Les grains de sable

shadowsofbetterdays

Pour vous, mère.

Ce soir là,la nuit était remplie d'étoiles.

Pourtant, elle n'en voyait aucune. Les larmes dans ses yeux, comme de la brume, voilaient son regard et l'aveuglaient. 

Elle était assise sur le bord de son balcon, les pieds se balançant au-dessus du vide. Elle habitait au douzième étage d'un immeuble géant et elle aurait pu penser à beaucoup de choses par cette nuit d'été. Pourtant, tout ce qu'elle avait trouvé à faire, c'était se souvenir... Une journée d'école normale au lycée, un cours de français normal, avec une prof de littérature française des plus normales... Sur L'étranger ... Le personnage absurde d'Albert Camus... Un livre sur l'absurdité de la vie, sur la société qui condamne et la peine de mort qui va contre les principes. La vie ne rime à rien et il faut pour cela profiter de chaque instant. Elle avait souffert à fond, profitant de chaque instant. La société condamne à mort ceux qui sont différents. Elle avait été condamnée. La peine de mort était absurde: la loi tuait ceux qui tuaient, parce que tuer était un act illégal. Elle aurait aimé ajouter que mourir pourtant, n'était pas un act illégal. Et que personne ne payait pour la mort des autres. Elle pensa à sa famille en regardant en bas. Sa mère n'était plus qu'un sac d'os. Sa soeur n'était plus qu'une épave. Dans sa tête, elle entendait la voix de son frère lui répéter:"wah! T'es trop belle! Tu es un ange, grande soeur!"  Elle n'était pas un ange. Si elle l'était, elle s'envolerait. Elle s'était levée sur la rampe du balcon, tenant en équilibre comme un funambule sur un fil. Une femme était apparue sur le balcon voisin. Elle l'avait vue...  parce qu'elle était rentrée dans son salon en courant. Elle avait entendue le téléphone sonner dans le salon. Sa mère n'était pas làcpour répondre. Il n'y avait personne pour répondre, elle était seule. Absolument toute seule. Avec le vide qui lui tendait les bras. Ce même vide qu'elle avait dans le coeur, dans la tête. Ce même vide qui lui crevait les yeux, l'empêchait de voir les lumières dans la nuit. Ce même vide qui finissait comblé par le desespoir. Le vertige la saisit, elle ferma les yeux, oscilla doucement. Derrière elle, une voix semblait venir de loin.

" Non! Je t'en prie ne saute pas! " 

Le fils de la voisine. Comment est-ce qu' il était entré?

L'envie de mourir se réveillait en elle comme un bébé qui a faim... En hurlant. Pourquoi ne pas sauter? 

Ne saute pas... J'ai besoin de toi. "  

Un nigaud. Encore un autre imbécile.

Je ne  suis qu'un imbécile. " Surprise. S'il ne lisait pas dans ses pensées et qu'il disait ce qu'il pensait, il n'était pas si imbécile que ça. "Je t'observe depuis longtemps. J'aime te regarder. Ma chambre donne sur ta fenêtre et je vois comment tu passes tes journées... Je sais ton histoire et j'ai appris à t'aimer de loin. J'avais peur d'être rejeté. Mais comme ta vie ne tient plus qu'à un fil, j'ai osé te le dire. Plus rien n'a de l'importance pour moi. Ne te jette pas dans le vide, jette-toi dans mes  bras. Je t'aime autant qu'il y a des grains de sable sur la plage... Ne saute pas... " 

Elle avait hésité. Un instant, il lui avait semblé que son bébé criait moins fort. 

"Laisse-moi une chance de te rendre heureuse. Ne saute pas. " 

La fin ou le commencement? Le commencement était dans la fin? Elle aurait aimé tout remettre à sa place. La vie ne lui avait donné aucune chance à elle... Alors pourquoi... une question. Une réponse qui l'interressait. Pas si m'enfichiste que ça. Une raison. Le vide. Des bras. Un câlin. La solitude. Les grains de  sable sur la plage. Elle passerait sa vie à les compter. Lui aussi. Elle serait la gardienne du sable. La mer. Le soleil. La lumière... Donnez-nous une chance. Donnez-vous une chance. 

S'il te plaît, avait-elle murmuré, fais-moi descendre de là... Serre-moi fort. J'ai peur de tomber... " 

Ce soir là, des battements d'ailes avaient couvert les hurlements des étoiles.

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