Les Hommes sont des Anges

Juliet

Plutôt que de chercher à savoir pourquoi vous existez


apprenez la raison pour laquelle vous ne devez pas cesser d'exister.

Ils s'entendaient bien, tous les deux.

À vrai dire, ils étaient inséparables.

Il s'étaient rencontrés un soir comme ça, dans un bar aux lumières tamisées où les rires vulgaires des hommes et les cris d'euphorie troublants des femmes emplissaient la salle fumante d'une atmosphère oppressante et malodorante.

Au premier coup d'oeil, ils s'étaient aimés.

Lui était appuyé contre une table de billard, nonchalant, ou plutôt c'était l'air qu'il voulait se donner.

Mais l'ambiance le mettait foncièrement mal à l'aise.

C'est peut-être pour cette raison qu'il l'a aimée sans hésitation.

Pour troubler ce malaise.

Il ne se sentait pas à sa place, dans cet univers de musique violente, d'alcool à profusion et de jeux illégaux.

C'est un ami à lui qui la lui a présentée. Comme il voyait qu'il s'ennuyait, fuyant les regards de tous les gens, il s'était approché de lui et hop, il la lui avait mise sous les yeux.

D'abord interloqué, l'homme avait ensuite tendu la main vers elle. Naturellement.

Son ami avait souri avant de repartir à ses jeux.

Ça, c'était la première rencontre amoureuse.

Celle-ci devait indéniablement en entraîner une autre.

C'était la nouvelle rencontre de deux autres entités destinées à s'unir pour ne plus jamais se lâcher.


Leur amour était fusionnel.  Son étreinte à elle était toujours légère, caressante, elle l'effleurait à peine, jouant la carte de la pudeur et de la timidité,

mais ce qui est étrange est que toujours, malgré les infinies douceur et légèreté de ses caresses, elle laissait une marque indélébile sur lui.

Des marques un peu noires qui ne partaient jamais.

Lui, il ne s'en souciait pas. Il était juste amoureux.

Son être entier avait besoin d'elle, et elle ne se lassait jamais de venir laisser sa marque sur sa peau constamment humide à la surface étrange.

Un peu visqueuse, en fait, sa peau à lui.

Mais qu'importe ! L'amour est toujours doux. Une douceur telle que l'on aimerait s'endormir dans ses bras pour y mourir dans la paix la plus totale.

Mais fut un jour où il s'est rendu compte qu'elle l'avait tellement caressé, qu'elle l'avait tant pénétré tout entier que sa marque était restée sur tout son être.

De noir, il était totalement recouvert.

Au début, il s'en était inquiété.

Mais elle, elle lui disait que le noir lui seyait à merveille.

Alors forcément, il était fier.

Revenons à nos deux premiers tourtereaux rencontrés dans ce bar.

Leur amour n'en finissait pas non plus. Il devenait de plus en plus dépendant d'elle. Au début, bien qu'il l'aimât déjà très fort, il pouvait se passer d'elle pendant quelques jours, il lui suffisait seulement de se la représenter en esprit pour se sentir bien.

Mais très vite, penser à elle ne lui suffisait plus. Il lui fallait la voir, la toucher, la sentir, et même l'aspirer de tout son être pour être heureux.

Cet amour devenait fou. Et dans la folie il trouvait sa plus grande félicité.

Loin était le temps où il se sentait mal à l'aise dans les bars mal fréquentés. Du moment qu'elle était en sa compagnie, il se sentait prêt à tout affronter.

Les deux autres amoureux dont la rencontre a été provoquée par celle des deux premiers, quant à eux, commençaient à connaître quelques difficultés.

Oh, bien sûr, ils s'aimaient toujours !

Disons que c'était lui plutôt qu'elle qui commençait à sentir que quelque chose n'allait pas.

Déjà, ces marques, il était devenu tout noir. C'était peut-être beau, du moins le disait-elle, mais il a commencé à comprendre que ce n'était tout de même pas normal.

Toutefois, il n'osait rien dire.

Parce que sa bien-aimée lui était si fidèle et, plusieurs fois par jour, venait lui prouver son amour en le caressant avec douceur en se collant à lui, il ne pouvait pas décemment lui dire qu'il ne voulait plus d'elle.

Seulement voilà.

La vérité devait bien éclater. Il n'en voulait plus.

Chaque seconde passée loin d'elle lui apparaissait comme un moment béni et sacré.

Mais elle, elle l'aimait !

Ou plutôt que de l'aimer, elle ne voulait peut-être pas le laisser tranquille.

Il a fini par se dire que dès le début, son seul but était de le faire souffrir.

L'amour...

Le premier homme, quant à lui, n'était que plus amoureux de sa moitié de corps.

Et elle le lui rendait bien.

Enfin, ce n'était pas exactement de l'amour qu'elle ressentait à son égard. Elle lui était simplement dévouée, en fait. Quand il la voulait, elle venait. C'était aussi simple que cela.

Et elle imprégnait chaque jour un peu plus son corps.

C'était cela, l'amour.

Pendant que les deux premiers vivaient leur passion, la deuxième entité était tombée gravement malade.


Son "amoureuse" qu'il n'aimait déjà plus l'étouffait tellement qu'il avait chaque jour un peu plus de mal à respirer.

Et puis toujours, ces noircissures qui le recouvraient de toutes parts...

Il était bien heureux de ne pouvoir se regarder dans un miroir.

Il aurait sans doute été mort de terreur à la vue de ce qu'il était devenu : méconnaissable.

Et puis ce jour est arrivé.

Était-ce le hasard ?

Non, sûrement pas.

Car il ne fallait pas oublier que cet homme et la seconde entité, qui pourtant ne s'étaient jamais rencontrés en face à face, étaient liés par le destin :

C'était vrai, après tout. Tous deux avaient rencontré leurs bien-aimées le même jour.

Alors, qu'ils meurent à cause d'elles le même jour aussi, ce n'était vraiment pas un hasard.

L'ami de l'homme, celui qui avait souri en lui présentant sa moitié de corps dans le bar, ne souriait plus à présent.

Dans la salle d'attente de l'hôpital, il ne pouvait pas sourire.

Voici comment cela s'était passé.

L'histoire de deux rencontres :

deux êtres et deux entités liées par l'amour dépendant. L'amour destructeur.

Un homme et sa cigarette

Un poumon et sa fumée.

Finalement, peut-être qu'il n'aurait jamais mieux valu...

Bah.

Quelle importance ?

Mort, c'est trop tard pour le regretter.


(écrit sur une impulsion le 1er février 2011)

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