Les mémoires plus ou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 16eme Partie

Remi Campana

17. LE CIRQUE

Une vilaine odeur de mazout me piquait la gorge, et dans ce lieu magnifique achevait de réchauffer la salle. Les yeux écarquillés, je m’émerveillais de me retrouver dans cette cour populaire. Pour la première fois que j’y mettais les pieds, je remarquai tous les échantillons de l’âme humaine.

A bien y regarder le « plan en hémicycle» donnait au lieu un faux air de sacré.

Faite comme moi, laissez-vous porter et imaginez cette coupole, laissant entrevoir un christ Pantocrátor cédant la place à une représentation plus aérienne d’un clown rigolard, icône moderne d’une nouvelle puissance divine. En haut des gradins, une grande fresque tournoyait, remplaçant les saints par des images plus vivantes où les divinités païennes, dans une grande bacchanale des sens, courtisaient, trapézistes, jongleurs ou de belles écuyères.

D’une oreille j’écoutai avec plaisir le petit orchestre qui se trouvait perché au-dessus d’une iconostase d’opérette. Dans ce monde teinté de byzantisme, comme aux grandes heures de la foi chrétienne, j’en arrivais à ressentir l’atmosphère des plus grandes Basiliques.

Je mentirais, si je vous disais que je n’étais pas sous le charme, assis sur la bouche d’un calorifère, pris par la chaleur, où je me laissais aller à somnoler, quand un grand coup de canon me rappela à l’ordre, le spectacle se décidait à commencer. Sous les applaudissements, un brave Monsieur Loyal entra, suivi par un terrible auguste qui aimait à le taquiner. Là où j’aurais dû rire à cette vision idyllique, je le confesse, je ne voyais qu’une vision de  cauchemar. Discerner tout ces petits enfants biens sages se transformer en veaux idolothytes, me donnait des nausées. De toute manière, je n’étais pas là pour ça.

Vous souvenez-vous du bien nommé Mourad Ben-Sala ? Il avait bien réussi depuis l’affaire Lada. Devenant libraire, il avait su grimper les échelons d’une société, en se mettant à la publication. Commençant par ce qu’il savait le mieux faire, il publia des romans salaces, et termina par des choses bien plus dans ses goûts, la littérature enfantine. Personnellement cet homme m’avait toujours débecqueté, la dernière fois que Scarabée l’avait vu, ils s’étaient promis de se retrouver.

Ce jour était enfin arrivé.

Dupa Grave avait bien essayé de me dissuader de me venger, mais il était trop tard. Malgré ses réticences, il m’avait promis son aide pour l’occasion, et avait réuni une vraie bande de bras cassés. Il y avait Le Malouin, un nain canadien et francophone qui avait la nostalgie de son pays, et ne se remettait pas d’y avoir laissé ses gosses. Le deuxième larron se faisait appeler Geronimo Taranzano, un italien aux cheveux gominés et aux lunettes de soleil portées même en hiver. Quant au dernier, un corse du nom de Theodore Paoli, Scarabée s’en méfiait, car il lui trouvait des petits relents nationalistes. Avec tout ce petit monde, il devait composer et ruser, quand au Mourad, il avait lui-même une flopée de gardes du corps.

Nous avions trouvé la parade, après enquête, depuis quelques mois  nous l’appâterions avec ses propres vices. Le malouin, avec son air de bon père de famille, lui avait proposé, en temps de crise, quelques charmantes têtes blondes en location dont-il était si friand. Petit péché qu’il eut vite fait d’accepter, pour lui-même et quelques amis haut-placés. La prétendue transaction se déroulerait dans un yacht de luxe, ce qui termina de lui faire croire à notre histoire. Finalement, ce garçon n’avait pas changé avec les années, il avait toujours des goûts immodérés pour le clinquant et le ridicule. Voila pourquoi, pour finalisé ce pacte, nous nous étions tous retrouver dans cet endroit neutre.

Pour le moment, la chose la plus pressante était de l’éloigner de sa garde rapprochée, et le cirque se trouvait être un lieu idéal pour nos prétentions. Pendant que Le Malouin, son Beretta en main, lui indiquerait la sortie, Geronimo et Théodore joueraient du couteau sur ses deux gorilles. Quant à moi heureux, je l’attendrai avec Dupa-Grave, pour le chloroformer et le mettre dans un coffre de première classe.

Cependant, le temps passait, je m’inquiétais de ne pas le voir assis dans sa loge royale. Le cherchant du regard, et commençais à m’en inquiéter ; le groupe du bon Dupa n’avait-il pas réussi à le berner ?

L’entracte arriva, la populace indisciplinée se levait, et je restais assis, blotti derrière ma perruque et ma fausse barbe, remplie d’angoisse et de doutes. Quand je le vis enfin entrer, comme une véritable star, il alla jusqu'à signer des autographes. Seules ses tempes avec le temps avaient un peu blanchi et une petite moustache grise s’était rajoutée au-dessous de son nez, lui donnant un faux air d’Errol Flynn. Comme quoi, on réussit à laver bien des crasses et devenir un respectable grâce à l’argent sale.

 Le piège s’étant refermé, je n’avais plus de raison d’être ici. Je fis encore quelques signes de la tête à mes complices ; et m’apprêtai à sortir. Mais juste avant, j’avais un petit problème à légiférer. Dès le début où j’avais posé mes fesses sur le banc de cette église de pacotille, un sale mioche derrière moi, prenait un malin plaisir à me donner des coups de pieds dans mes omoplates si fragile. Etant d’un caractère calme et non-violent, je décidai avec moult diplomatie de lui apprendre quelques règles de savoir-vivre. M’approchant délicatement de l’oreille de l’angelot, je lui posai une simple question :

-          dis-moi, mon petit, as-tu un petit animal de compagnie?

Très fier, il acquiesça avec un sourire benêt, d’un oui de la tête, rajoutant de sa voix de fausset qu’il s’agissait d’un Saint Bernard.  Avec déférence, de ma plus belle prose, je lui répondis du tac au tac :

-          Sois courageux, ton chien est mort.

Son teint changea, d’un rouge d’angelot à un blanc cadavérique. Il se mit à trembler et quitta le spectacle en pleurs.

Ma petite vengeance ne se trouvait pas être des plus glorieuses. N’émettez pas la prétention de me faire la morale, mes bons sentiments sont comme les vôtres et se limitent à mon espace vital. Et puis je n’allais tout de même pas me laisser emmerder par un petit con !

 (A suivre)

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