarah comprend ce que cela signifie : il n’en a pas la moindre idée. « Probablement pas loin », finit-il par dire. « Elle a dû se laisser surprendre par la pluie elle aussi et est allée se réfugier quelque part.

- Mais qu’est-ce qu’on va faire ? » demande Simon, entre deux sanglots.

- Nous allons nous abriter dans la boutique, et votre mère nous rejoindra là-bas ». Il sort de la cachette, fait grimper son fils sur ses épaules et attrape la main de sa fille. Ils courent ensuite en direction de la station service, abandonnant derrière eux la nourriture détrempée sur la table.

Juste avant qu’ils n’entrent dans le magasin, Sarah remarque que leur voiture n’est plus là. Le parking est entièrement vide. Eric l’a probablement garée ailleurs. Pourquoi ?

A l’intérieur, le géant se précipite vers eux avec trois couvertures chaudes, qu’il enroule autour de leurs épaules. « Je vous ai vu courir sous la pluie », dit-il. « Est-ce que tout va bien ? »

Sarah étudie son visage. Malgré sa menaçante citatrice, le monstre a l’air sincèrement inquiet pour eux. Et si elle s’était trompée à son égard ? Après tout, sa mère répète souvent qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Il est vrai que dans le film d’horreur, le serial killer se révèle être un charmant jeune homme à première vue au-dessus de tout soupçon, tandis que le sans abri violent que tout le monde suspecte est en réalité innocent. Sarah ne sait plus que croire. Elle a peur.

« Je vais vous préparer des chocolats chauds » dit l’ogre. « Je m’appelle Robert ». Il disparaît dans l’arrière boutique pour en revenir quelques minutes plus tard, avec trois tasses fumantes sur un plateau. L’énorme chien assis près du comptoir le regarde faire avec nonchalance.

« - Vous ne l’avez toujours pas vue ? » demande Eric.

- Non monsieur. Venez avec moi ». Les deux hommes s’enferment dans la pièce d’où Robert a ramené les boissons. Sarah déteste quand les adultes font cela : s’isoler pour se dire des choses que les enfants ne sont pas censés entendre. Elle imagine leur discussion :

« - J’ai peur qu’il lui soit arrivé quelque chose.

- Je vous suggère d’appeler la police.

- Vous êtes sûr ? Je ne voudrais pas inquiéter les enfants pour rien. Elle s’est peut-être simplement abritée quelque part.

- Il n’y a aucun abri ici monsieur, juste la forêt et plus loin la montagne.

- Vous avez raison : appelons la police. »


Lorsque les deux hommes reviennent, le visage d’Eric est plus soucieux que jamais.

Il s’agenouille près d’eux. Sarah déteste également quand les adultes font cela : se mettre à la hauteur des enfants, comme s’il était plus facile de leur dire les choses ainsi.

« - Nous ne savons pas où est maman. Ce n’est sûrement rien de grave, elle s’est probablement coincée le pied dans une branche, tout près. Mais pour la retrouver le plus vite possible, monsieur Robert et moi avons appelé la police ». Simon fond de nouveau en larmes.

« - Papa, où est la voiture ? » demande Sarah. Eric jette un regard angoissé à l’épicier. Puis, tout bas, comme pour que Simon ne l’entende pas, il confesse : « je n’en ai aucune idée ».

La nuit est déjà tombée quand les hommes en uniforme débarquent. L’après-midi a filé à une vitesse anormale. Les deux enfants sont allongés l’un contre l’autre sur un lit de camp que Robert a sorti pour eux. Simon ne pleure plus, mais son corps est régulièrement agité de spasmes. Eric marche nerveusement les cents pas entre les étagères. Lorsque les deux policiers entrent, il s’isole avec eux dans l’arrière boutique. Le géant s’approche alors des enfants. Il pose une main qu’il espère réconfortante sur l’épaule de Sarah. Celle-ci lit dans ses yeux qu’il est vraiment désolé pour eux. Mais elle y détecte également autre chose. Il sait ce qui est arrivé à maman.


Soudain le ton monte dans la pièce voisine. Robert s’y précipite. Sarah en profite pour se glisser hors du lit. Elle se cache derrière le comptoir et tend l’oreille.

« - On ne peut pas y aller cette nuit monsieur. Pas avec ce déluge.

- Mais s’il lui est arrivé quelque chose ? Si elle est blessée ? Elle pourrait faire une hypothermie, il faut la retrouver ». Sarah s’approche encore un peu. Par la porte entrouverte, elle aperçoit les visages des deux policiers. Ils échangent un regard gêné. A côté de son père, ils ont l’air très jeunes.

« - Monsieur Barrier, nous pensons que votre femme n’est pas ici. Votre voiture a disparu. Le plus probable est qu’elle soit partie avec. Nous avons lancé un avis de recherche.

- Impossible. Jamais Catherine ne nous aurait laissés comme ça. Où serait-elle donc allée ? »

Le plus grand des policiers pose une main sur l’épaule d’Eric, qui la repousse.

« -Vous n’avez qu’à lancer votre appel à témoin, si c’est tout ce dont vous êtes capables. Moi je vais aller fouiller la forêt. Tout de suite.

- Monsieur, ce n’est pas raisonnable.

- Je vais l’accompagner » tranche Robert, en lançant un regard entendu aux deux autres. Une fois de plus, Sarah a le sentiment que cet homme en sait plus qu’il ne veut bien le dire. Elle regagne le lit de camp et se blottit contre Simon, qui a fini par trouver le sommeil. Eric s’approche et pose un baiser sur leurs deux fronts. Quelques minutes après, équipé d’un grand imperméable et d’une lampe torche, il sort, accompagné du géant et du chien.

Les deux policiers rejoignent la boutique. Imaginant les enfants endormis, ils poursuivent leur discussion sans se soucier d’eux.

« - Pauvre type.

- Il s’est fait plaqué, tu crois ?

- Evidemment. C’est un grand classique : la femme ne supporte plus la routine de sa petite famille, elle plaque tout sur un coup de tête pour aller rejoindre un type qui la fait rêver.

- P’t’être bien. C’est moche ».

Ne tenant plus, Sarah saute du lit et fonce sur le plus petit des policiers, qu’elle rue de coups de poing de toutes ses forces.

« Oh là, tout doux », dit le plus grand, en la soulevant du sol. « Ne t’inquiète pas ma p’tite, on va la retrouver ta maman, hein ? » Il serre ses bras très fort autour de ceux de Sarah pour l’empêcher de se débattre et la rallonge de force dans le lit. « Maintenant tu vas te calmer, d’accord ? »

Elle se roule en boule et lui tourne le dos. Elle enfonce son visage dans le matelas pour qu’ils n’entendent pas ses pleurs. Sa mère ne s’est pas sauvée pour rejoindre un autre homme. S’il y a bien une chose dont elle est sûre, c’est qu’elle ne serait jamais capable de faire cela.

                                               *   *   *

Lorsqu’elle rouvre les yeux, son père ôte l’imperméable trempé qu’il porte sur les épaules. Elle devine à sa mine sombre qu’il n’a pas retrouvé Catherine. A l’extérieur, le jour s’est levé. Le déluge de la veille s’est mué en pluie fine et collante. Les deux jeunes policiers de la veille ont été remplacés par trois autres, plus âgés. Lorsqu’il croise le regard de Sarah, Eric sourit faiblement.

« - Ma chérie. Une dame va vous raccompagner à la maison pendant qu’on continue de chercher maman.

- Non je veux rester ici.

- Mamie vous attend. J’ai besoin que tu sois avec elle pour surveiller ton frère, d’accord ?

- Est-ce qu’ils vont la retrouver, papa ?

- Bien sûr », répond-il. Sarah devine à son sourire forcé qu’une part de lui, déjà, n’en est plus tout à fait sûre.

Une femme aux longs cheveux blonds, vêtue d’un tailleur beige un peu trop strict, entre dans la boutique. Elle referme son parapluie, fait un signe de la tête à Eric. « Vous allez monter avec madame Fayé, elle va vous ramener à Paris ». La dernière chose dont Sarah a envie est de quitter son père pour suivre une inconnue. Comment peut-il lui infliger cela ? Pourtant, elle ne proteste pas. Elle et Simon, en état de choc, suivent en silence madame Fayé jusque dans sa voiture. « Je travaille pour la police. Tout ira bien », dit-elle en les aidant à attacher leur ceinture. « Ne bougez pas, je reviens tout de suite ».

Elle ferme la porte, laissant les deux enfants seuls dans le véhicule. Elle rejoint l’un des policiers devant la boutique, échange quelques mots avec lui, puis rentre. Simon recommence à pleurer. Sarah laisse son regard errer sur la façade dégarnie, les pompes à essence rouillées, le lierre mourrant. Elle repense au sentiment désagréable que lui avait inspiré cet endroit lorsqu’ils se sont garés ici même, vingt-quatre heures plutôt.

Soudain, elle aperçoit quelque chose remuer sur les vitres sales de la boutique. Elle se redresse pour mieux regarder. Son rythme cardiaque accélère. L’air cesse de rentrer dans ses poumons. Sur l’une des fenêtres se détache très distinctement le reflet de sa mère, tentant de lui crier quelque chose. Catherine n’est pourtant pas à l’intérieur de la boutique, ni même à l’extérieur : le reflet semble venu de nul part. Sarah fouille les alentours du regard, pour vérifier s’il ne s’agit pas d’un quelconque effet de miroir. Non. Elle revient à la fenêtre.

Le reflet de Catherine est bien là, sur la vitre juste en face d’elle, remuant les lèvres dans le silence, tel un fantôme prisonnier du verre.


SYNOPSIS « Les disparues du lac des brumes »


Episode 1


En route pour des vacances dans le sud, sur l’autoroute 666, la famille Barrier s’arrête pour une pause pique-nique sur l’aire de repos savoyarde du « lac des brumes ». Eric et Catherine, les parents, accompagnés de Simon et Sarah, six et huit ans, s’installent à l’extérieur. Catherine retourne à la voiture chercher une bouteille d’eau. Elle ne reviendra jamais. Elle et la voiture ont disparu.

Episode 2


Vingt ans plus tard. Sarah est devenue journaliste, spécialiste des faits divers. Sa famille ne s’est jamais remise de la disparition restée inexpliquée de sa mère. Son père a sombré dans le mutisme. Son petit frère est paumé. Un matin, elle tombe par hasard sur une dépêche AFP annonçant qu’une mère de famille, Anna Rolland, s’est mystérieusement volatilisée avec sa voiture, pendant que son fils et son mari pique-niquaient non loin. Le drame a eu lieu sur l’aire d’autoroute du « lac des brumes ».

Episode 3


Sarah se rend sur place, officiellement dans le but d’écrire une enquête pour son journal, mais avec l’espoir secret d’apprendre quelque chose sur la disparition de sa mère. Elle découvre avec stupeur que l’aire d’autoroute n’a absolument pas changé. Le temps semble s’y être arrêté. Même l’employé de la station service, un inquiétant géant accompagné d’un chien noir, n’a pas pris une ride.

Episode 4


Elle interroge Marc Rolland, l’homme dont l’épouse Anna vient de disparaître. Il lui montre un portrait : elle ressemble trait pour trait à Catherine, la mère de Sarah. Il lui apprend également que c’est l’un des amis d’Anna, un certain Alan Muller, qui leur avait recommandé de s’arrêter sur cette aire. Il lui remet une photo de ce dernier. Sarah le reconnaît immédiatement : cet homme était aussi, autrefois, un ami de sa propre mère.

Episode 5


Sarah rend visite à son père Eric. Ils ne se sont pas parlés depuis des années. Elle retrouve chez lui la photo où Catherine est en compagnie d’Alan Muller. Eric ignore où sa femme l’avait rencontré. Lui-même ne l’a vu qu’une ou deux fois. Alan Muller avait déménagé peu après la disparition de Catherine. S’agit-il vraiment du même homme ? Sarah pense que oui. Soudain nerveux, Eric lui somme d’arrêter son enquête insensée sur le champ. Elle ne comprend pas pourquoi et le quitte en colère.

Episode 6


En fouillant les archives du journal local, Sarah découvre que tous les vingt ans, une jeune femme disparaît mystérieusement à cet endroit précis. Et ce, depuis 1897, date de la première disparition : celle de Madeleine Muller, épouse du vicomte Alan Muller, célèbre spirite, dont la demeure brûla peu après. Elle se situait là où se tient aujourd’hui la station service. On l’appelait le Manoir du lac des brumes.

Episode 7


Mue par un étrange pressentiment, Sarah retourne sur l’aire de repos. Elle se gare et attend. Vers quatre heures du matin, alors qu’elle lutte pour garder les yeux ouverts, elle assiste à une scène étrange. Sur la vitre de la boutique, le reflet d’une jeune femme ressemblant à Catherine – ou bien est-ce Anna – lui crie quelque chose. Elle sort pour mieux voir : le reflet a disparu. Au sol, elle trouve un médaillon ancien. A l’intérieur, le portait noir et blanc d’une femme qui pourrait être Catherine ou Anna. Mais Sarah devine qu’il s’agit de Madeleine Muller.

Episode 8


Au petit matin, elle reçoit un coup de fil de la sœur d’Anna. Elle lui révèle qu’Anna avait découvert par hasard l’histoire des disparues du lac des brumes et sa ressemblance étrange avec ces femmes. Elle était obsédée par leur destin tragique et était persuadée qu’elle suivrait le même. En raccrochant, Sarah aperçoit un homme sortant de la station : Alan Muller. Elle se lance à sa suite. Il s’enfonce dans les bois et accélère de plus en plus. En bas d’un virage, la voiture du vicomte s’évapore mystérieusement. Sarah, déroutée, perd le contrôle du véhicule et plonge dans le fossé.

Episode 9


Elle se réveille à l’hôpital, son frère et son père à son chevet. Elle leur raconte ce qu’elle a appris sur les disparues du lac des brumes et leur montre le médaillon avec le portrait de Madeleine. Eric reconnaît le bijou : Catherine l’avait acheté dans une brocante, intriguée par sa ressemblance avec Madeleine. Il leur confie également une chose qu’il ne leur avait jamais avouée : la nuit de la disparition de leur mère, il avait aperçu quelque chose dans la forêt. Une vision qui lui avait inspiré une terreur sans nom. Ensemble, ils reconstituent l’enchaînement qui a conduit Catherine à amener sa famille sur l’aire du lac des brumes. Savait-elle qu’elle allait disparaître à son tour, comme Anna ? Si oui, pourquoi n’a-t-elle rien fait pour l’éviter ?

Episode 10


Sarah, Eric et Simon mettent le feu à la station service espérant que personne ne reconstruira rien ici, et que cela mettrait un terme à la malédiction des disparues. Ils déménagent tous les trois pour le Québec, où Catherine rêvait d’y vivre, pour reconstruire une nouvelle vie, ensemble.

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