Les pas

yahn


Dans les couloirs de mon travail résonnent les pas plus que les voix, c'est à ces sons que l'on s'identifie les uns les autres avant de se voir passer par les parois vitrées du bureau.

Au fil des années passées dans ces locaux, j'ai appris que les pas sont bien plus que des chocs sur des carreaux ou des traces dans un sol meuble. Plus qu'une empreinte, ils montrent autant de la personne qu'ils incarnent dans le mouvement que le visage sait le faire par ses traits, ses sourires, ou la voix par son timbre.

Il y a des pas rigides qui claquent dans le sol comme pour avertir de l'arrivée prochaine de leur commanditaire et infléchir déjà la volonté du visité. Ceux qui avancent bovins d'un point à un autre comme si la Terre n'était pas sous leurs pieds mais plantée sur leur dos. D'autres qui peuvent porter n'importe quelles chaussures, de n'importe quelle qualité, ils parviendront toujours à les faire dissoner. Bancals dans la tête, de traviole dans leurs appuis quand ils les trouvent, ils clopinent au gré de « si », de « la », d'accords renversés, de dos courbés. Il y a aussi les flippés, stressés, toujours pressés, en retard même en avance, quelle que soit l'urgence, comme suivis où qu'ils aillent, qui s'écrasent les talons sur un pare-terre cimetière ; ceux des cerveaux cramés par la société.

Bien sûr y'a aussi ceux qui n'en ont rien à foutre en apparence, ceux qui ont toujours chaussure à leur pied, ceux qui traînent accompagnés d'un petit sifflotement, égrainant « bonjours » et rires par delà les portes restées ouvertes.

Des pas il y en a tant et il y en d'autres. Ceux du public, ceux que je ne connais pas. Certains parfois lourds de sens ou de poids, des qui viennent chercher. D'autres égarés, qui ne font que passer, qu'on sent hésiter, lire les noms sur les écriteaux des portes fermées, des qui se font petits et sonnent creux quand ils frappent le sol.

En contrepartie il y a aussi les sans gêne, ceux qui se croient chez mémé, qui s'accaparent l'espace de leurs souliers vernis en attendant d'être reçus en rendez-vous. Ils tournent devant ma porte accompagnés d'un portable ou d'un collègue bruyant et zélé au lieu de rester posés dans l'espace indiqué pour l'attente. Pour le coup, des pas sur lesquels je n'ai pas envie de marcher.


Et puis il y a les tiens, des pas qui n'en sont pas, qui s'élèvent au-dessus du bruit du commun des mortels, notes de musique sur une clé sans sol. Tes pas, je les devine plus que je ne les entends, des fois, j'ai tout juste le temps de t'apercevoir par la vitre que déjà tu disparais. Alors je savoure leur clapotis sur le béton vitrifié jusqu'à l'écluse de la porte pare-feu.


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  • Intéressant ce texte sur les pas ! C'est une riche idée. J'y serai plus sensible désormais !

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Sylvie Loy

  • Des pas qui résonnent comme une musique à mon oreille et le son des mots les accompagne à merveille...
    Très beau texte. Bravo Yahn !

    · Il y a environ 9 ans ·
    Version 4

    nilo

    • Merci Beaucoup Nilo... très heureux que ce texte te plaise...

      · Il y a environ 9 ans ·
      Yahn 3

      yahn

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