L'escalier (extrait)
Philippe Girodier
Un homme a été éconduit par sa femme. Depuis, il vit à son insu et secrètement dans l'escalier de son immeuble. Extrait de mon sketch "L'escalier".
En attendant, je reste dans mon escalier.
Et dans la journée, vous savez ce que je fais …
Bon, ça c’est pareil ! Personne n’est au courant, alors que ça reste entre nous … juré, hein ?
Il sort une clé de sa poche.
Elle ne le savait pas. Quand j’ai senti venir le vent, je m’en suis fait faire une.
Dans la journée, je rentre et je flâne dans son appartement. Je m’immisce, je m’introduis, j’envahis. Je me laisse envahir par son parfum envoutant. Je vais respirer son oreiller. C’est là que persistent les effluves mêlés de ses cheveux, de sa peau. Je promène mes mains sur les draps, sur ses vêtements de la veille jetés négligemment sur la chaise. Je vérifie quels sous-vêtements elle a mis la veille. Et si c’est un string ou un soutien-gorge ajouré, je sens comme un poignard me transpercer le cœur.
Pourquoi … pour qui a-t-elle porté une tenue aussi suggestive, hier ? Je trifouille dans les tiroirs en quête d’un mot ou de l’ostensible trace d’une liaison. Je jette un œil dans la poubelle, j’ouvre les placards, j’inspecte, j’investigue.
Ensuite, honteux, indigne, … usé, brisé, tué par les doutes et … par ma culpabilité, je m’assieds dans MON fauteuil, face à la télé éteinte. Pour une fois, c’est elle qui est le témoin silencieux d’un drame qui se noue sous son regard impuissant. Je me laisse envahir par la rage. J’ai mal jusqu’au fond de mes tripes, je suis haineux, rendu à l’état d’un fatras de souffrance et de tristesse.
Mes regrets font surface. Pourquoi ne l’ai-je pas mieux écoutée ? Pourquoi … pourquoi n’ai-je pas appris à faire tourner la machine à laver ? Y’a rien de plus con !
Pourquoi n’ai-je jamais repassé ses robes. Ça aurait été comme la caresser, … du bout du fer. J’aurais commencé par les manches, puis le col. Je serai descendu le long des plis du corsage, jusqu’au grand pan qui couvre ses cuisses. Je l’aurais retournée et me serais longuement attardé sur les fesses. Je me serais encore et encore attardé, étourdi … et j’aurais brûlé sa robe.
Et elle m’aurait engueulé en me disant que je suis vraiment un bon à rien … et moi, j’aurais répondu que si, je suis bon à quelque chose. Je suis bon à l’aimer. Je ne saurai faire que ça, mais dorénavant, je le ferai si bien qu’elle ne pourra plus se passer de moi.
Je la ferai rire et je l’amènerai dans un magasin chic pour choisir une autre robe, cent fois plus belle. Une qui ne se repasse pas. Une qui prend forme en s’ajustant à son corps. Une robe, rien que pour elle. A la mesure de sa beauté unique.