LES QUATRE INSEPARABLES

Hervé Lénervé

L’amitié c’est sacrée, mais il parait que les religions le sont aussi.

Jean-Pierre, trente-cinq ans et déjà directeur financier d'une grande Entreprise du CAC 40. Sa belle épouse Juliette, cadre supérieur elle aussi, assise à ses côtés à la table de leur luxueux appartement avec vue sur la seine de Levallois-Perret. Autour de cette table étaient rassemblés pour leur rencontre mensuel, les quatre amis qui se connaissaient depuis l'enfance et ne s'étaient jamais éloignés depuis. Ces repas étaient un rituel qui se pratiquait tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre cycliquement avec la même régularité que tournait les planètes dans leur espace-temps.

Il y avait donc réunis pour la circonstance :

 Emanuel, chercheur dans un laboratoire de recherche moléculaire accompagné de sa jeune et blonde épouse au physique de top model qu'elle était au demeurant et qui s'affichait dans tous les revues à la mode.

Venait ensuite Bertrand l'artiste, peintre reconnu dont les toiles s'arrachaient sur le marché de l'art  avec la même progression que grossissait son compte numéroté dans une banque d'un paradis fiscal. A son flanc son égérie, charmante brune aux cheveux courts, un visage de mignon chaton.

Puis en fin de table, le dernier de la bande, François dit Fanfan doux rêveur pas encore sorti de l'adolescence, sans carrière, sans compagne, sans diplômes universitaires, sans grandes perspectives d'avenir, se contentant de vivre au jour le jour comme un papillon ou un parasite, selon les opinions.

Les trois couples établis n'avaient pas encore d'enfant, pas de temps pour en faire et peu d'envie de s'embarrasser avec de la marmaille. Ils prenaient le temps de savourer leur réussite et verraient plus tard pour fonder une descendance.

Dans ces repas en même temps que défilaient des plats recherchés sortis des traiteurs dans le vent, défilaient également des discussions qui ramenaient souvent les compères à leurs souvenirs de jeunesse.

C'était Jean-Pierre en maître des lieux qui entama les échanges.

-         Vous vous souvenez d'une veille de Noël, quand le mari très sûr de lui de notre belle voisine, dont on était tous amoureux, quand son mari, donc, avait gentiment demandé à Fanfan ce qu'il voulait comme cadeaux ? En pensant lui demander ce qu'il avait commandé au père Noël et notre Fanfan rouge comme une pivoine de répondre : « Heu ! Non ! Rien monsieur, c'est pas la peine. »

Les trois garçons partirent d'un rire méchant, François se contenta de sourire un peu bêtement, quant aux Femmes elles parlaient d'autres choses des trucs de femmes certainement, dans une discussion croisée.

L'Enfance des garçons c'était déroulée dans un quartier d'une banlieue populaire, une ville dortoir, aucun de leurs parents n'étaient fortunés.

En retrouvant sa respiration Bertrand continua.

-         Vous savez les filles (qui ne l'écoutaient pas), on n'était pas habillé à la mode… en disant cela, il ne put pas s'empêcher de regarder la montre de collection qu'il venait d'acquérir pour la modique somme de quatre mois de travail d'un ouvrier modeste… On mettait ce que nos parents pouvaient nous acheter, mais allez savoir pourquoi Fanfan avait toujours des vêtements ou trop grand ou trop petit, pourtant cela ne coûtait quand même pas plus chère d'acheter la bonne taille.

Et c'était reparti d'une franche rigolade, François se contentant de dodiner de la tête pour accompagner l'ensemble. Il avait l'habitude de faire les frais de ces échanges et semblait ne pas en souffrir. Il semblait se réjouir de l'hilarité de ses bons amis. Il était d'une nature joyeuse et réservée.

Puis vînt le tour d'Emanuel qui ne s'était pas encore exprimé.

-         Remarque, cela n'a guère changé. Tu me donneras l'adresse de ton tailleur Fanfan, afin que j'évite d'aller lui commander une veste, la tienne est trois fois trop grande. Disant cela il lorgna sur le complet Armani de Jean-Pierre en songeant qu'il allait acheter le même, il était parfait.

La soirée et cela n'était pas nouveau, se passa ainsi les trois riaient facilement, Fanfan les écoutait et les femmes regroupées entre elles papotaient.

Ces anecdotes de jeunesses rappelaient à François d'autres souvenirs plus plaisants qu'il gardait secrètement pour lui, loin des vantardises de ses amis. Il se souvenait à un âge où ses camarades en étaient encore à fantasmer sur leur jeune et belle voisine que lui avait réussi à la séduire, peut être grâce à sa timidité charmante et qu'il s'était laissé déniaiser par la belle, une nuit ou le mari, si sûr de lui, était parti en déplacement d'affaire promener son assurance. Ce retour en arrière l'émut. La soirée était maintenant bien entamée, le repas terminé, les garçons savouraient un vieux cognac sur la terrasse en regardant glisser des avirons sur les eaux noires de la Seine, image apaisante qui ne respecte pas l'effort des bras de ces sportifs « cul de jatte ».  Les filles s'étaient isolées dans la cuisine pour parler gentiment en mal de leurs ambitieux maris et François lisait sur son smartphone les textos qu'il venait de recevoir :

21 h 30 « Tu penses à moi, mon fanfan ? J'ai hâte d'être à mardi dans tes bras et d'embrasser ta petite fleur là où tu sais… ton chaton qui ronronne sur ton cœur. »

22 h 03 «  Demain j'ai une séance photo, je devrais être libre à 16 heures. RV comme d'hab., mon chou. »

23 h 08 « Passe diner à la maison jeudi, Jean-Pierre part en Belgique deux jours, nous aurons toute la nuit pour nous. Je t'aime trop, mon Roméo. »

 

Puis le temps passa et les inséparables, du moins ceux qui étaient en couple connurent enfin la joie de la paternité, deux beaux garçons et une adorable fille. Tous portaient sur la fesse gauche une petite tâche de naissance en forme de fleur.

  • Fric en moins, ça me rappelle bien des souvenirs...

    · Il y a presque 7 ans ·
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    bartleby

    • Là, je ne plaisante pas quand c’est perso. La dérision n’est pas une arme de précision, c’est une armure de protection.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • J'ai dit quelque chose de mal ?

      · Il y a presque 7 ans ·
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      bartleby

    • Pas du tout mon ami. Je voulais juste dire que je ne maniais pas la dérision, (qui est mon mode de communication), quand cela touche à des souvenirs personnels. Et puis, t’inquiète, je ne suis pas susceptible, je ne suis que suspect et d’humour douteux. Ex. vaut-il mieux être suspect ou lèche-cul ?

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • Un excellent pastiche de l'hypocrisie environnante.

    · Il y a presque 7 ans ·
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    enzogrimaldi7

    • Certes, mais comme je dis souvent, les femmes des copains, c’est sacré, il faut qu’elles y passent. MDR ou RDM (Rire De Mourir)

      · Il y a presque 7 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • En tout cas le monde, helas tres realiste, que vous décrivez, fait froid dans le dos de par son implacable conventionnelle vacuité.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

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