Les pas de géants
Yeza Ahem
Dans mon clan, les autres enfants n'étaient pas légion. Il m'arrivait souvent de ne voir aucun visage ami pendant des semaines, sans fin et sans tendresse. Les grands m'oubliaient, et restaient la tête dans leurs nuages quand, moi, je pataugeais dans les flaques. C'est que, quand j'étais petit, je n'étais pas bien grand. Si des adultes me parlaient, je ne leur voyais que l'embonpoint. Si mes interlocuteurs étaient graciles, c'était leurs poils de menton ou de nez qui me bloquaient l'accès à leurs yeux, au niveau des oiseaux. Je ne parle même pas des femmes ! Depuis l'arrivée de la mode pour les robes à multiples jupons bouffants au-dessus des genoux, je n'en avais plus vu une. Mais, toile, vergé, satin, soie, laine lin... n'avaient plus de secret pour moi !
Un jour, la terre trembla. Un des miens n'avait pas vu un roc et s'était, de tout son long, effondré. Il ne bougeait plus. Je pris vite de la mousse imbibée d'eau et courut jusqu'à sa tête pour la rafraîchir et l'aider à revenir à lui. Quand il rouvrit les yeux, il fut tout surpris de me voir : j'étais un petit lui. Peu à peu, il se souvint : j'étais un petit de lui ! Mais c'était il y a longtemps, et puis on s'était perdus de vue, alors... Quand il alla mieux, il se releva et s'étonna de ne plus me voir. Je lui criais de regarder en bas, plus bas, et que je ne voulais plus être seul. Il s'accroupit, puis finalement s'allongea pour étudier notre problème. Tout à coup, son œil s'éclaira. Il me dit de ne pas bouger, et qu'il reviendrait bientôt.
Trois jours passèrent sans que je bougeas le moindre petit doigt. Au matin du quatrième, un doigt justement, un index, se présenta à moi. Il me fit signe de le chevaucher. Et je montais... montais... montais... jusque dans les nuages, aujourd'hui plutôt bas. Au-dessus, je reconnus le nez puis le visage entier de mon ami. Il souriait. Puis il m'amena vers deux colonnes immenses où étaient fixées des lanières pour mes pieds. Je mis un pied sur chaque colonne et ajustai les lacets à mes souliers, pour ne pas tomber. Ça y était : j'étais grand et je pouvais parler et rire avec les miens. Mais alors qu'ils commençaient à se déplacer, je m'aperçus qu'il m'était impossible de faire bouger mes échasses : elles étaient bien trop lourdes pour moi... Mon ami, s'apercevant de mon embarras, réfléchit un moment et me demanda d'attendre là. La tristesse et mes efforts pour faire bouger les deux colonnes en bois eurent raison de moi et je m'endormis, accroupi. Au matin, mes yeux virent tout un chemin de colonnes en bois, sans lanières mais bien fixées au sol. Il ne me restait qu'à sauter de l'une à l'autre pour me déplacer en même temps que les grands.
Tout cela se passait il y a très longtemps. Depuis, j'ai grandit, certaines colonnes se sont effondrées, d'autres ont été ensevelies. Mais je n'oublie jamais de regarder en bas, au cas où je croiserais un autre regard, celui d'un petit d'aujourd'hui.
Licence CC : BY-NC-SA
Extra !
· Il y a plus de 8 ans ·fionavanessa
Merci beaucoup ! :-)
· Il y a plus de 8 ans ·Yeza Ahem
Un grand bond pour l'humilité :)
· Il y a plus de 8 ans ·erge
Oui ! :-) Merci pour ton passage.
· Il y a plus de 8 ans ·Yeza Ahem
Tout n'est finalement qu'une question de point de vue ; ) il est très joli ton texte Yeza, plein de poésie.
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
Merci ! Mon esprit se libère peu à peu et laisse à nouveau la place à de la fantaisie :-)
· Il y a plus de 8 ans ·Yeza Ahem
c'est un symptôme printanier ;) ...même si le soleil est un peu en retard ;(
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
Il fait très beau, à Toulouse ! ;-)
· Il y a plus de 8 ans ·Yeza Ahem
C'est pas bien de narguer Yeza ! ! Toute façon avec ma capuche je t'entends pas ! ! Mais faut quand même que je pense sérieusement à déménager. ...
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
J'suis d'accord ! :-)
· Il y a plus de 8 ans ·Yeza Ahem