Les tribulations d'une citadine en terre Kanake

burdigala

« Mesdames et Messieurs, veuillez regagner vos places et attacher vos ceintures, nous allons traverser une zone de turbulences ». Le quart de Lexomil que j’avais avalé à la hâte à l’embarquement ne faisait plus d’effet. Après plusieurs tentatives infructueuses pour retrouver mes comprimés, je renonçais à me lever et à défaire ma ceinture au risque de me retrouver projetée sur les genoux du passager de droite. Je regardais mes fils sur les sièges d’à côté qui dormaient paisiblement et enviais leur sommeil profond. Nous avions quitté Roissy depuis 3 heures à peine et après le repas et les films,  la fatigue avait finalement eu raison de leur énergie.

Je ne me rappelais plus comment c’était arrivé. Probablement ce jour où, assise dans une salle de réunion impersonnelle d’un hôtel d’Amsterdam, j’écoutais un orateur soporifique vanter les mérites d’un nouveau produit. Entourée de mes collègues anglais et américains, dont l’attention, contrairement à la mienne, n’était pas feinte, j’avais ressenti une grande lassitude. Mes pensées étaient ailleurs. Pourtant, je ne me souvenais pas avoir véritablement pris de décision. L’idée s’était immiscée dans mon esprit comme une évidence.

Réveillée par le Stewart annonçant le service du petit déjeuner, je réalisais que j’avais finalement réussi à m’endormir, malgré mes angoisses. Julien et Alexandre regardaient un film et semblaient aussi fringants que l’on puisse être après 8 heures de vol.  La première escale de  notre long périple était proche. Une légère nervosité face à  ce changement de vie radical, commençait à poindre. Les garçons,  jeunes et naïfs,  n’avaient pas conscience des bouleversements qu’ils allaient vivre sous peu. Quant à moi, je m’étais interdit de trop m’interroger sur les  conséquences de mon choix. Tel un mantra, une petite phrase lancinante avait résonné dans ma tête « à trop penser, on finit par ne rien faire ».

Tout était allé très vite, dès mon retour d’Amsterdam les choses s’étaient mise en place presque d’elles-mêmes.

A l’arrivée à Saint Denis,  le  commandant de bord souhaita un joyeux séjour à ceux qui s’arrêtaient à la Réunion et un bon voyage à ceux qui prolongeaient leur vol. Nous devions encore attendre deux heures avant de réembarquer à bord d’un autre avion. Tous les trois, accablés par la chaleur ambiante, avions ôté quelques couches de vêtements. Nous avions quitté Paris sous la froideur hivernale et  nous suffoquions  presque, dans cette salle d’attente sans climatisation. Cette moiteur n’était peut-être rien comparée à celle qui nous attendait mais nous ne nous en plaignions pas. Notre aventure commençait maintenant, dans cette zone de transit d’une aérogare des Dom-Tom. Julien essayait vainement de communiquer avec un garçon de son âge originaire de Madagascar, quant à Alexandre, sage sur son siège, il étudiait sous toutes leurs coutures, les maquettes d’avion remises par les hôtesses lors du vol précédent.

Au deuxième décollage, toujours aussi effrayée, je m’agrippais aux accoudoirs de mon fauteuil sous les moqueries des garçons qui attendaient tranquillement le énième plateau repas que l’on allait bientôt leur servir. J’avais été bien optimiste en emportant pas moins de trois livres pour les vingt-sept heures de vol. Le rythme des décollages et des atterrissages, associés aux mouvements incessants des hôtesses ne m’avaient pas permis de me concentrer suffisamment sur ma lecture, c’était à peine si j’avais lu dix pages.

Nous faisions maintenant route vers Sydney, notre dernière brève escale avant d’atteindre notre destination finale.  Perdues dans mes pensées, je me surprenais à fredonner une chanson dont je ne connaissais ni le titre ni l’interprète. Je n’avais pas chanté depuis bien longtemps.  C’était un signe, un signe de changement et de renouveau, de renaissance même. Tels des flashs back, les images des derniers jours en métropole affluaient à ma mémoire. Je revivais le jour où billets en poche, mes meubles vendus, mon appartement rendu à mon propriétaire, et mes quelques économies réunies, une folle exaltation s’était subitement emparée de moi. J’avais su alors qu’il n’y aurait pas de retour en arrière possible.

« Mesdames et Messieurs, veuillez attacher vos ceintures, nous commençons notre descente vers Sydney ». Nous y sommes presque me disais-je. Les garçons étaient agités ; mes jambes étaient douloureuses, le manque de sommeil commençait à m’indisposer. Mais mon enthousiasme était intact.

Lorsque j’aperçus  les voiles de l’opéra de Sydney à quelques centaines de mètres sous mes pieds, je me mis à frissonner. Un mélange d’excitation et d’impatience. Dans trois heures nous atteindrions enfin notre but.

Dans la salle d’attente où régnait une ambiance de vacances exotiques, la plupart des pantalons de laine et des parkas avait disparu. Les quelques derniers voyageurs de ce vol Air Austral UU771 avaient chaussé leurs claquettes et revêtu leur bermudas, les chemises fleuries aux couleurs vives avaient remplacé les pulls à col roulés.

C’est dans cette atmosphère de douceur et de légèreté que je me préparais à vivre ma nouvelle vie.

Loin des miens et de mes amis, que j’avais vu s’inquiéter et pleurer, je ne réalisais pas encore la distance qui nous séparerait désormais. Je venais de tourner le dos à quarante ans de vie conditionnée par les responsabilités scolaires, professionnelles et familiales. Certains parlaient de fuite, d’autres d’aventure ou d’absurde folie. Je m’étais même entendue dire que j’avais de la chance. Je n’étais, ni plus ni moins, chanceuse qu’une autre, j’avais juste franchi le pas, taraudée par l’intuition que je devais le faire. J’avais ressenti comme une urgence à tout quitter, à fuir ce quotidien devenu trop pesant. Et aujourd’hui, à quelques centaines de kilomètres à peine de mon nouveau lieu de vie,  j’avais le sentiment de commencer enfin à vivre. Le troisième et dernier décollage de ce voyage au bout du monde ne m’angoissait même plus. J’avais hâte de pouvoir fouler, à nouveau,  le sol de la terre kanake.

Synopsis

A la croisée des chemins, Anne, mère célibataire,  remet en question vingt ans de vie professionnelle  éprouvante en  région parisienne. Lassée par son quotidien, elle décide en fin d’année 2010, de tout quitter et de s’installer en Nouvelle Calédonie où elle a passé un mois de vacances durant l’été précédent. En quelques semaines, elle se prépare pour un nouveau départ au bout du monde.

Accompagnée de ses deux enfants, elle s’envole remplie d’optimisme, sans avoir vraiment réfléchi aux conséquences de ce départ précipité, vers cette île  paradisiaque où elle pense retrouver les amis avec lesquels elle a sympathisé durant l’été. Au fur et à mesure de son périple, les souvenirs de sa vie passée, la font parfois douter d’avoir pris cette décision hâtive. Cependant, lors de ses moments d’incertitude, la splendeur des paysages, le climat et le changement radical de rythme de vie, la confortent dans son choix. Elle vivra les premiers mois sur cette île comme un enchantement. Le soleil, la plage, les ballades nautiques, les randonnées à cheval, feront désormais partie de son nouveau quotidien.

Peu habituée à la campagne, encore moins à la brousse, elle découvrira un mode de vie totalement nouveau qui la surprendra et la déstabilisera même parfois. Très vite cependant, l’euphorie des premiers instants et des nouvelles rencontres laisseront la place aux difficultés  de la vie insulaire. Les conflits ethniques, l’éloignement des siens, les difficultés de recherche d’emploi, le niveau de vie, lui ôteront ses illusions de vie paradisiaque.

Entre le statut de « zoreille » que lui assène les caldoches qui lui reprochent d’être venue se tailler une part belle du gâteau dans ce coin de paradis et le rejet des métropolitains installés sur le territoire depuis longtemps, Anne aura beaucoup de difficultés à se faire une petite place dans ce monde calédonien très fermé. Les coutumes locales, les passe-droits,  le manque de contact avec les kanaks  et la montée de la violence face au référendum de 2014 leur  laissant le choix à l’indépendance, auront raison de l’optimisme de Anne. Très vite tous les atouts que représentait ce changement de vie n’apparaitront plus si évidents. 

Alors qu’elle remettra en question sa venue sur cette île, une rencontre imprévue lui fera comprendre que rien n’arrive par hasard, et elle prendra alors conscience des véritables  raisons de sa présence sur ce petit bout de terre au milieu du Pacifique. 

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