Les genoux verts
amaende
« Les genoux verts ».
Ne pas les avoir !
C'était l'expression des garçons sur mon blède en Haute Loire, dans les années quarte-vingt dix. Nous, les filles, nous avons mis pas mal de temps à la comprendre.
C'était des plus simple, en fait. Si tu allais faire ça en dehors d'une chambre, d'un intérieur comme une voiture, d'un fond de garage, ou des toilettes de la boîte de nuit, t'avais de grande chance d'avoir « les genoux verts ». A savoir que ton mec (en position du missionnaire, donc lui a quatre patte sur toi couchée sur le dos) t'avait fait l'amour dans l'herbe aux abords de la boîte... Comme des animaux... A la vite fait... Entre mégots et vomis... Enfin un truc pas glorieux pour le gars, et surtout une étiquette de fille plus que facile pour la nana...
Pour éviter cette réputation, fallait « juste » que ce soit une « vraie histoire », ou que ton mec soit un beau gosse, ou que toi tu sois « une vrai bombe »...
Je n'ai jamais fait partie malheureusement de cette dernière catégorie... J'étais amoureuse d'aucun des gars de cette époque, à cet endroit là... Après, c'est comme n'importe quelle boîte de nuit, n'importe où, et n'importe quand. Tu sais que tu va te terminer là, en attendant exactement le même scénario le week-end d'après, encore et encore, jusqu'à l'overdose... Ou que tu bouges de ce bouge...
T'es là, en groupe, en meute. Les filles d'un côtés et les mecs de l'autre. La moitié n'ont pas l'âge d'être ici, le reste ne l'a plus depuis longtemps... Quelque transfuges de l'un et de l'autre des deux côtés, des deux clans. Le genre de nanas ou de mecs qui connaissent tout le monde ou qui « fréquentent » une personne de l'autre groupe depuis pas mal de temps. Quels privilégiers !
On boit (encore), on fume (beaucoup et pas que du régulier si on connait du monde), on danse (mal), on parle (très peu en fait). On hurle toute la soirée, la solitude de nos corps et la peur de la nuit de nos vies...
Beaucoup de prétendants, mais peu d'élus. C'était à moi ce soir là, d'être choisie. Il me restait encore je pense, le choix de dire non en m'enfuyant, et de passer pour une pucelle ou un truc comme ça... Puis y'a ce mec qui te colle. Énervé. Tu le jauges. Moi fallait juste qu'il sois plus grand que moi et sans boutons. Un peu mon contraire, donc. Tes copines te rettappent toute la soirée. Assourdies par le bruit et l'indécision, je me laisse embrasser. Un goût d'alcool fort et de tabac froid. Ces mains baladeuses me débraille. Vu que je suis habillée comme une pauvre fille (pardon, une nana cool des années quatre-vingt dix...), je me sent déjà nue dans ces bras. Ça fait du bien deux bras d'homme autour de soi, quand même. Je me laisse aller, ou bien ?
Faut que je parte...
Il me rattrape au vestiaire, tente de m'embrouiller. Trop tard mec, c'est fait, ne le sait tu pas encore ? « Viens ». Je feins de lui donner rendez-vous le week-end prochain, qu'il est sympa, que je suis naze, que... Il fait presque jour. Je le tire sur l'arrière de la boîte. Faut absolument éviter le bas de la colline. En bas, c'est les genoux verts garantis. C'est ceux qui sont trop raides pour grimper et surplomber ce désert d'âmes seules que sont les abords de la boîte de nuit au petit matin. C'est trop crade aussi au milieu des restes de capote abandonné là de générations en générations... On grimpe en se tenant encore la main de temps en temps... Comme deux gamins de moins de 7 ans, avant l'apparition de la différence des sexes, avant les filles gourdes, et les garçons cons.
On rigole comme des idiots, bien gênés de ce retrouver là, à deux. On se vautre sur la broussaille à cause de l'accumulation fatigue, alcool et joints. Je fais les comptes mentalement : plus de 100 balles encore cassées comme une conne, deux paquets de cigarettes défoncées de leur carton avec mon feu de chourré. Elsa, je suis sure ! Si c'est pas elle, c'est c'te perche de Lisa...
Reste quoi ? Moins de dix cloppes...
....et un mec !
Ce mec. Mon premier. Oh pas une gloire, ou un mauvais souvenir... Juste le mec de ma première fois. Et de quelques autres suivantes. .. Le temps d'un bon et brèf été, quoi. Si techniquement cette première fois avait eu quelque chose de bon, je vous le dirais. Sérieux. Après, j'étais bien "fatiguée". Le seul truc dont je me rappelle, c'était mes oreilles qui sifflaient, et la concentration que je gardais pour ne pas tourner de l'œil à cause de mon envie de vomir. Non pas du gars, mais de la défonce..
J'ai du m'endormir ou un truc comme ça...
C'est lui qui m'a réveillé et m'a demandé si ça allait... Je me suis rhabillée. Il voulait me tenir la main pour redescendre. Déjà que ce n'était pas pratique à la montée... Arrivé en bas, nous avons marché direction la ville et chacun chez sois... J'ai juste tenu à le reprendre dans mes bras qu'il me serre fort. Moi, en tout cas, je l'ai serré très fort. J'avais peur d'être seule, mais je ne voulais pas qu'il m'accompagne plus ???
Je suis rentré chez moi. J'ai réveillé mon grand frère ivre mort dans sa voiture qu'il a tenu comme toujours à la ramener comme un grand. Incapable de s'en sortir seul pour aller se vautrer dans son pieu, notre père est venu nous aider. Trois mots de banalités échangés sur la soirée, et son éternel clin d'œil de complicité signant son impuissance, pour une bonne nuit. J'ai planqué mes fringues pour ma mère. J'ai contemplé ce corps de complexes dans mon psyché. Pas de changements visibles. Même dans mon intimité. Une odeur de foufoune et de capote, seulement. C'est vrai que ça sent la capote. Je serais tombé sur un type bien ? Ou un peureux ?... A voir samedi prochain... Mais que dira t-on sur moi ? Genoux verts ou pas ? Je ne le pense pas. Mais si je pouvais trouver autre chose à faire... Non, y'a que ça à faire samedi prochain...
Esther
On s'y revoit presque
· Il y a plus de 13 ans ·bozars
coup de coeur! j'aime cette simplicité légère..
· Il y a plus de 13 ans ·l'animelle
lanimelle