Les nuits égarées D’Archibald Naught #3 Semaine 2

maddie-perkins

Deux semaines.

Les gens attendent, attendent dans une salle d'attente. On attend tous les jours. Dans les magasins, les stations service, sur les bancs de l'université, au travail, dans l'attente d'un travail, au supermarché, dans les transports, dans l'attente des transports, au cinéma, dans les bibliothèques — P.A.R.T.O.U.T.

Le Dr Fool a conseillé Monsieur Vesania, psychiatre de son état, inconscient  par nature ou par essence, choisissez votre appellation. Inconscient, me direz-vous, mais pourquoi ?

Elle a quelque chose contre eux, deux livres, non trois, qu'elle en parle. Alors peut-être, mais peut-être pas, et puis peu importe.  

Sur le chemin du retour, Archibald se sent plus libre, un peu plus libre, mais l'espoir d'un retour à la normale n'est plus qu'un vague concept à ses yeux.

Dans l'obscurité du salon, les lumières éteintes, il avale ses comprimés le regard vide et dépossédé de toute vigueur, empli d'une fatigue-bourrage-de-crâne et croqueuse d'Hommes. Une sensation d'épuisement l'étouffe, celle d'un être qu'on aurait drogué jusqu'à la lie. Il tousse, respire bruyamment, exulte une seconde, et puis l'autre, il pleure. Il fait le tour de la table, regarde le chat, lui rit au nez et aux moustaches, retourne le fauteuil, tire le tapis, renverse les lampes, ouvre les fenêtres, et insulte le vent. Un instant il panique, épris d'une sensation tempétueuse, irrésistible volupté qui le transperce et le fait faillir. Il regarde la nuit et il dit, non il ne dit rien, il expire et à nouveau — il pleure.   

Le lendemain matin, un samedi, Archibald trouve sur le pas de sa porte Miss Lucy. La vieille dame parle de son poste de télévision, il ne marche plus dit-elle. Archibald sait seulement que cette vieille folle a dû une fois de plus retirer les câbles. Mais il lui sourit, aimable. Pourtant ses mains tremblent, sa gorge palpite, ses pupilles se dilatent, sa tête hurle. Il rêve de dormir.

- « Tu viendras m'aider Archie ? Je ne comprends plus toutes ces nouvelles choses. »

Il accepte car c'est un bon petit garçon, un petit garçon de vingt-huit ans dépassé par la place que peuvent prendre les autres. Ainsi son propre sillage s'amenuise à mesure que le Monde empiète sur lui — et dévore — sa part d'humanité. 

L'après-midi Archie se rend au café. Il pense que voir d'autres êtres le décentrera peut-être de ses problèmes particuliers. Et par pur égoïsme, il voudrait voir pire, pire que lui à cet instant, voir quelque chose d'affreux et d'horrible — quelque chose qui pour lui se révélerait apaisant.    Mais il ne voit rien, les gens semblent heureux, parfaits, les gens semblent détestables.

Depuis deux semaines, une aigreur s'est formée en lui, elle grandit et attaque ses poumons, son cœur, ses réflexions, et souvent il divague. Bien plus lorsqu'il est seul.

Le lundi suivant alors que la garderie s'apprête à fermer, Archibald se rend aux toilettes, et celles-ci se referment sur lui. Le verrou est tiré, pourtant la porte refuse de s'ouvrir.

Archibald effectue un tour sur lui-même, observe la peinture décrépie et la chaudière, les carreaux jaunes et blancs. La cuvette est sale, la chasse n'est pas tirée, le lavabo fuit, des bruits sourds l'affolent, des portes claquent.

Respire Archie, inspire et souffle, expire, soupire — du calme. »

Il y a un trou dans le plafond, qui se forme, et sans savoir pourquoi, Archibald n'est pas tranquille. Il a le ventre — soudain — creux, l'estomac qui s'évide, fosse béante entre ses côtes, cœur de ses entrailles. Il entend les enfants courir dans le préau, comme si leurs pas s'élevaient jusqu'à lui, comme si leurs pieds, pénétraient brutalement ses tympans. Encore, il cherche à ouvrir la porte mais celle-ci se refuse. Elle demeure close et insondable.

- « Ouvre-toi, ouvre-toi maudite porte ! »

Il peste, crie, l'insulte même, mais celle-ci semble rester là à rire de son infortune.

- « LE. DESTIN. NE. PEUT. ETRE. CONTRECARRE. »

Archibald lève la tête, et ses yeux s'arrondissent. Quelque chose d'invisible dans le trou au plafond, lui parle et le désigne.

- « Montre-moi ta colère. »

- « De la colère ? »

C'est à peine si il sait ce que c'est.

- « Tu n'en comportes aucune. »

- « Si ! Ouvrez la porte ! Je suis en colère ! Très en colère ! »

Mais la voix rit, la voix se moque, et Archibald perçoit cette émotion qui le boursoufle, comme un ballon qui gonfle et gonfle, prêt à le faire sauter. Il frappe du pied la porte bleue, ses orteils craquent sous la chaussure, mais la porte ne cille pas.   

- « Incapable d'ouvrir une porte ! »

- « Je ne suis pas un incapable ! »

- « Incapable de dire non à une grand-mère. »

- « Je peux, je sais dire non ! »

- « Incapable de vivre pour toi-même. »

- « C'est faux ! C'est faux ! »

Et il continue, frappe et frappe la porte bleue.

- « Incapable de dormir ! »

Et la porte s'ouvre, avec violence, et heurte l'enfant qui se trouve derrière. Un hurlement lui échappe, des pleurs, et une de ses collègues arrive.

Archibald, soufflé, la regarde avec de grands yeux, terrifié, dépassé.

- « Mais qu'est-ce que tu as fait !? »

Le jeune homme ne peut s'exprimer, il reste pantois, muet, surpris, terrassé par l'enfant au nez dont le sang s'écoule, — incapable.   

Le mercredi, il fait le ménage. Il pense que le fait de se tuer à la tache convoquera peut-être le sommeil. Alors après son travail, il prend l'éponge et les produits détergents et nettoie la baignoire. Il frotte la porcelaine avec rage, grimaçant, plié en deux, condamné à une nouvelle nuit d'errance parmi les pièces de son sobre meublé.

A dix-neuf heures trente, alors que la migraine perce tout juste, quelqu'un frappe à sa porte. C'est Johnny, son frère, bel homme fringuant de la City natale. Archibald le détaille, sans force, sans sourire. Il le fait entrer. Et si il est heureux de le voir, il sait également que Johnny ne vient jamais pour le plaisir de prendre de ses nouvelles.  

- « T'as pas l'air en forme. »

Mieux vaut cela que l'hypocrisie fraternelle.

- « J'ai du mal à dormir. »

- « Tu veux que je te dise, j'ai un remède. »

Archibald l'observe entrer dans le salon, ouvrir le bar et se servir un Martini.

- « Il faut que tu t'épuise ! On sort ce soir, on va chez Marianne et après on verra. »

- « Johnny… »

- « Cette fille est complètement dingue, elle te fait tout ce que tu veux. »

Son frère lui sert un verre, pourtant Archie lui fait signe que non.

- « Il te faut une fille — t'as déjà touché une fille ? — Non parce que Marianne… »

- « Je suis asexuel John. »

- « Ca t'est toujours pas passé ? Quelle connerie, asexuel ! Ah ! »

Archibald range la bouteille, referme le bar.

- « Stella t'as encore jeté ? »

- « Non pas encore, c'est moi qui suis parti ! Cette nana ne sait pas ce qu'elle perd. »

Johnny termine son verre, mais Archibald n'est pas dupe.

- « Si tu as besoin de dormir quelque part tu peux rester ici c'est bon. »

- « C'est vrai ? T'es le meilleur Archie. »

Le meilleur, le meilleur des cons.

Assis au centre de la foule, pourtant seul, il regarde son frère danser sur de la musique brésilienne. Les autres crient, rient de tout, plutôt de rien, se trémoussent et gesticulent. Leurs gestes sont saccadés, les corps chancellent indépendamment, des coups de sifflets résonnent, des jupettes se soulèvent, des mains se glissent.

Ce soir, Archibald a décidé d'essayer l'alcool, et si il baille souvent, ses yeux restent grands ouverts. Le tempo des tambours bat dans ses oreilles à la manière d'un second coeur, ses entrailles vibrent, sa cervelle éclate en diverses folles petites bulles. 

  • Étonnant comme fin, a croire que pris par l'alcool il a plongé dans le noir. J'ai bien aimé le passage sur l'attente... fait et sentiment devenu courant, qui nous ronge aussi...

    · Il y a plus de 9 ans ·
    24 10 15 matin suite (5)

    ladyquiet14

    • Heureuse de te voir toujours à l'appel !

      · Il y a plus de 9 ans ·
      1505012013 p1050104 500

      maddie-perkins

  • J'aime vraiment beaucoup cette lutte qui ressort subtilement dans ce chapitre ! Archibald a vraiment une personnalité atypique qui donne toujours envie d'en savoir plus ! La suiiite ! (Et fais partager tes textes à tes amis, t'auras plus de chances d'être lue ^^)

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

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