Les inconnus révoltés

Jo

Voici l’identité d’un révolté. Son nom est Brahim, un mètre quatre-vingt, soixante dix kilos. QI moyen, physique médiocre, il se débat. Il lutte seconde après seconde sur le chemin de la vie. Pharmacien de formation son cursus est « moyen-bon ». Elevé dans un confort certain, sa famille n’est pas riche.  Il attend toujours et encore des signes du destin. Il vomit ce monde. Il haït les hommes et leurs morales. Il tolère juste un groupe d’amis. Soucieux de se tenir au courant il lit, écoute. L’injustice le fait plier jour après jour. Tantôt lassé, tantôt révolté il oscille sans cesse épuisé par son impuissance. Rien ne change jamais vraiment, même s’il lui arrive encore d’espérer... en l’amour, la vérité, la liberté tout ces mots si galvaudés, méprisés, détournés pour de tels ravages ! Il traverse les jours sans sourciller. Histoire de vivre, il se saoule quelques fois et ajoute même parfois de la poésie à l’instant. Le temps fait son œuvre et il vieillit tendrement.    

Mais aujourd’hui, Lundi 10 Janvier 2011, tout a changé, Brahim est brave. Le soleil est au zénith ; l’instant est festif. Il jette un regard par la fenêtre et voit défiler une marée humaine. Les drapeaux flottent, les filles rient...Son cœur se gonfle. Enivré par l’exhalaison de la rébellion ; il médite. L’homme peut-il se révolter? Est-ce éphémère? Est un effet de masse? Brahim se pose trop de questions, il veut et doit agir. Peu importe le risque de manipulation, la volonté individuelle doit tout écraser car c’est la plus sincère. L’unique chemin vers la libération.

Il vient désormais d’attraper son destin. Face au miroir ce n’est pas lui qu’il voit, mais plutôt son choix, son désir, sa perdition. Il devient actif d’une vie; ça fait bizarre se dit-il intérieurement.  Dehors ça s’agite, il reconnaît son ami Saïd, ni une ni deux il s’habille; petit sweat à capuche et foulard gris. Le voilà en ville, engagé sur la route glissante d’une vie libre et éternelle.

Réunis, ces amis semblent forts, et pourtant...Au bout de la rue, il se retrouve face à une balustrade, brique, bâton, espoir, sont au première loge. Au fond, la police. Ils sont encore si loin, si petits qu’on les croit inoffensif. Ce ne sont que des points au milieu d’un horizon dégagé de soumission. La gorge serrée Brahim et Saïd sont en face de leurs choix. Celui de ne pas renoncer devant le mur de l’abject. Amis depuis toujours, ils vont partager la douleur, la souffrance des choix justes mais... sans avenir. Inconscient ils ne se rendent pas compte de l’instant, cependant leurs regards se croisent, s’interrogent. Simultanément ils se serrent l’un contre l’autre et s’échangent leurs foulards. Témoignage pudiquement douloureux.

Cette fois le poing policier ils le reçoivent en pleine figure ! En effet d’autres âmes moins poétiques ont marché, colonisé et vont bientôt détruire cette manifestation, ferment d’une jeunesse désespérée. Comment comprendre ces individus capables de tout? Ils ont une famille à nourrir ? Un statut social à conserver ? Sont-ils idiots ? Font-ils cela consciemment ? Ce sont des putes! Ils ont vendu leurs morales. Vaut mieux encore vendre son cul.  De l’autre côté les insoumis fuient, s’accrochent, se battent, hurlent! Brahim entouré de trois policiers tente de s’évader, il rampe et reçoit alors les premiers coups. Ce sont les plus durs. Son corps neuf n’est pas encore habitué à la violence tellement humaine de ce monde. Il se roule et attend l’orage, mais alors on l’embarque sans ménagement et se retrouve prisonnier. Enfermé dans un cachot c’est son espoir qu’a disparut, sûrement effrayé par ce déchaînement imbécile. Saïd est mort. Pas de chance, il en faut des morts un témoin décrira la scène. Se battant avec vigueur il fut pourchassé, hésitant dans la bataille il trébucha. Trois ordures le ramassèrent et le cognèrent encore et encore jusqu’à plus soif. Le sang inonde la rue, la peur inonde les cœurs, la haine inonde les mémoires... d’un peuple tuant ses enfant. Saïd est mort à cause de l’orgueil d’un monde sourd au sirène de la jeunesse.

Voici Saïd la fin d’une vie, la fin de ta vie, peut être ne le sait tu pas mais ta mort fera vivre la révolte de centaines d’autres! Ce soir le silence fera place aux pleurs désespérés de mères désespérées.

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