Les vacances ch 1

divina-bonitas

Témoignage

J'aime pas les vacances. C'est même plus que ça, je les appréhende. Pendant ces moments où tout le monde barbote ou marmotte, de préférence en groupe, s'esclaffant et sirotant multiples breuvages sympathiques, se félicitant d'en faire le moins possible, de retarder l'heure de tout, moi je m'ennuie et l'ennui, l'inaction, ça m'angoisse.


Enfant, l'été se passait à Nîmes chez la bisaïeule. Une femme sèche et tyrannique ultra narcissique, une Lionne passant des heures à enrouler sa maigre chevelure bleutée dans des papillotes en papier journal. Une maison de ville lilliputienne avec un cabanon au fond de la courette, un four où cuire jour et nuit. La mamie de Nîmes nous imposait de courir pour elle: aux halles pour avoir la queue du taureau de la corrida, à la Placette pour des tripes à la mode de Caen, chez le boucher chevalin pour des steaks épais, chez le pâtissier pour ses cartons de chantilly et ses croquants. On vivait dans le noir derrière des fenêtres à barreaux  au milieu des cigales en faïence accrochées aux murs et de guéridons recouverts de napperons crochetés beigeasse. Il ne fallait rien déranger, rien toucher sinon on se faisait souffleter au détour d'un chambranle. Ma mère rôtissait toute la journée à poil dans la courette gravillonnée de blanc, s'enduisait d'huile à cramer plus vite en lisant des Barbara Cartland, allongée sur un lit de camp couvert de toile bleue, rêvant au Prince Charmant.

Rien à faire, rien à faire, le temps au ralenti, le soleil au zénith, la température toujours au dessus de 32°, les cigales kss ksss, des melons à tous les repas, parfois un tour aux jardins de la Fontaine. Le Papou - le grand-père - alternait siestes anisées et pétanque, belote au bistrot et fugues nocturnes. Ma grand-mère, une Sainte, lavait, astiquait, cuisinait, pendait le linge, courrait à la Placette en plein cagnard, supportait les remarques toujours acerbes de la vieille peau.

Quand mon père nous rejoignait, je savais que nous allions devoir supporter des engueulades parentales et bouffer des côtelettes de porc ou des tranches de thon carbonisées dans une chaleur augmentée avec toujours de la ratatouille. Mais il était si fier de son barbecue qu'on avait intérêt à se taire. Lui aussi s'enquiquinait grave car il ne lisait pas de B.Cartland, déteste la chaleur, se boursoufle au moindre coup de soleil.

Une fois par mois on allait à la mer, au Grau du Roi, sans chapeau ni crème solaire ni lunettes ni parasol. C'était pire. Mon frère et moi rentrions brulés. On savait que notre mère allait nous éplucher de longs jours en riant, de haut en bas, même les paupières, même les lèvres et le nez, elle qui bronzait doré sans y penser.


Pendant ces étés je piétinais, me rongeais les ongles, regardais la poussière traverser les rais de lumière filtrant à travers les persiennes, comptais les minutes, rêvais à la prochaine rentrée des classes, aux feuilles de l'automne, aux parfums de craie, tout pour échapper à cet ennui mortel et à ce soleil funeste. 


Un jour enfin, la mamie de Nimes défunta ce qui fut un soulagement général. On put enfin enlever les cigales poussiéreuses, les napperons et quelques cloisons. On vivait toujours dans un four obscur mais avec une table suffisamment grande pour y faire des puzzles. Alors je me mis à assembler des milliers de pièces dans l'ombre chaque été. Peu à peu je découvris la broderie et le tricot. Clic clic derrière les barreaux.


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