Les Fleurs du mal: l'oeuvre d'un poète dépressif? (1ère partie)

Véronique Maitressfemme

TCF tu sollicites mon avis pour savoir si Baudelaire souffrait ou non de dépression. Merci Patrick pour la patate chaude!

Mais je ne suis pas de celles à se dérober (au sens figuré). Je vais donc ressortir mon tablier, ma trousse, mon compas, mon équerre, ma règle et quelques autres outils barbares dans lesquels j’espère tremper ma plume et surtout trouver un peu d’inspiration.

Sujet délicat pour une non-spécialiste que je suis. Je m’avancerai avec d’autant plus de précautions que nombre de thérapeutes ferraillent encore entre eux sur la définition de cette maladie.

Parmi ses symptômes évoqués, on peut noter ; des particularités psychologiques (mauvaise estime de soi, l’anxiété, une inclinaison au suicide, des obsessions, des troubles cognitifs, de façon générale une vue très pessimiste de la vie et de l’humanité, etc.), et d’autres plus physiques (troubles du sommeil, maux de têtes, des problèmes digestifs, un  état léthargique ou d’hyperactivité, etc.).

Les causes peuvent être le cumul de plusieurs hypothèses qui ne font toujours pas l’unanimité des médecins.

Hypothèses biochimiques : déficit de neurotransmetteurs (la sérotonine, la norépinephrine et la dopamine, etc.).

Hypothèses biologiques : particularité des ventricules latéraux, des glandes surrénale, ou de la neurogenèse de l’hippocampe, ou bien même hormonale etc.

Hypothèses psychologiques : résilience, la mauvaise qualité parents-enfant, en particulier  l'expérience d'une perte, d'une séparation ou d'un rejet du parent, déception amoureuse etc.

Hypothèses socioprofessionnels : harcèlement, échecs professionnels, isolement social, pauvreté etc.

Hypothèses médicales : abus de substances psychotropes tels que certains médicaments ou drogues, etc.

Pour ce que je peux connaître de la vie de Baudelaire de nombreux symptômes et causes sont réunis.

Sa propension au suicide qui commence dès 1845 (24 ans) pour devenir obsessionnelle à partir de 1860 (cf premier testament de 1845 ou ses échanges épistolaires avec sa mère, ou bien les témoignages de ses amis proches comme ceux de Th de Banville).

Ses vues négatives sur l’évolution de l’humanité, sur les effets du progrès, sur la condition humaine, sur la précarité de la vie.

Ses symptômes physiques tels que troubles digestifs (Diarrhées à répétitions) et maux de têtes incessants.

Autant d’éléments corroborent une possible dépression.

Si tel est le cas les causes ne manquent pas.

Que sait-on de son état médical ?

Baudelaire était syphilitique (probablement contractée durant sa relation avec la prostituée Sarah la Louchette vers 1840) et souffrait de violentes diarrhées ainsi que de puissants maux de tête, chroniques. C’est ce qui l’a amené, pour des raisons thérapeutiques, à consommer à des doses de plus en plus importantes d’une part de la « confiture verte » (cannabis), d’autre part de laudanum (préparation à base d’opium).

On sait aussi qu’à partir de son exil à Bruxelles vers 1865 ou 1866, il est frappé de troubles cérébraux, d’aphasie et d’hémiplégie.

Rien de très étonnant lorsque l’on sait que cette terrible maladie, mortelle et sexuellement transmissible, se développe en trois phases (sur une vingtaine d’années), et dégrade tour à tour les fonctions digestives, cardiovasculaires puis neurologiques.

Depuis les préconisations de l’alchimiste Paracelse (1547) jusqu’à l’arrivée de la pénicilline (découverte un peu par accident par Fleming en 1928) le traitement de la Grande vérole (Mal de Naples, Maladie des Français, Maladie des Anglais ou Maladie de Cupidon), était essentiellement à base d’onguent de mercure.

A la lumière des connaissances scientifiques d’aujourd’hui, on peut mesurer à quel point le traitement au mercure ne pouvait que dégrader encore plus l’état neurologique du patient.

On pouvait ainsi, peut être, tuer la maladie mais à coup sûr, tuer le malade.

Que sait-on de ses « traumatismes » psychologiques ?

Charles n’a que 6 ans lorsqu’il perd son père, un homme érudit épris des idéaux des Lumières. Il reporte ensuite toute son affection sur sa mère qu’il vénère mais dont il ne pardonnera jamais son remariage avec « un bourgeois militaire », « homme matérialiste qui s’opposera sans répits à sa vocation poétique, en lui volant « Son Grand Amour ». Dans la catégorie des problèmes parents-enfant qui peuvent être des causes de dépression, ces circonstance ne sont pas des moindres.

Sans me lancer dans une analyse freudienne trop poussée, on peut deviner que ces fêlures ont pu influencer et fragiliser les futures relations amoureuses de l’auteur. (J’y reviendrai ultérieurement dans l’analyse de son œuvres)

Enfin, bien que déjà abordée précédemment dans son état de santé connu, je dois revenir sur l’aspect psychologique cette fois, de la syphilis.

A travers le fléau récent du sida de nombreuses études ont pu montrer les impacts psychologiques tant sur le patient que sur la conscience collective, des maladies graves, sexuellement transmissibles. Que la sexualité, l’amour et le plaisir puissent être associée à la mort bouleversent en profondeur, nos instincts, notre esprit jusqu’à nos croyances.

Combien y ont vu, le courroux céleste frappant sans pitié le stupre, la fornication, le vagabondage sexuel, l’infidélité, les « rapports contre natures » et que sais-je encore ?

Il est probable que pendant des siècles, la syphilis ait eu les mêmes impacts.

Que sait-on de sa vie sociale et professionnelle ?

A la mort de son père Baudelaire hérite d’une maigre pension qu’il doit partager avec son demi-frère. Pour ne pas devenir pauvre, il lui aurait fallu gérer de façon drastique son budget. Ce ne fut pas le cas puisque dès 1842 il se retrouve sous tutelle judiciaire (équivalent d’une faillite personnelle) due à une vie particulièrement dissolue.

Cette précarité fait de lui un perpétuel nomade. On lui connaît, au court de sa vie, pas moins de quarante adresses successives, sans compter les nombreuses tavernes au il passait le plus clair de son temps.

Après avoir hésité, dans un premier temps entre la peinture et la littérature, il ne se consacra finalement qu’à l’écriture et plus spécialement à la poésie.

Ses œuvres, relativement peu nombreuses, si on les comparent à celles d’autres auteurs de son temps ( par expl Victor Hugo) ne lui ont pas permis d’en vivre décemment. Elles ne connaitront vraiment le succès publics qu’après sa mort. Ce sont ses critiques (littéraires ou picturales) et ses traductions des œuvres d’Edgar Poe qui lui assureront un minimum vital.

Une de ses grandes douleurs a été le procès pour « offense à la morale religieuse » et « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs » qui lui fut intenté seulement deux mois après la première parution des « fleurs du mal ».

Son élection manquée à l’académie française (aucune voix favorable) vient couronner le tout.

C’est depuis Bruxelles où il fuira pour échapper à la censure qu’il publiera de nouvelles œuvres.

En résumé, un parcours professionnel chaotique qui pourrait, à lui seul, nourrir une potentielle dépression.

A ce stade du checkup, le diagnostique semble pencher la balance dans cette hypothèse.

Est-ce que l’étude de son œuvre amènerait à une conclusion similaire ?

C’est ce que je te propose, si tu le souaites, de faire dans une deuxième partie.

Fin de la première partie.

  • Oui a ce stade du texte je comprends votre horreur. Peut être que la suite de l'argumentation (en deuxième partie) vous amènera à plus de clémence. Encore un peu de patience
    Merci de m'avoir lu

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Chaton

    Véronique Maitressfemme

  • Quelle horreur...Mais...Pourquoi?!

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Plume orig

    ellem-jee

  • Oui bien sur! mais n'anticipons pas sur la deuxième partie. Merci pour cette lecture et votre commentaire

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Chaton

    Véronique Maitressfemme

  • Intéressante (et cruelle) analyse de l'état de Baudelaire. Nonobstant des troubles bien réels il se peut aussi, que le romantisme, qui impliquait le message sous-jacent "on ne peut être heureux dans une société bourgeoise", soyons donc désespérés...y soit pour quelque chose aussi...La longue série des poètes maudits de cette époque témoignerait de cela...Une certaine façon d'aller au fond de son malheur pour en tirer la substantifique moelle poétique et révolutionnaire...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

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