'Les jolies colonies de vacances'

melie-melodie

A 13 printemps tous frais de mai, je suis allée en colonie de vacances pour ados en Allemagne de l’Est. Souvenir en noir et blanc. C’était en 1964. 3     semaines en forêt de Thuringe, à Bad Sulza, jolie petite station de cure près d’Apolda, ville jumelée avec la mienne, dans le Nord de la France. On a pris le train, et le voyage de nuit a été long. A mi-chemin, le train s’est arrêté et le bruit a couru qu’on allait traverser une zone barbelée et gardée par des soldats armés, afin de passer de l’Allemagne de l’Ouest à celle de l’Est. Cela avait pour moi un relent de prison et de guerre. J’étais impressionnable mais, timide aussi, j’ai tu ma peur. Enfant d’après-guerre, née en 1951, à l’écoute des quelques récits parentaux, j’ai longtemps craint que chaque avion qui passait dans le ciel ne largue des bombes sur nous.

La colo était mixte, ados de 13 à 16 ans, et les moniteurs sans doute des étudiants. Premiers émois cet été là, premier baiser échangé avec Erhart, 15 ans, gentil garçon du cru, et c’est vers le directeur que s’est porté mon premier amour sans espoir.

On était logé dans un château tout en hauteur dans la verdure et les arbres, les dortoirs des filles et des garçons bien séparés (ce qui n’a pas empêché une visite nocturne que je n’avais pas vraiment appréciée…), mais un réfectoire commun. Tous les soirs on y mangeait des crudités et des charcuteries sur des tranches de brot, pain noir un peu suret mais auquel je m’étais bien habituée.

Il fallait nous distraire. Parmi les activités proposées, il y avait la fabrication d’espadrilles en lanières de cuir (le directeur m’en avait cousu une jolie paire), des balades, des jeux, la piscine où je n’allais que dans le petit bassin, enviant ceux qui savaient nager.

A la colo, les filles étaient souvent occupées à repasser leurs vêtements à la mode, corsages avec le Lion astrologique brodé de Sheila, corsaires à petits carreaux Vichy ( !...) comme Sylvie Vartan. Je n’en avais pas mais n’en faisais pas grand cas.

Il faisait beau cet été là et le jour vint où une visite nous fut proposée : un lieu avec un musée et une séance de cinéma. On a pris le bus et on est arrivé devant un endroit clos. On nous a fait rentrer dans une très grande cour avec des baraquements de bois alignés, aux fenêtres et cheminées petites. Et la visite a commencé. Je l’avoue, j’en garde peu de souvenirs, plutôt des impressions fractionnées. A la queue leu leu on a suivi le guide, saisi des mots qu’on s’est échangés. Il a dû y avoir des salles avec des lits superposés et des couvertures en tas, mais je ne souviens plus bien. Ce dont je me souviens, c’est des salles d’eau avec leurs carreaux froids de faïence blanche et des pommes de douches. On nous a dit que ce n’était pas de l’eau qui en coulait, mais du gaz qui était envoyé. J’ai regardé, cherché à comprendre, bouche close.

La visite a continué et c’est vers le musée qu’on s’est dirigé. Là, des vitrines contenaient un tas d’objets hétéroclites, petites chaussures d’enfants, bijoux fabriqués avec des cheveux de femmes et des plombages en or, et aussi des abat-jours en peau humaine. Mais je ne souviens pas de tout. J’ai regardé, cherché à comprendre, bouche close.

Puis ce fut la séance de cinéma et nous étions assis sur des bancs devant l’écran. J’ai vu des gens entassés dans des wagons, des gens pleurer, des gens squelettiques, des squelettes en gros tas poussés dans des fosses. J’ai regardé, cherché à comprendre, bouche close.

De retour dans la cour grise aux bâtiments gris, on nous a montré les miradors et une très grande cheminée noire. On nous a parlé de four crématoire et de ce qu'il s’y faisait. Mes mâchoires se sont crispées et mes yeux se sont fermés très fort, à en voir des étoiles…

On a repris le bus, on papotait  je crois, et on est revenu à Bad Sulza.

J’ai beaucoup oublié, il m’a fallu longtemps pour savoir et comprendre un peu mieux, et ma bouche est restée longtemps close sur l’évocation de ces souvenirs : plusieurs dizaines d’années.

Sans aucune préparation, nous étions allés voir le camp de concentration de Buchenwald. J’avais 13 printemps tous frais de mai.

*

Mélie M.

  • C'est difficile pour une petite fille de cet âge, devoir assimiler tout cela d'un coup, Toutes ces horreurs ! Même adulte j'aurai eu du mal a supporter la visite d'un camps de la mort, trop sensible !
    Beau témoignage de ta part Mélie, Il ne faut pas oublier. Merci

    · Il y a presque 12 ans ·
    Version 4

    nilo

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