Les douches de la caserne

Julie Huleux

Scène extraite de l'épisode #1 de "La Love Compagnie"

L'eau chaude s'écoule dans les douches sans discontinuer.

On l'entend depuis l'entrée de la salle de bains. Qui n'a de salle de bains que le nom, d'ailleurs, car le lieu ressemble davantage à un vestiaire de stade.

Des casiers sont alignés, fermés par des cadenas à codes. Certains renferment des photos de familles, des souvenirs des proches qu'on laisse à la maison le temps d'une garde périlleuse. Ils contiennent les vêtements civils, des uniformes de rechange, des téléphones portables oubliés dans une poche de blouson. Des chaussures de ville, qui changent agréablement des bottes de sécurité incendie ou des rangers habituelles. Des mousses à raser, mais aussi parfois un peu de maquillage.

Au fond, trois cabines de douche séparées par des murets carrelés. Elles sont toutes équipées de portes blanches qui montent à hauteur d'épaule, et permettent de vérifier qui s'y trouve, d'un simple coup d'œil, si un membre d'équipe est recherché.

Mais les trois cabines côte à côte sont grandes ouvertes.

Même celle qui est justement occupée…

Une jeune femme jouit, debout, le dos plaqué contre le carrelage.
Le pommeau de la douche, accroché bien au-dessus de sa tête, déverse l'eau en pluie sur son corps. Le café-au-lait de sa peau métisse se mue en une belle géographie parcourue par un doux déluge. La vallée de sa gorge alors qu'elle lève les yeux au plafond dans un râle de plaisir. Les courbes de ses seins ronds aux pointes effrontées. La plaine de son ventre, tranquille en surface, secoué dans ses profondeurs de répliques orgasmiques.

Sur sa hanche, une main blanche. Une main d'homme, accrochée à elle jusqu'à y planter ses ongles courts.

La femme gémit, transportée par une nouvelle vague attendue. Ses doigts caressent avec une tendresse désespérée les cheveux roux de l'amant nu, à genoux à ses pieds. 
Le plaisir qu'il se plaît à lui procurer sous le bruissement de l'eau est une torture.
Elle a cru mourir d'extase par deux fois, étonnée de brûler si vite. Mais il a cette façon de faire… Qu'il la mordille ou qu'il la lèche, tout est affaire de rythme. Et il impose le sien avec expertise. C'est un mélange de frénésie et de dévotion. Les gestes rapides de ses doigts fins bougeant au fond d'elle. Le plat de cette langue agile tapissant son clitoris et ses lèvres écartées avec une lenteur diabolique. 

Une fine jambe relevée est en appui sur une épaule tatouée. Il la repousse doucement de sa main libre, sa bouche quittant son sexe éperdu sans prévenir. La belle a un hoquet de surprise avant de baisser son regard vers lui.

Déjà, il se lève, le regard intense, l'érection splendide.
Elle ne l'a pas vu enfiler le préservatif, mais se réjouit d'un sourire que la chose soit déjà faite.
Il entre en elle sans tergiversation, sans même un baiser. Ses doigts d'albâtre incrustés dans la cuisse métisse qu'il soulève pour faciliter la pénétration.

Un soupir de concert. Un instant de paix, où chacun savoure en silence la sensation de leur combinaison. Leurs regards fondus l'un dans l'autre.
Les bouches se rencontrent presque par accident. Lèvres pleines et lignes fines. Mais le baiser se fait vorace, et les corps se mettent enfin en mouvement dans le grondement satisfait des deux complices. 

À chaque vigoureux va-et-vient de leur étreinte, le tatouage dans le dos de l'homme semble prendre vie. Le dessin couvre une large surface, des trapèzes jusqu'aux épaules. Et il est d'un motif si finement travaillé qu'il a l'air peint plutôt que gravé dans l'épiderme. Une imitation fidèle d'une fresque célèbre de la Chapelle Sixtine. D'un côté, Adam alangui sur Terre. De l'autre, Dieu, porté par des anges.

Les muscles de l'amant roulent sous sa peau à la cadence de ses hanches ; si bien que lorsqu'il plaque son torse à la poitrine de sa partenaire, dans un ultime sursaut de jouissance animale, les doigts tendus d'Adam et de Dieu, enfin, se rejoignent.

Signaler ce texte