Les longs couloirs de la nuit

Natacha Karl

Photo : Miguel Silva

La nuit étale ses longs couloirs

devant mon insomnie

je marche seule sur les pas

des vivants endormis

je marche seule du pas des mourants

sur un champ de bataille 

ocre et dense des corps étendus

foudroyés par une pluie inattendue

la pluie mortelle

je marche seule le long des couloirs

la nuit s'étale devant mon insomnie

la lumière pâle confirme que je suis bien là

que j'existe encore dans ce silence imprévu

la lumière pâle me donne le temps

d'être petite devant mon insomnie

comme une enfant qui pleure contre son doudou

la nuit étale son manteau de suie

j'essuie mon visage sali

par les larmes tristes de l'enfant éveillée

réveillée d'un sommeil sans drame

sans armes

un sommeil bleu et blanc

comme un petit nuage

la nuit s'installe devant mon insomnie

je marche seule dans le silence épais

des corps sans flammes abandonnés

aux bras du sommeil sage

je marche seule devant mon insomnie

je fais seule la cruelle expérience

je suis en vie mais ne vis qu'à demi

l'attaque frontale de l'insomnie m'a désarmée

elle a joué de ma naiveté

elle a truqué le jeu des bons dormeurs

elle a brouillé l'équilibre des heures de lune

je rêve seule dans ma nuit d'insomnie

elle enfonce ses racines tentaculaires

dans ma petite âme bleue

et je résiste je ne veux plus pleurer

je ne veux plus marcher

le long des couloirs de l'insomnie

elle me condamne à la duplicité

au jeu des somnifères empoisonnés

mais je m'enferre dans ma nuit d'insomnie

les heures de la nuit s'étalent sous mes pas

ma foi détale dans le silence mauve

je crève seule d'une nuit d'insomnie

au matin éblouie



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