l'escalier

Aude Geneau

L'ESCALIER

Ma route vers le mystère, l'inaccessible, plus loin encore que les antipodes, les pôles, les chemins perdus dans l'épaisse forêt, l'escalier élève ou fait sombrer vers des mondes disparus, des pièces, des portes, des couloirs, des terrasses, des fleurs, et même des arbres perchés tout en haut, là où l'on peut sentir, à la fin de l'hiver le doux vent qui ressuscite la lumière et la douceur de la peau.

Je lève la tête, je les aperçois toutes ces choses, les récompenses, mais devant moi l'effort, le prix à payer, trop élevé, le prix et l'escalier.

Quand il monte, je suis en bas, envieuse, rêveuse, quand il monte vers le ciel , vers les toits, vers des vues imprenables, plus imprenables encore quand je suis en bas.

Quand il descend, je suis à rez de sol, j'attends quand il descend, il m'éloigne de la pénombre des tunnels, des parkings, des métros, de jolies salles de restaurants encavées et musicales.

Je l'aime petit et raide qui fait souffrir ceux qui peuvent y monter, étroit et tortueux, déstabilisant les points cardinaux, enroulé sur lui même, recroquevillé et improbable. Un tel escalier ne peut mener qu'au mystère

Je l'aime majestueux trônant au centre de l'entrée, couvert d'un tapis de velours et bordé de dentelle ferronnière, on y monte ou on y descends qu'avec retenue grâce et discrétion, vêtu de parures et en talons hauts. Un tel escalier ne peut mener qu'à l'émerveillement.

Je l'aime bétonné et célébré de peintures et d'inscriptions illisibles, bombé et bombant de fierté, inondé de messages d'amour, de haine, de bonheur comme de malheur, vivant, vibrant, sale mais partagé. Un tel escalier ne peut mener qu'à la vie, joie et souffrance, fêtes et défaites.

Je l'aime court et tournant dans l'église qui l'a abandonné pour d'autres marches. Comme un fauve vaincu, il ne fait plus peur à personne, c'est à peine si on le remarque, ciré de temps en temps par une paroissienne nostalgique ou rigoureuse. Celui là est un peu mort il faut le dire et c'est pour ça que je l'aime bien, le dragon terrassé.

Je l'aime quand il ne possède que deux ou trois marches, qu'il permet de redécouvrir des trésors au sommet de la bibliothèque, au fond du placard en coin, qu'il permet au professeur de distinguer tous les yeux qui le regardent, de rafraichir le mur jauni par le temps, de clouer une croix au dessus du lit, une photo de l'enfant parti, d'arroser la plante perchée tout en haut. De telles marches comment s'en passer, et pourtant........................

Je n'aime plus les ascenseurs, ils manquent de fierté, se cachent, trop sollicités, trop cherchés pour être honnêtes!

Il n'y a plus que quelques petits enfants maladroits et effrayés, moi et quelques autres pour encore observer l'escalier avec tant d'avidité.

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