L'espoir au galop

titechosefragile

-1-

Elina regarda les gens autour d'elle. Il était tôt ce matin de mars, et quelques courageux couraient déjà dans le parc au gazon recouvert d'un duvet de rosée. Le menton et le nez cachés derrière son grosse écharpe en laine noire, elle pouvait observer les gens sans qu'ils ne voient son sourire.

Elina adorait s'imaginer la vie des gens autour d'elle. Ces inconnus gravitaient autour d'elle, sans se douter des questions qu'elle pouvait se poser sur leur passé, leurs choix, et encore moins imaginaient-ils les réponses qu'elle se faisait. Cette petite fille par exemple, traînée par son père en direction de l'école toute proche. Elina l'imaginait fille unique, jouant du piano et adorant les poneys, comme toutes les petites filles, forcément, les clichés sont tellement faciles ! Et ce vieux monsieur, qui passait devant elle, son journal sous le bras, il avait été boulanger, autrefois. Il avait certainement vécu des années à pétrir pains, baguettes, pâtisseries dorées et croustillantes, servant sa clientèle avec une amabilité remarquable. Et maintenant il coulait une paisible retraite avec sa femme, recevant quelques fois la visite de leurs petits-enfant. Au moins trois. Non, quatre. Un garçon et trois filles, qui prenaient un malin plaisir à faire tourner leur cousin en bourrique.

Un bruit de portière l'arracha à ses rêveries fantaisistes. Dans le parking derrière elle, une voiture laissait tourner le moteur. Etonnant, pensa Elina, il n'y avait pas à moins de deux cents mètres un commerce ou une banque qui aurait justifié qu'on laisse une voiture allumée le temps de faire une course.

C'est alors qu'une ombre glissa devant la jeune femme, chassant la lumière de son visage et glaçant son sang. Un parfait inconnu lui faisait face, lui tendant une enveloppe. Agé d'une trentaine d'années, il aura pu être bel homme si ce regard froid n'avait pas innondé sn visage d'un sentiment global d'antipathie...

- Mademoiselle Pila ? questionna l'inconnu, d'une froide monocorde.

- Elle-même, réussit à articuler Elina.

- Pour vous. Dans l'espoir d'une réponse positive. Vous savez quoi faire pour que tout se passe bien.

L'inconnu déposa une enveloppe fermée sur le banc, à droite d'Elina, et sans alla aussi furtivement qu'il était arrivé, sans un autre mot. Elina était trop éberluée pour suivre l'homme du regard, ses yeux restant fixés sur l'enveloppe. Elle ne se doutait trop bien de ce qu'elle pouvait contenir. Elle avait redouté que ce moment n'arrive. Son père lui en avait parlé sur son lit de mort.

Tremblante, Elina tendit la main pour saisir l'enveloppe, la retourna pour voir si elle comportait une quelconque annotation, mais ce n'était pas le cas. Ravalant ses larmes, car Joseph risquait de bientôt arriver, et elle ne voulait pas qu'il s'inquiète.

Elle décolla lentement le rebord de l'enveloppe, pour ne pas le déchirer, avec une infinie délicatesse, comme si sa vie dépendant de l'intégrité de ce bout de papier. Quand ce fut terminé, elle en sortit deux autres morceaux de papier. Le premier était une carte de visite, au nom des casinos MacBeth, au dos de laquelle figurait une annotation à son attention: "Agissons tous les deux de manière intelligente. Voici ma contribution. A vous." Le propriétaire avait pris la peine de signer de son nom : George MacBeth. L'autre morceau de papier était un chèque. Au nom d'Elina. D'un montant de trois cents mille euros.

Prise d'une rage soudaine, Elina déchira le chèque en mille morceaux, glissa ce qu'il en restait dans l'enveloppe, qu'elle chiffonna entre ses doigts. A toute fin utile, elle enfonça la carte de visite dans sa poche. Elle ne connaissait que trop bien ce George MacBeth, propriétaire des casinos MacBeth "Le Shakespeare des casinos", comme disait sa promotion. Que cette hameçonnage arrive aujourd'hui ne relevait absolument pas du hasard. Dans une heure à peine, Elina devait, avec son compagnon Joseph, signer chez le notaire le rachat du petit centre équestre de son père. Celui-ci avait légué à sa fille unique, pour un euro symbolique, tout le travail et l'amour de sa vie.

Luc Pila avait racheté ce centre il y a une quinzaine d'années, après le décès de sa femme et mère d'Elina, des suites d'une épouvantable cancer. Pour que sa fille chérie puisse continuer à sourire, il avait quitté son cabinet de dentiste pour aller s'installer à la campagne, et avait racheté une ferme, qu'il avait transformée en poney-club. Un par un, il avait adopté des chevaux, poneys et juments pour peupler les lieux, et offrir autant d'amis à la petite Elina, qui avait alors onze ans. Luc assurait lui-même les leçons d'équitations aux enfants et adultes des environs qui venaient s'inscrire pour partager leur amour des équidés. Auprès de ces animaux, Elina avait trouvé un véritable réconfort, de véritables complices et partenaires de jeux, capables de garder ses secrets, et avec qui elle avait vécu nombres moments de tendresse. Le summum avait été atteint lorsqu'elle avait réussi à faire accepter sa présence à Lula, têtue jument qui se débattait rageusement lorsque quiconque s'approchait d'elle, le soir où elle dû mettre bas. Par des mots doux et des gestes lents, Elina, alors âgée de seize ans, avait pu s'approcher de la bête paniquée, l'encourager à s'allonger, et l'accompagner tout au long de la plus longue et plus belle nuit de leur vie. Soufflant ses consignes à Lula, massant son ventre, caressant son encolure pour l'apaiser, tirant sur les pattes arachnéennes du poulain en train de venir au monde, Elina et Lula avait fait naître ensemble la petite Eurydice. Luc avait protesté devant ce nom à rallonge, mais Elina, passionnée de mythologie grecque, ne s'était pas laissée faire.

- Papa, écoute ! La pauvre Eurydice n'a pas eu cette chance, elle ! A cause de la faiblesse de son Orphée, elle a été condamnée à se morfondre dans les Enfers jusqu'à la fin des temps ! Nous lui avons offert sa revanche, Lula et moi ne l'avons pas laissé tomber cette fois, et elle a pu revenir à la lumière !

Luc n'avait plus jamais contesté les moindres choix de sa fille. Ce fut une période magnifique, et Luc regrettait que sa bien-aimée n'ai pu voir leur fille si heureuse et si épanouie.

Luc était décédé il y a presque un an maintenant. D'une rupture d'anévrisme. Etrangement, il avait été saisi d'une vision prémonitoire. Un soir, il avait appelé sa fille pour lui demander, à elle et Joseph, de le rejoindre au centre. Elina avait veillé sur son père toute la nuit, et durant des heures ils se sont rappelés chaque naissance, chaque promenade, chaque merveilleuse rencontre qu'ils avaient fait grâce à leurs chevaux. Elina avait ainsi rencontré Joseph, deux ans auparavant, venu faire plaisir à sa nièce en lui montrant des poneys. Luc et elle avait maintes fois longé la rivière à cru sur leurs bêtes préférées, et à quelques heures de son trépas Luc se souvenait encore de tous les poulains qu'il avait fait naître : Pablo, Le Cid, Jukka, Circée, Hector, Cassiopée, et tant d'autres... Et le petit Phaëton qu'il n'avait pas pu sauver, né trop prématurément et trop fragile pour avoir pû être sauvé...

Mais il lui avait aussi parlé de MacBeth, que le centre gênait profondément, puisqu'il était à proximité du croisement de deux autoroutes importantes, et qu'il se serait bien vu y installer un casino... Proche de Paris, dans l'Ouest de l'Essonne, ce site aurait été idéal pour y implanter sa pompe à monnaie.

Cette nuit-là, Elina ne s'était assoupie qu'une fois. Mais quand elle avait rouvert les yeux, la cruelle Nature avait fait son oeuvre. L'espoir s'était rompu, quelque part dans le cerveau de son père, l'arrachant à sa fille et son gendre pour lui permettre d'aller gambader aux côtés de sa femme, et de Phaëton. Un testament retrouvé dans sa table de nuit avait fait d'Elina son héritière. Et aujourd'hui, elle signait la transmission de biens chez le notaire, et son grand amour devait l'accompagner. Il se faisait un peu attendre car il avait proposé à Elina de partir prendre l'air dans le parc de la ville, et qu'il s'occuperait seul de distribuer les rations d'avoine ce matin.

Trois cent mille euros... Son bonheur et ses souvenirs n'avaient pas de prix. Le problème des hommes comme MacBeth, se dit-elle, c'est qu'ils se sentaient obligés de mettre des numéros sur tout.

Quand une deuxième portière claque, c'était cette fois Joseph. Tournant la tête vers lui, elle le regarda arriver. Les mains enfoncées dans les poches de son blouson en cuir, le nez frileusement caché dans le col haut de son pull, les cheveux encore mouillés de sa récente douche, elle le trouva touchant de fragilité. Il arriva à sa hauteur, sortit son mentou de sous le tissu, lui dévoilant un magnifique sourire.

- C'est le grand jour ma puce, tu n'es pas trop stressée ?

- Non, je suis sereine, mentit-elle, en ravalant la boule dans sa gorge.

- Super ! On y va ?

Prenant son homme par le bras, ils se mirent en marche en direction du cabinet notarial. Le dossier, bien ficelé et bouclé n'attendait que la signauture d'Elina. Et son petit coin de paradis serait enfin à elle. Et à Jo. Et...

- Tu sembles ailleurs ma puce. Tout va bien ?

Elina cessa subitement de fixer un panneau publicitaire d'autrefois sur le mur du café pour regarder son homme.

- Pardon, je rêvassais.

Ils étaient allés s'offrir un café en sortant de chez le notaire, heureux propriétaires de ce qui avait été l'oeuvre de la vie de Luc Pila.

- Tu n'es pas inquiète j'espère ? Tout va bien se passer Comme depuis un an. Comme depuis le début en fait ! Tu sais, je pourrais peut-être abandonner mon travail au restaurant pour me consacrer pleinement à notre centre, maintenant.

- Mais tu adores ton job, Jo. Ton patron, tes collègues, tes habitués... Je ne veux pas que tu sacrifies tout ça.

- C'est sûr qu'ils me manqueraient. Mais même avec mes horaires aménagées ça me fait drôle de quitter le club pour aller servir des salades à des VRP. Je me sens bien avec nos bébêtes, et puis c'est important de construire ça avec toi. C'est important pour moi. Toi, moi, nos bestioles, et puis voilà.

- S'il n'y avait que ça... soupira Elina sans s'en rendre compte.

- Qu'est ce que tu veu dire ? s'inquiéta soudain Jo.

- Rien... C'est rien mon coeur, je te promets.

- Non y'a pas rien ma puce, renchérit-il en prenant la main d'Elina. Qu'est ce qui te tracasse ?

- Et bien. Comment dire. Quand tu dis  "toi, moi, les chevaux et rien d'autre". C'est pas tout à fait ça.

- Tu m'inquiètes là. De quoi tu parles bon sang !

- Et bien... Je crois que toutes ces craintes qu'on avait sur le fait que ça ne puisse pas marcher aussi rapidement qu'on espérait... c'était infondé, je crois.

Joseph retint son souffle. Lui et Elina avaient pris la décision d'arrêter la contraception il y a quelques semaines, se disant que le temps que la Nature fasse son oeuvre, il se passerait suffisament de temps pour le couple puisse s'installer tranquillement dans leurs nouvelles fonctions de propriétaires du centre équestre, pour suivre la lancée de Luc. Mais Mère Nature s'était cette fois trop bien prise au jeu.

- Elina, tu veux dire qu'on va... être trois ?

- Je crois bien mon chat...

-2-

Le centre équestre tournait bien, les habitués ne l'avait pas déserté, et Elina poursuivit d'assurer les cours et les activités de découverte. Le petit être qui grandissait en elle ne lui provoquait pas trop de tracas de santé. Elle était à peine plsu fatiguée, mais mettait cela sur le compte de l'émotion d'avoir repris de centre paternel. Et mine de rien, elle s'angoissait de l'intervention de MacBeth.

Celui-ci refit parler de lui deux mois après la signature chez le notaire. Un courrier anonyme échoua par un beau matin dans la boîte aux lettres du jeune couple. Par chance, c'était Elina qui relevait le courrier ce matin là. Au milieu des factures et des lettres d'amitiés des petits cavaliers, Elina reconnu l'enveloppe. Une enveloppe très étroite, et très haute, faite un papier épais, rugueux. Elle cacha bien vite l'enveloppe sous son manteau, car Jo approchait. Il enlaça sa compagne, l'embrassa dans le cou, et lui posa une main sur le ventre.

- Tou va bien ? Je t'ai vue t'immobiliser d'un coup, alors je me demandais ce qui se passait.

- Tu es trop protecteur, Jo. Ce n'était qu'une petite douleur au dos, ça commence à tirer un peu. J'en suis à quatre mois quand même, les pépins ne vont pas aller en diminuant à partir de maintenant.

- D'accord, excuse-moi. Je retourne auprès de mon groupe, j'ai trois chenapans en botte qui attendent sagement que je les emmène promener leurs poneys au licol. Tu devrais rentrer, te faire un thé et attendre au chaud l'heure de ta prochaine leçon.

- Tu as raison, j'y vais.

Elle plongea ses yeux dans ceux de Jo, qui étaient d'un noir profond, presque insondable. Elle déposa un baiser sur les lèvres qu'il lui tendait, et le regarda retourner auprès de la barrière où on l'attendait. Il était si beau. Et si doux. Cette qualité l'avait frappée dès le premier jour de leur rencontre, et faisait son bonheur chaque jour.

Elina retourna à l'intérieur de leur maisonnette, mis de l'eau dans la bouilloire électrique et se défit de son manteau ainsi que de son gros pull. Dans son geste, elle fit s'échapper l'enveloppe qui tomba à ses pieds. Elina resta un long moment debout, figée, à l'observer. Les battements de son coeur se mirent à jouer un rythme de plus en plus rapide, à tel point qu'elle alla s'assoir. Se forçant à respirer calmement, Elina pensa à son bébé, et au stress qu'il risquait de ressentir. A force de grandes inspirations et de lentes expirations, elle finit par retrouver un rythme cardiaque normal. Prudemment, elle se releva, fit un pas en direction de l'enveloppe à terre. Puis deux, puis trois. Se baissa. Retourna s'assoir. Elina prit une nouvelle grande inspiration, et décacheta l'enveloppe. Une grande feuille blanche s'y trouvait. Avec un texte tapé. A la machine à écrire, et une vieille, car les "s" semblaient coupés à leur base, comme si la lettre qui venait frapper le ruban avait été abîmée. Le texte était très clair : "Vous savez ce qu'il serait intelligente. Ne prenez pas le risque de le regretter. Je n'ai pas l'intention d'abandonner. Bien à vous." Pas de signature, évidemment.

Une larme se mit à dévaler la joue d'Elina. Elle replia la feuille blanche, la replaça à l'intérieur de l'enveloppe et alla la cacher dans la chambre à coucher. Dans sa boîte secrète, cachée sous une pile de vêtements, et où elle entreposait tous les écrits qui lui étaient chers : courriers que sa mère lui écrivait autrefois, les premières lettres d'amour de Joseph, les messages de félicitations ou d'encouragements de tous horizons... Séchant ses larmes, elle se rappelait qu'elle devait aller rendre sa visite quotidienne à Plume, la ponette pleine. Après sa elçon d'équitation de l'après-midi, il ferait trop sombre dans la grange, et la ponette serait de moins bonne humeur. Elina se rhabilla et sortit en direction de l'ancienne grange que son père avait transformé en "hangar à boxes". De chaque côté, des cloisons avaient été montées pour réaliser deux fois quatre boxes spacieux. En ce moment, deux seulement étaient occupés de façon permanente, les autre serviraient quand il ferait trop froid pour laisser les bêtes dehors la nuit. Plume occupait donc l'un le temps de sa gestation, et un autre, voisin, par Loukoum, le patriarche. C'était le plus vieux de la troupe, acheté avec la ferme, un fier et superbe frison de vingt-deux ans. Il tenait compagnie à Plume, qu'il traitait comme sa fille, bien que ce ne fut pas le cas.

Quand la porte s'ouvrit, les deux bêtes émirent un petit sifflement, en forme de "Qui va là ?". Quand Elina les salua de la voix, ils la reconnurent et se détendirent. La jeune femme passa une main sur le front de Loukoum, qui passait sa tête par-dessus sa porte.

- Bonjour mon pépère ! Comment va mon papy adoré aujourd'hui ?

Puis elle ouvrit le box de Plume. La jument était couchée, sereine, et tendit les naseaux dans la direction de sa maîtresse, oreilels pointées vers l'avant. Elina vint s'assoir en tailleur en face de sa tête.

- Oh ma belle, je ne pourrai plus faire ça très longtemps tu sais ! Ca va devenir difficile pour moi. Dire que le plus pénible est devant moi, ça m'inquiète ! Pas toi, hein, tu es zen.

La jument nne répondit pas, mais tendit de nouveau le museau. Elle adorait se faire chatouiller les naseaux, et manifestement, elle espérait bien une caresse. Elina ne se mit pas prier, et commença à frotter la parti si douce et si rose au-dessu de ses lèvres.

- Bon, on ouvre les paris ? Tu vas nous faire quoi ? Un p'tit gars ? Une p'tite louloute ? Et moi, hein ? Tu paries sur quoi ? Je crois que Jo aimerait bien une louloute pour nous. Et toi, tu voudrais quoi ?

L'animal se contentait de se délecter de la caresse. Et Elina se disait qu'elle aussi aimerait bien avoir une petite fille. Même s'ils s'étaient promis avec Joseph de garder la surprise jusqu'au bout.

L'heure de la leçon avec les débutants approchait. Elina dû se résoudre à quitter ses compagnons pour aller préparer les poneys qui reviendraient de la promenade avec Jo. Cela détendait et amusait les bêtes d'aller brouter aux alentours avant une leçon. Cela permettait aussi aux enfants qui allaient les monter ensuite de faire connaissance avec leur nouvel ami, et les leçons avec les débutants se passaient beaucoup mieux depuis que ce système avait été instauré. Une bonne connaissance de l'autre, et une confiance infaillible, c'était ça la clé. Ainsi animaux et élèves s'entendaient souvent bien, et de belles histoires amitiés naissaient au sein du club.

Jo accompagna Elina lors de la leçon dans le petit paddock en terre battue mêlée de sable. Il ne voulait pas qu'Elina soit seule en cas de pépin. Bien qu'objectivement elle ne fut pas seule, puisque les parents des trois enfants étaient évidemment là pour encourager, féliciter et photographier les petites bouilles hilres de leurs bambins.

Elina ne parla évidemment pas de la lettre à Jo. Il n'avait rien à voir dans cete histoire, et si elle n'avait pour l'instant pas la moindre idée de contrer Macbeth, elle ne voyait pas non plus quelle procédure il pourrait intenter contre elle pour récupérer son terrain. Celui-ci était à son nom, il lui avait été transmis par son père qui déjà à l'époque l'avait acheté par le biais de la voie la plus légale du monde. Craignant une nouvelle montée d'angoisse, elle se força à croire qu'il ne s'agissait là que d'intimidations, une coquille vide en somme.

- Tout va bien, bébé ? demanda Jo en se couchant près de sa douce.

Elina abaissa le livre qu'elle feuilletait, en faisant semblant de le lire.

- Tu parles de moi ? Ou du petit ?

- De toi mon amour. Je te sens anxieuse. Tu ne vas pas bien ? C'est le bébé qui te fait des soucis ?

- Ca va, ne t'en fais pas. Ca tire un peu, c'est tout. Et je m'inquiète un peu pour Plume, elle ne mange pas plus depuis qu'elle est pleine. Elle devrait avoir plus d'appétit.

- Tu ne manges pas plus non plus, alors dois-je m'inquiéter aussi ?

- Moi ? s'exclama la jeune femme. Tu plaisantes ! Je bouffe comme une vache ! Regarde-moi ces cuisses, de vrais jambons ! Et j'en ai plus sur les hanches, que sur le devant !

Joseph se dressa sur un coude, et passa sa main sur le ventre de sa compagne. Lentement mais tendrement, sa main glissa vers le bas. Ses  doigts effleurèrent les cuisses d'Elina, et cherchèrent à caresser un endroit tout chaud.

- Moi je te trouves toujours à croquer. Je te dévorerais bien là, tout de suite...

Les doigts de Joseph écartèrent un fin vêtement de coton, et s'égarèrent un peu plus loin. Les lèvres de Joseph vinrent se coller au cou de sa dulcinée, qui ne protestait guère. Elina soupirait sous la caresse de son compagnon, et écarta ses genoux pour offrir entière liberté à sa folie douce. Jetant son livre à terre, Elina se laissa glisser au fond de son lit, pour être parfaitement étendue. Se cambrant sous les assauts de plaisir, elle ne put retenir un gémissement quand Jo vint embrasser la naissance de sa poitrine.

- Ca fait mal mon coeur, excuse-moi. Ils osnt durcis, je suis déso...

Un baiser vint la faire taire. Rejetant les derniers draps qui la couvraient, il se glissa au-dessus de sa douce. Glissant maintenant en elle, il lui soupira à l'oreille qu'il ne souhaitait pas lui faire mal. Sa main à elle se crispatnt dans ses cheveux à lui, elle l'attira contre son coeur, et ils s'abandonnèrent l'un à l'autre dans un tumulte de passion.

-3-

Elina venait d'entamer son septième mois de grossesse. Marcher devenait difficile, mais elle ne se serait laissée s'encroûter pour rien au monde. Elle continuait d'arpenter le club. Joseph avait laissé tomber son restaurant pour se consacrer pleinement aux leçons de monte. Elina prenanit encore plaisir à initier les plus jeunes, ou les plus timides, à approcher les poneys, se lier tendrement à leur compagnon en apprenant à leur parler, les caresser. Plume aussi grossissait bien, même si Elina aurait aimé qu'elle mange plus. Quand elle allait visiter la jument, Elina passait également de plus en plus de temps avec le vieux Loukoum. Dernièrement, le noble frison était pris d'un étrange rituel : au moment où la jeune femme entrait dans son box pour le saluer, l'animal posait son front contre son ventre rebondi, fermait les yeux, et se mettait à respirer plus fort. Une bonne et longue minute toute entière. Puis il rouvrait ses yeux et piaffait en attendant une gratouille entre les oreilles.

Plus une lettre n'avait échoué dans sa boîte aux lettres. Elle n'y pensait pas particulièrement, mais quand une vague annonce concernnant les activités de MacBath parvenaient à ses yeux ou oreilles, elle était soulagée que rien de plus envahissant ne l'atteigne.

Joseph s'investisait beaucoup dans son nouveau travail, et ne laissait à peine Elina marcher toute seule. A peine se levait-elle pour s'habiller, il sautait devant elle pour lui tendre ses vêtements. Dès qu'elle voulait se baisser pour ramasser une chaussure, ou une étrille qui traînait dans un box, Joseph surgissait de nulle part pour lui ordonner de se relever tandis qu'il s'emparait dudit objet. Evidemment, il lui était rigoureusement interdit de passer l'aspirateur, de sortir quand il faisait moins de 10 degrés dehors, de cuisiner car cela la faisait rester debout trop longtemps... Joseph avait installé des tabourets, des bottes de foin, des chaises un peu partout dans le centre pour qu'Elina soit toujours, où qu'elle fût, à quelques mètres d'un endroit où s'assoir. Tout cela était bien sûr touchant, mais Elina se demandait si Jo ne dissimulait pas ses angoisses sur sa future paternité dans cette hyperactivité.

Ce jour-là, Elina rendait visite à Plume. La jument semblait sommnoler. La jeune femme passa donc d'abord dans le box de Loukoum, qui mangeait ses granules. Il s'interrompit aussitôt quand sa maîtresse ouvrit le loquet, et vint délicatement poser son ront contre le manteau de la jeune femme. Il respirait à fond, émettant un léger ronflement, interrompu de rares fois par des piaffements sourds. Elina eut souain l'idée de se reculer de l'étreinte de l'animal, qui chercha à avancer pour ne pas la rompre. Mais Elina posa un doigt sur le front de la bête pour l'en empêcher. Doucement, de son autre main, elle ouvrit son manteau. Souleva son pull. Tira sur son tee-shirt pour le sortir de son pantalon. Et exposa ainsi son ventre nu et tendu à la vue du vieux. Loukoum tendit son museau. Il effleura délicatement la peau de sa maîtresse du bout des lèvres. Elina sentait le souffle lourd et chaud de l'animal contre elle, et ses vibrisses, fines moustaches autour de ses naseaux, lui procura un léger chatouillis qui lui procura une profonde sensation de bien être. Loukoum donna un imperceptible coup de nez dans le ventre d'Elina, puis dessina comme un grand cercle sur sa peau. Puis il se recula, et eut comme un mouvement de tête en direction du box d'à côté. Plume s'était réveillée. Et Elina se demanda si les registres des filiations du centre avaient été correctement tenus. Elina l'aurait parié, Loukoum n'avait jamais eu de petits. L'amour dans ses yeux trahissait ce cruel manque dans sa chair. Et on dit les animaux incapables d'aimer...

- Assieds-toi Elina, arrête de tourner en rond ! supplia Joseph en tendant le rocking chair. Si tu as besoin de réfléchir, tu peux tout aussi bien le faire assise.

- Je cherche simplement des idées de noms pour le petit de Plume. Marcher éclarcit les idées, Platon et Socrate vantaient les bénéfices de la marche. Ce poulain se va quand même pas s'appeler Anonymous ! Si je me pose, mon cerveau aussi va se mettre en pause, je me connais.

-Et moi je vais me fâcher. Tout rouge, même ! tenta de tonner Jo avec une fausse colère dans la voix.

- Toi ? sourit Elina en levant un sourcil interrogateur. Toi, t'énerver ? Bigre, je paierai cher pour voir ça.

- Si tu ne t'assois pas, je ne te dirais pas mon idée de prénom pour le bébé, na !

Elina et Joseph n'arrivait pas trouver de prénom qui leur plaisait à tous les deux. Ils avaient maintes fois épluché le calendrier, sans conviction, et passaient des heures à égrener les sites internet pour trouver de nouvelles idées. La moindre suggestion devenant de plus en plus rare, toute nouveauté était un potentiel espoir !

Elina consenti à s'assoir dans son fauteuil à bascule. Elle eut une légère grimace en se laissant tomber sur le siège, mais leva une main pour empêcher Jo de se ruer sur elle. Elle détestait, à la longue, avoir l'impression qu'on s'occupait d'elle comme si elle avait quatre-vingts ans.

- Je t'écoute, mon ange.

Joseph trépignait littéralement, comme un garnement impatient.

- Je t'écoute, Jo !

- Et bien, et bien, et bien j'adore Hébé !

- Hébé ?

- Oui, je l'ai lu dans un de tes livres. Le gros, sur la mythologie grecque, la fille de Zeus et Héro, symbole de la jeunesse et de la vitalité !

Elina ne sut quoi répondre. Elle avait souvent pensé à des noms issus de la mythologie grecque pour ses animaux de compagnies, mais elle ne l'avait jamais envisagé pour leur bébé.

- Tu ne dis rien ? Ca ne te plaît pas ? s'inquiéta soudain Joseph.

- Euuuh, hésita la jeune femme. C'est assez surprenant ! Te connaissant, je m'attendais à quelque chose de bien plus classique, comme ce que tu avais évoqué jusqu'à maintenant.

- Classique ? J'ai que des idées chiantes c'est ça ? s'emporta soudain Joseph.

- Mais ne t'énerves pas comme ça ! Je dit juste que ça m'a surprise !

- Non, non, tu disais que je proposais que des trucs "classiques". C'est pour ça qu'on n'y arrive pas ! Je propose que des trucs à la con !

- Je n'ai pas dit ça, arrête ! Mais avant tu m'avais parlé de "Léa", "Lucie", "Aurélie", ou encore "Alice", donc forcément d'un coup "Hébé" ça surprend...

Elina posa une main sur son ventre, elle sentait son coeur s'emballer, et elle voulut apaiser son bébé via cette improbable caresse.

- Jo calme-toi, je t'en supplie, tu me fais peur...

- Non ! Je suis fatigué Elina, je cours toute la journée, je remue ciel et terre pour ce centre, je fais tout pour que tes journées soient les plus douces possible, et à côté de ça, on n'a toujours pas de nom pour notre bébé ! Marre que tout le reste passe avant ça ! Merde, on va avoir un bébé quoi !

- Joseph je suis d'accord, et je suis désolée que les journées soient si dures pour toi, mais je t'en supplie, calme-toi. Viens là, je crois que le bébé s'inquiète, viens lui parler, s'il te plaît.

- Non, je sors prendre l'air. Tu diras à Anonymous que Papa rentrera plus tard, il a besoin de respirer !

Elina tenta de se lever pour suivre son compagnon, mais une douleur au dos la força à se rassoir lourdement. Joseph enfila le premier blouson qu'il vit, suspendu à un crochet dans le mur d'entrée, et sortit en claqua nerveusement la porte. Elina se sentit soudain terriblement coupable. Jo se saignait aux quatre veines pour lui soulager son quotidien, et assurait avec brio tous les cours la journée, et l'entretien des boxes et animaux le soir. Il devait être exténué, et elle ne pouvait l'aider comme elle l'aurait souhaité. Un coup de pied du bébé la tira de son monologue intérieur. Elle posa ses deux mains sur son ventre et commença à le masser.

- Ne t'inquiète pas mon amour, Papa est de mauvaise humeur, ça ne va pas durer. Il a le droit d'etre fatigué, mais quand même, je trouve sa réaction un peu exagérée ! Flûte quoi, si la moindre contrariété devient une catastrophe... Il va devoir apprendre à mettre un peu d'eau dans son vin aussi !

Elina se leva pour décrocher le téléphone. Elle tenta d'appeler Joseph sur son téléphoen portable, pour le raisonner. De nombreuses tonalités résonnèrent dans le vide, avant de déclencher la messagerie vocale. Elina ne prit pas la peine de laisser un message, il savait ce qu'elle aurait à lui dire, il rentrerait bien tout seul.

La jeune femme retourna s'assoir dans son rocking chair, et se balança doucement pour bercer le bébé. Finalement, ce fut elle qui s'assoupit au bout de quelques minutes.

-4-

Quand Elina rouvrit les yeux, il faisait nuire noire. Des yeux, elle chercha une horloge, qui lui apprit qu'il s'était écoulé pus d'une heure depuis sa dispute avec Joseph.

- Jo ? dit-elle d'une voix forte. Tu es rentré ?

Pas de réponse. En prenant appui sur les accourdoirs, Elina se leva lentement, et se mit à arpenter la maison. Pas dans la cuisine. Ni dans le garage.

- Jo ?

Là encore, il n'y eut que le silence pour lui répondre à peine perturbé par quelques hennissements lointains. Elle entreprit de monter à l'étage. Pas dans la salle de bain. Personne dans la chambre. Sentant la panique la gagner, Elina entreprit de redescendre pour tenter de le rappeler. Il s'était peut-être réfugié chez un de ses amis, qui lui aurait proposé de rester un peu avec lui, le temps de se calmer. Elle n'eut pas le temps de poser la main sur le combiné, celui-ci se mit à sonner avant. Elina bondit en avant pour décrocher.

- Jo, c'est toi ? Rentre vite, je t'en supplie !

On ne répondit pas. Le silence apparent laissa percevoir au bout d'un certain un vague bruit. Très lointain. Quelque chose de strident. Une sirène. D'ambulance.

- Vous auriez dû être plus attentive, mademoiselle. Maintenant, c'est trop tard. Et c'est tant pis. Vous ne voudriez pas que cela devienne pire, n'est ce pas ?

- Où est Jo ? Qui êtes v...

L'appel avait été coupé. Une triste tonalité la nargait désormais. Elina crut qu'elle allait s'évanouir. Elle en était sûre, c'était la voix de l'homme qu'elle avait rencontré le jour de la signature, celui qui lui avait remis une lettre sur le banc. ce détachement glacial, cette respiration rauque, c'était lui ! C'étai signé MacBeth. Mais diable de quels avertissement parlait-il ? Le plus vite qu'elle put, elle grimpa les esclaiers jusqu'à sa chambre, et ouvrit le placard à la recherche des anciennes lettres de menace. La dernière datait pourtant de plusieurs mois ! Elle l'aurait juré. Elle pensait que cette histoire était finie...

En écartant un vêtement qui l'empâchait de voir sa boîte à secret, elle sentit quelque chose de dur. Elle palpa le sachet plastique qui protégeait de la poussière l'ancien uniforme de serveur de Jospeh. Pas de doute, quelque chose là-dedans était étrange. Un objet épais s'y trouvait. Oubliant sa boîte, Elina saisit le crochet du cintre et soupesa la poche. Elle la trouva anormalement lourde. La jeune femme entreprit de la poser sur le lit, ouvrit le zip, et en sortit l'uniforme. Pantalon noir, chemise blanche à fines rayures grises, petit gilet noir avec un oeillet brodé, fleur qui était aussi le nom du restaurant. Tout cela était immaculée. En revanche, une chemise cartonnée, à élastique, était là. Unfil l'entourait, et la maintenait suspendue à la barre du ceintre. Bien à l'abri des regards, sous plusieurs couches de vêtements pliés.

En tremblant, Elina libéra la chemise cartonnée, fit glisser ses élastiques. Une foule de lettre blanches s'y trouvait. Toutes portant le même message : "Attention, ne soyez pas fous". Et toujours cet accroc sur les "s". Il y avait peut-être là vingt lettres. Quasiment une par semaine, depuis la dernière. Les avertissements de MacBeth. Ceux que Joseph avait interceptés, depuis des mois. En cachette. Il avait encore chercher à la protéger... Savait-il seulement ce que ces lettres signifiaient.

Eina resta, interdite, de longues, longues minutes, assise sur son lit. Ne sachant que faire des ces maudits tapuscrits. Des larmes commencèrent à couler sur ses joues. Une nouvelle sonnerie l'arracha à son égarement hébété. Etranglée par les sanglots et l'angoisse, elle se précipita sur le combiné, avec une force et une souplesse dont elle ne se croyait plus capable depuis plusieurs mois.

- ..., Elina ne sut quoi dire en décrochant.

- Allô ? Allô ? Quelqu'un m'entends ? demanda une voix.

- Oui, je suis là...

- Bonsoir, c'est le Centre Hospitalier Universitaire, je vous appelle car nous avons trouvé une plaquette avec votre numéro dans la poche d'un homme inconnu que l'on vient de nous amener aux urgences.

Le coeur d'Elina sembla cesser de battre. La plaquette... le genre de dépliant dont Jo fourrait toujours ses poches pour en distribuer autour de lui, pour faire de la pub au centre.

- Il s'agit d'un jeune homme d'une trentaine d'années environ, la peau légèrement mate, les yeux très noirs, un grain de beauté sur le côté gauche de la mâchoire.

- C'est Joseph ! hurla Elina, d'une vois presque hystérique.

A tel point que le jeune standardiste à l'autre bout du fil ne sut quoi ajouter. Mais elle se reprit très vite.

- Madame, surtout ne bougez pas, restez où vous êtes. Vous m'entendez ? Madame ?

- Oui... fit une voix presque inaudible.

- Nous avons votre adresse, sur la plaquette. Une ambulance va venir vous chercher pour vous conduire auprès de Joseph. Surtout ne quittez pas le lieu où vous vous trouvez, d'accord ? Je vais rester avec vous, vous voulez bien ?

- Oui... répondit Elina, à peine plus fort.

- Bien. Je m'appelle Sabrina, je travaille à l'accueil. Tout va bien se passer, d'accord ? Vous me fates confiance ?

- Oui...

- Merci... Tout d'abord, j'aurai besoin de savoir si vous connaissez des allergies que Joseph pourrait avoir. Nous devons lui administrer de soins, mais ne vous inquitétez pas, il ne peut rien lui arriver. Il est chez nous, et nos médecins s'occupent de lui. Il n'a rien à craindre.

- Non, non, je ne crois pas... que... qu'il...

Tout devenait confus dans sa tête. Elle n'aurait même pas su répondre si on lui avait demandé son âge.

- D'accord. Est ce que vous vous rappelez si Joseph a été opérér ces dernières années ? Une fracture, une intervention bénine des dents, ou autre chose ?

- Non, non, je ne crois pas... Attendez... si, si... je me souviens.

- C'est très bien, vous êtes formidable Madame, euh... je ne crois pas vous avoir demandé votre nom ? Je peux vous appeler par votre nom ?

- Oui, oui... Elina... Je m'appelle Elina... Je suis... la compagne de Joseph.

- Et vous vous en sortez très bien Elina, surtout restez avec moi. Vous m'entendez toujours ?

- Oui, oui, très bien...

- Très bien Elina. Vous me disiez donc que Joseph avait été opéré ? Il y a longtemps ?

- Deux ans, environ... Lors de nos vacances, euh... je ne sais plus où... Il s'était fracturé le poignet. Droit. En tombant. En tombant en faisant du ski ! Oui, c'est ça, en faisant du ski !

- Très très bien Elina, vous nous aidez beaucoup ! Vous vous souvenez de son opération ? A-t-il mal réagi à des produits ? Comme des anesthésiants, des désinfectants ?

- Non, non, rien de tout cela...

- Ni après, lors de la convalescence ? Pas de complications ? Jusqu'au retrait du plâtre ?

- Rien du tout... Aucune réaction... J'en suis sûre.

- C'est parfait Elina, cela va nous aider à prendre soin de Joseph. Merci beaucoup.

Elina ne sut répondre cette fois. Elle ne pensait pas avoir aidé à quoi que ce soit. Sans leur dispute, il serait toujours à côté d'elle, à lui caresser son gros ventre tout rond.

- Elina ? Vous êtes toujours là ? Parlez moi s'il vous plaît !

- Je suis là, Sabrina. J'ai la tête qui tourne, un peu...

- Avez-vous moyen de vous assoir sans quitter le téléphone ?

- Oui, oui, mon téléphone est sans fil, et mon fauteuil est tout près.

- Allez-y Elina, allez vous assoir. Il est confortable, ce fauteuil ?

- Oui, ça va... Il n'est pas très moelleux... C'est un rocking chair.

- Parfait vous y êtes ? Vous êtes assise ?

- Oui...

- C'est très bien, balancez-vous doucement, n'hésitez pas à fermer les yeux. Maintenant respirez, et soufflez longuement par la bouche. Je reste avec vous Elina, je reste là. L'ambulance va bientôt arriver, d'accord ? Maintenant écoutez bien ce que l'on va faire, vous voulez bien ?

- Oui...

- Très bien Elina. Voilà ce que nous allons faire : vous allez continuer à respirer profondément, en fermant vos yeux. Allez-y fermez-les, et soufflez longuement, dans le combiné, que je vous entende... A chaque expiration je vais compter, d'accord ? A rebours, en partant de trente. Et je vous promets que l'ambulance viendra vous chercher avant la fin de décompte. Vous me faites toujours confiance ?

- Oui...

- Alors c'est parti.

Elina commença à respirer lentement, le plus profondément possible. De la main qui ne tenait pas le téléphone, elle massait son ventre.

A dis-sept, de lointains piaffements et hennissements se firent entendre au loin.

A douze, Elina entendit une sirène.

A neuf, le sol tremblait.

A quatre, un crissement résonna de l'autre côté de la porte.

A un, une portière claqua.

Et on sonna.

- C'est ouvert, réussit à articuler la jeune femme.

- Vous avez été parfaite Elina, parfaite... Bravo à vous. Je vous dis à très vite, je passerai vous voir dès que j'aurai un instant.

- Au revoir Sabrina.

Elina raccorcha, et tendit piteusement les bras vers les deux infirmiers qui pénétraient sous son toît.

-5-

Elina avait été délicatement soulevée de son fauteuil et accompagnée jusque dans l'ambulance, qui était en réalité une voiture, floquée aux coordonnées du CHU. Confortablement installée à l'arrière, une couverture sur les épaules, les infirmiers lui proposèrent une boisson chaude, qu'ils avaient dans une bouteille thermos. Elle refusa poliment.

- On y va quand vous voulez. Prenez tout le temps que vous souhaitez pour vous installer.

- Non, non, on y va maintenant... J'ai besoin de le voir...

- Ok Madame, on y va.

Un des deux infirmiers s'assit à l'arrière, à côté d'Elina. L'autre pris place au volant. Le voisin de banquette d'Elina essaya de lui adresser une sourire mi-poli, mi-gêné, et tapota sur l'épaule de son partenaire pour lui donner le top départ. Ce dernier enclencha la sirène et se mit à accélérer. La réaction ne se fit pas attendre, Elina hurla.

- Non ! Pas ça ça ! Coupez, coupez ça !

Le chauffeur ne se fit pas prier, et s'éxécuta avec un sang-froid impressionnant.

- C'est trop... fort... ajouta la jeune femme en bégayant.

Elle essaya avec des gestes de faire remarquer sa grossesse à son voisin, qui finit par ouvrir grand les yeux et hocher la tête. Il valait mieux rouler un peu loin vite, mais un silence relatif, se dit Elina. Elle sentait qu'elle avait communiqué bien assez d'ondes négatives au bébé comme cela...

A leur arrivé à l'hôpital, on les attendait. Une infirmière tenait à fauteuil roulant, dans lequel Elina accepta de s'installer. A peine y fut-elle assise qu'une jeune femme surgit de nulle part pour attraper les poignées du fauteuil.

- Laissez, je vais l'emmener à sa chambre. Je l'installerai bien comme il faut, ne vous inquiétez pas.

Elina reconnut la voix. Et alors qu'une femme d'une quarantaine d'années l'emportait en direction de l'ascenseur, Elina se détentit enfin complètement... Et étrangement, s'assoupit...

Quand elle se réveilla, Sabrina était toujours là. Assise sur une chaise blanche en métal, elle lui faisait face, en lui tenant la main. Les cheveux relevés en un épais chignon, de fines lunettes qu'Elina n'avait pas encore remarquées, un sourire attendri, tel était le portait de Sabrina.

- Ca va Elina ? Vous pouvez vous détendre, tout va bien. Vous êtes dans uen chambre rien qu'à vous, et il n'y a que moi dans la pièce. Vous êtes toujours dans votre fauteuil, je peux vous aider à vous installer dans votre lit si vous le souhaitez.

- Ca ira... Je vais rester combien de temps ici ?

- Aussi longtemps que vous le voudrez. Nous ferons tout ce qui est en notre possible pour que vous vous sentiez le mieux possible ici, vous et votre bébé.

- Bien...

- Voulez-vous que je demande à un médecin de venir avec un monitoring ? Vous avez dû subir beaucoup de stress, vous assurer que votre bébé va bien vous sulagerait peut-être ?

- Oui, oui, s'il vous plaît...

- Bien, pemrettez que j'appelle.

Sabrina se leva, alla décrocher un téléphoen posé sur la table de nuit, à droite du lit, et pianota sur la clavier.

- Allô ? Oui, Sabrina au téléphone. Je voudrais un obstétricien et une télé pour la 208. Louis est encore là ? Parfait tu me l'envoies ? Super, t'es génial, merci !

Et elle revint s'assoir auprès d'Elina.

- Tout va bien se passer. Le docteur Louis va vous ausculter, et après, nous irons voir Jospeh, si vous vous sentez prête, d'accord ?

- Voir, Jo, oui, oui ! S'il vous plaît...

- Avez-vous faim Elina ?

Elle secoua la tête.

Quelques minutes plus tard le docteur Louis entra, traînant derrière elle un écran. Les présentations furent brèves, mais cordiales. Manifestement, le docteur Louis ne souhaitait pas s'attarder. Il est vrai qu'il devait être tard. Elle fit instaler Elina sur le lit, et lui fit quitter toutes ses épaisseurs de pulls et tee-shirts pour pouvoir appliquer le gel sur son abdomen.

Et Elina le revit enfin. Elle vit son petit coeur qui battait fort, les contours de son petit nez, des formes de petites pattes pas encore trop à l'étroit. Son bébé. Leur bébé. Il était magnifique.

- Et bien elle va très bien cette crevette ! Le rythme cardiaque n'est même pas trop élevé, vous avez géré votre stress comme une chef mademoiselle ! Félicitations, vous avez été merveilleuse !

- Ca, on ne le répètera jamais trop, ajouta Sabrina avec un sourire malicieux.

Elina regarda les ombres noires et blanches qui lui dévoilait l'échographe.

- Vous savez ce que c'est ? Vous voulez le savoir ?

- C'est notre bébé, c'est tout ce que nous avons besoin de savoir...

L'examen se termina et Elina se rhabilla, soulagée que le fruit de ses entrailles se porte bien.

- Je veux voir Jo maintenant. Vous m'avez promis.

- Oui, je vous y emmène.

Elina repris place dans le fauteuil roulant, et se laissa porter par Sabrina dans une enfilade de couloirs aux lumières aveuglantes. Ca et là, des plaintes, des pleurs, ou des bruits de télévision allumée. Des odeurs d'éther, de javel, ces odeurs qui rappellent que des gens souffrent.

Enfin, Sabrina poussa une porte, la cala et revint s'accroupir devant Elina.

- Vous êtes sûre qu'on y va ?

Elina hocha la tête. Et tout doucement, Sabrina la poussa à l'intérieur de la chambre.

Jo était étendu sur un lit, recouvert d'un drap blanc. D'épais bandages entouraient son bras gauche. Une atelle maintenait son épaule de ce même côté. Son si beau visage était tuméfié sur sa partie droite. Son oeil, enflé. Sa lèvre inférieure, éclatée. Il respirait à l'aide d'un tube. Il semblai si serein. Si paisible. Ce ne fut qu'après qu'Elina remarqua la médecin qui se tenait près de lui.

- Bonsoir, vous devez être Elina.

- Oui, comment savez-vous que...

- Il a prononcé votre nom juste avant de sombrer dans le coma artificiel que nous avons dû lui imposer. Il va bien, Elina. Son bras gauche a été ouvert de profondes plaies, son épaule démise, et il porte quelques contusions au visage, mais aucun traumatisme crânien, ni d'hémorragie interne. Evidemment, nous le gardons sous surveillance. Mais il a eu beaucoup de chance, c'est un solide gaillard.D'après des témoins, une voiture a fait un écart pour le percuter. Heureusement, ils ont pu prévenir les secours très vite.

Elina aurait voulu jeter tout ce qu'elle aurait pu au visage du médecin. De la chance ? Il avait eu de la chance ? Où était la CHANCE là-dedans ? La médecin poursuivit, sans remarquer qu'Elina bouillait intérieurement.

- Je vous laisse avec lui.

Et elle sortit. De réguliers bips sonnaient dans la pièce, entrecoupés dans bruits rauques d'expirations de Joseph. Elina se leva en tremblant, et vint prenre la main de son aimé. Ne sachant que dire, elle caressa ses cheveux. Et trouva enfin ses mots.

- Je suis là mon amour... Ne crains rien, on s'occupe bien de toi. Et moi je vais rester là, auprès de toi. Et MacBeth va payer. Dès demain je fais venir la police ici pour déposer plainte.

Elle déposa un baiser sur son front, ce qui demanda un certain effort à Elina, son ventre l'empêchant de se hisser pour atteindre la zone désirée.

- Tu n'aurais pas dû me cacher ces menaces mon amour... Idiot, va... Mais on va s'en sortir mon ange, on ne va pas le laisser faire, ce criminel !

Elle enfouit son visage au creux du cou de son aimé, et resta le plus longtemps possible à respirer son odeur, et à écouter son coeur battre. Car après tout, il battait. C'était là l'essentiel...

Les lumières s'éteignirent une à une derrière les fenêtres qui faisaient face à la leur. Il était très tard. Seule la respiration mécanique de Joseph troublait le lourd silence ambiant. Elina ne disait rien. Elle tenait simplement la main de Jo. Espérant un sourire. Guettant un mouvement. Mais rien ne se produisait. Heure après bips de la machine s'enchaînairent. La poitrine de Jo se soulevait avec un régularité déroutante. Combien de fois Elina avait-elle posé sa têt sur le torse pour sentir vivre son aimé ? La nuit, le matin au réveil, allongés dans un pré, assis sur un banc... Elle caressa de nouveau sa joue, du bout des doigts. Ses ecchymoses sur mon visge... Elle avait peur de lui faire mal... L'entendait-il ? Sentait-il son contact son sa peau ? Essayait-il de lui parler ? Elina ferma ses yeux et essaya de sonder le silence, comme si elle avait pu capter des pensées que Jo aurait cherché à lui envoyer... En vain. L'irritant "bip" lui donnait des envies de tout envoyer valser dans la pièce. Avec un peu de chances, ce vacarme le réveillerait peut-être.

Alors Elina parla. A Jo. Elle lui raconta l'angoisse qui l'avait dévorée durant son absence, la peur, les peurs, les craintes de le perdre à jamais. Mais qu'elle lui faisait confiance, qu'il se réveillerait bientôt, qu'il avait juste besoin de se reposer un peu.

- Mais pas trop longtemps, hein ? Bébé arrive dans quelque semaines, il faut que tu soies là pour l'accueillir, je n'y arriverai pas toute seule. Surtout que nous n'avons pas de prénom, tu te rappelles ? On a encore le temps d'en discuter, je sais. MacBath ? Oh ne t'en fais pas, je m'en occupe. Demain la police viendra, je porterai plainte contre lui, on ira chercher les preuves à la maison, tu sais, celles que tu m'as cachées, gros nigaud ! Il ira sous les verrous et nous on aura la paix. Hein, que ça va se passer comme ça ? Promets-le moi Jo, promets-le je t'en prie !

Et Elina céda enfin aux larmes. Tous ses muscles se relâchèrent, elle s'effondra contre le lit de Joseph, et se vida de ses larmes. Elle mordit les draps pour étouffer son hurlement de désespoir, et serra la main de son aimé de toutes ses forces, jusqu'à ce que l'épuisement ne l'anéantisse définitivement.

Le lendemain, le stoïcisme d'Elina saisit les policiers. Dans le moindre détail, et sans sourciller, elle raconta tout. La vieille rivalité du temps de son père déjà, les menaces le jour de la signature chez le notaire, les lettres, les appels téléphoniques, l'impitoyabilité de MacBeth. Oui, elle prononçait le nom d'un magnat mondialement connu, dont les projets dans la région étaient connus, sans que personne ne sut précisément où. Et bien voilà, elle le disait : c'était chez elle. C'était son chez elle que l'on voulait raser. Et Jo était la victime de ce chantage odieux.

- Vous avez des preuves ? questionna l'un des deux policiers.

- Chez moi. Emmenez-moi et je vous montrerai tout.

- Vous vous doutez bien que si vous n'avez rien, il ne sera même pas inculpé ? Et dans une semaine vous en serez revenue au même point.

Elina lança un regard noir à l'agent qui venait de parler.

- Ramenez-moi chez moi. Je vous montrerai.

Sous escorte policière, Elina rentraz elle. Les bruits habituels du centre l'acueillirent, comme si la vie ne s'était jamais arrêtée, comme s'il ne s'était jamais rien passé. Comme si aucun drame ne se tramait. Elina traversa la cour, entourée d'un agent de police de la police scientifique et d'un infirmier, un de ceux qui déjà lui avaient fait faire le voyage inverse. deux autres policiers fermaint la marche. Elle ouvrit la porte, et découvrit sa maison calme, sereine, comme elle l'avait laissée. Tout y était si beau, si "à sa place", ce retour au bercail lui regonfla le coeur. Machinalement, elle invita ses accompagnateurs à la suivre à l'étage. Elle n'eut qu'à pousser la porte, et dévoila à leur yeux le spectacle de son lit innondé de feuilles blanches.

- C'est là. Servez-vous... dit-elle dans un souffle.

Les agents eurent du mal à masquer leur étonnement. D'ordinaire, dans leurs enquêtes, il faut fouiller, fouiner, retourner des kilomètres carrés de surfaces pour trouver un cil, un cheveu... Et là, on leur servait des preuves à la brouette ! L'officier de la police scientifia valise à terre, et fit un simple signe de la tête à ses collègues. Ils s'attelèrent à l'étude minutieuse des courriers, après avoir revêtu des gants en cahoutchouc. Chaque feuille était glissée dae pochette plastique que l'on scellait. Pour y trouver des empreintes sans doute. Le troisième agent finit par venir voir Elina pour lu poser des questions. A quelle fréquence elle les avaient reçues, pourquoi elle ne s'était pas inquiétée plus tôt. Elina crut lire un jugement déplaisait dans les yeux du policier quand elle lui exposa qu'en réalité elle n'était pas au couran son compagnon lui avait caché ses courriers.

- Il voulait me préserver. Vous savez, cette attitude que l'on adopte pour épargne soucis ou de la peine aux gens ? Oh non, c'est vrai, vous ne savez pas...

Jo était dans le coma, l'héritage de son père était menacé, et leur bébé allait bientôt naître, non, véritablement, ce n'était pas le moment d'énerver Elina.

Au bout d'une heure, les agents avaient fini d'ensacheter toutes les lettres.

- Bien, nous allons convoquer Monsieur MacBeth pour le prévenir de sa mise en examen. Le juge décidera ensuite s'il l'inculpe pour tentative d'homicide volontaire.

- Mais, avec tout ça, il ne peut quand même pas s'en sortir ? s'étrangla Elina.

- Cela ne prouve rien... dit un officier en secouant la tête. Juste que vous avez été menacée. Mais rien ne prouve que MacBoit à l'origine de tout cela. Mais la justice fera son travail, ne vous inquiétez pas.

L'infirmier vint à la hauteur d'Elina et lui posa une main sur l'épaule. Rien ne sert de rugir, il faut parler à point, semblait-il lui dire... C'était vrai, elle aurait bientôt une carte à jouer...

-6-

- Monsieur MacBeth, Roger, Jacques, Isidore, commença à prononcer d'un ton solennel le juge d'instruction. Vous êtes accusé par la présente Mademoiselle Pila Elina, Paule, Lucie, de tentative d'homocide et menaces envers sa personne, sa famille et son patrimoine. Cette comparution aura pour but de déterminer si vous devez être m pour les faits qui vous sont reprochés. Vous êtes accusé par la présente d'avoir envoyé des lettres de menaces visant sa personne dans le but d'obtenir qu'elle vous cède son terrain, à des fins immobilières. Reconnaissez-vous les faits ?

Le grand homme se leva, et toisa la salle de son regard perçant.

- Pas le moins du monde, glissa une voix étonnament douce.

Elina fusilla du regard ce sexagénaire élancé, qu'il l'ignora superbement. Le juge d'instruction s'adressa à Elina.

- Mademoiselle Pila, nous avons étudié avec soin votre dépôt de plainte. Nous comprenons bien les conséquences désastreuses de cette affaire sur votre vie. Et, celle de votre, euh, famille. La cour a fixé à dans deux jours la date limite pour assembler les preuves que vous lui soumettrez.

- Bon courage, interrompit MacBeth, je n'ai que faire de petites attaques visant à obtenir une énième indemnisation fictive.

- La cour se passera de vos commentaires, monsieur MacBetheth, coupa le juge. Gardez votre salive pour dans quarante-heure. L'audience est levée !

Elina se tourna vers Sabrina, venue l'accompagner. Elle lui prit la main, et chercha à la rassurer.

- Ne t'en fais pas Elie, on va trouver quelque chose de probant. On va retourner chez toi, on va retourner le placard, peut-être que Jo a laissé autre chose, quelque part. Il ne va pas s'en sortir, ce fumier !

Elina ne répondit pas. Elle se leva plus que péniblement. Son terme était dans cinq semaines maintenant. Sabrina l'aida à marcher hors du tribunal, en prenant le soin de ne croiser ni le regard, ni la route de MacBeth.

- Allons à la maison, conclut simplement Elina.

Sabrina l'installa dans la voiture, et le voyage se fit sans un mot. Elina aussi, voulait économiser ses paroles. Tout le venin qu'elle ravalait, elle le gardait pour dans deux jours. Seulement, il ne restait rien à la maison. Tourner en rond ici n'aurait avancé à rien, elles retournèrent à l'hôpital. Sans un mot. Elina ne voulait plus parler. Qu'à Jo. Et au juge, dans deux jours. Sa retraite psychologique commençait aujourd'hui et maintenant. Elle adressa un signe à Sabrina pour lui dire de rester où elle était, dans le couloir, pendant qu'elle continuait à avancer vers la chambre de Jo. Elle le retrouva allongé, sans son tube ! Prise de panique, elle se jeta sur lui et lui secoua les épaules.

- Jo, Jo ! Non tu ne m'as pas abandonnée, ne fais pas ça !

Elle s'effondra sur lit, et hurla de douleur ! Alertées par son cri, deux infirmières surgirent quelques secondes plus tard dans la chambre.

- Oh c'est vous ! Que se passe-t-il ?

Elina ne trouvant pas ses mots entre ses sanglots, elle mima péniblement un tuyau, montrant sa bouche, puis Joseph, puis sa gorge.

- Oh, le tube ! On ne vous a pas prévenue ? On devait l'extuber ce matin, et il respire normalement, venez voir.

La première infirmière prit la main d'Elina et la posa sur la poitrine de Jo. Elle se soulevait et s'abaissait en rythme, paisiblement. Elina contempla son homme sous un nouveau jour. Son visage était redevenu presque aussi lisse qu'au premier jour. Ses lèvres qu'elle aurait souhaité dévorer... Son visage à elle s'illumina. Elle adressa son sourire à l'infirmière qui lui avait parlé.

- Merci... Il va... mieux, alors ?

- Il respire seul, et son coeur bat normalement. Les scanners et diverses radiographies ne montrent aucune lésion interne.

- Pourquoi ne se réveille-t-il pas alors ?

- C'est difficile à dire. Cela peut prendre du temps. Le corps a besoin de se reconstruire, intérieurement, aussi, avant de s'éveiller. Cela peut prendre des jours, des semaines ou même...

- Ou même ? demanda Elina, craignant le pire.

- Ou... ou des années ! On ne peut jamais savoir... Mais le meilleur remède reste de se sentir attendu. Il a besoin de vous, encore un peu.

- Et je ne le laisserai pas. C'est lui qui me laisse...

L'infirmière préféra se retirer. Elina retourna s'assoir auprès de son homme. Elle le contempla.

- On va s'en sortir mon amour... Tu verras... On va lui botter le cul dans deux jours... Il  va devoir trouver de sacrés bons avocats pour s'en sortir.

Mais le juge ne l'entendit pas de cette oreille.

- Mademoiselle Pila, nous avons étudié avec un grand soin et une grande attention les documents que vous nous avez fournis. Aucune empreinte n'y a été décelée. Aucun signe, nom ou particularité ne permet de relier ces lettres à Monsieur MacBeth et son entreprise éponyme.

Elina bondit sous l'attaque, malgré la lourdeur de son abdomen.

- Mais à qui profite le crime ? A lui ! Et à lui seul ! Que vous faut-il ? Mon cadavre en plus sur les bras ?

- Mademoiselle Pila, je comprends votre émotion. La cour ne nie pas que vous avez fait l'objet de menaces graves et sérieuses. La cour est prête à entreprendre des poursuites dans quelque direction que pourrait nous indiquer cette enquête. Mais je vous rappelle qu'en droit français, c'est à l'accusation de prouver la culpabilisé de l'accusé, et non à l'accusé de prouver son innocence.

Elina sentit le regard narquois de MacBeth sur elle. Elle se refusa à le regarder. Elle ne voulait qu'il lise en elle la terreur qu'il lui inspirait.

- Mais tout va recommencer ! Mon compagnon est dans le coma, notre enfant ne connaîtra peut-être jamais son père, je n'arrive plus à m'occuper seule de mon centre, et cet ignoble individu ne s'arrêtera pas là ! Il a des millions à gagner avec mon terrain, et ce n'est pas mas misérable existence qui l'intimidera !

- Vous êtes ridicule Mademoiselle, siffla MacBeth, retournez-en chez vous, pondez votre oeuf, et laissez les honnêtes gens tranquille.

Et il adressa un clin d'oeil à son homme de main, celui qui avait délivré la première enveloppe à Elina, ainsi que celui qui l'avait contactée par téléphone le soir de l'accident. Leur trop-plein de confiance écoeura Elina.

- Et vous allez le laisser m'insulter aussi ? Ce type est un monstre ! Et un criminel ! aboya Elina de toutes ses forces. Vous ne comprenez toujours pas qu'il n'en a rien à faire de ma vie ? Et ce serait la vôtre, monsieur le Juge, qui barrerait sa route, qu'il n'hésiterait pas plus ! Que croyez-vous ? Qu'il a un coeur ? Ces lettres le prouvent, bordel !

- Mademoiselle ! grogna à son tour le juge en brandissant une des lettres de menaces. Vous n'avez que du papier ! DU PAPIER ! Ceci n'est pas une preuve, c'est un... un torchon, voilà !

Elina se figea. Non pas à cause du regard de MacBeth. Pas à cause du coup de pied que lui avait décoché le bébé. Elle ne réagissait pas non plus au mépris du juge. La lumière venait de jaillir... Littéralement... La lettre que brandissait le juge laissait filtrer la lumière du soleil qui provenait de la fenêtre derrière lui. Une lettre particulière. Qui révéla aux yeux de tous l'horreur de actes d'un homme a priori trop propre. Le juge, puis Sabrina, tournèrent la tête dans la direction du point qu'Elina fixait.

Sabrina en pleura.

Le menton du juge s'abaissa.

Les poings de MacBeth se serrèrent.

Les yeux de son homme de main s'affolèrent. Il laissa même échapper un gémissement plaintif.

Sur le papier. Un détail. Un simple détail se révéla. Le sous-fiffre avait dû prendre la première feuille blanche qu'il voyait. L'avait sans doute glissé dans cette vieille machine à écrire, pour ne pas laisser de trace informatique. Les experts informatiques peuvent ressusciter n'importe quelle donnée de nos jours. Cette vieille machine, avec ses "s" écorchés. Dans laquelle il avait glissé une feuille blanche.

Une comme les autres.

Mais qui avoua subitement être marquée.

En filigrane. Il fallait certes jouer un peu avec le reflet, mais c'était net.

Par transparence, s'affichait le logo. Un M et un B entremêlés à l'intérieur d'une silhouette portant une colerette, réhaussé d'un menton fin...

Le logo des casinos MacBeth, et le nom de leur propriétaire, s'étalaient à la face de la salle dont le souffle s'était coupé.

Le silence s'apesantit de longues, longues, minutes. Qui fut finalement brisé par un coup de tonnerre.

- ESPECE DE CRETIN ! beugla le fringuant sexagénaire en assénant un coup de poing violent à son accolyte.

Des policiers se ruèrent rapidement sur les deux hommes pour les faire sortir de la pièce.

- TU ME COULERAS PAS, DEBILE ! MAIS FAUT-IL ÊTRE CON !

Le reste du monologue fut bientôt interrompu par le claquement de la lourde porte de la salle d'audience.

Le juge d'instruction resta un moment abasourdi. Elina osait à peine respirer. Elle ne savait que croire, que penser ou que dire... A travers un fin rayon d'or, la vérit avait éclaté... Le juge essaya de se donner une contenance, et s'adressa à nouveau à Elina.

- Mademoiselle Pila, avez-vous quelque chose à ajouter, avant que la cour ne rende sa décision ?

- Je... voudrais que la machine qu a servi à écrire ses lettres... Qu'on l'étudie. Que l'on en sorte la lettre "s"... Et que l'on vérifie son intégrité...

- Mademoiselle, soyez-en sûre, cela sera fait. Cela l'aurait été fait. De toutes façons. Plus rien ne s'oppose à une mise en examen. Que la justice fasse désormais son travail. La cour ordonne donc la mise en examen de Monsieur MacBeth Roger, pour menaces, coups et blessures ainsi que tentatives d'homicide.

Et le marteau qui sonna la fin du cauchemar en heurtant la table du juge résonna comme un chant de victoire dans le coeur d'Elina. Un tourbillon enivrant l'enveloppa, l'isolant des acclamations et protestations qui fusaient dans la salle. Elle pensait chavirer de joie, et ne se sentit pas tomber à terre.

-7-

Les portes s'ouvrirent avec fracas, et ce vacarme tira Elina de sa sommnolence. Elle entendait très vaguement des paroles, très loin...

"Ouvrez sa blouse, derrière, relevez-la, va falloir piquer !"

"Je prépare le jus, allez-y penchez-la ! Penchez-la !"

"Impeccable, ok, on y va ! La poche est rompue, faut pas traîner !"

Elina sentait bien qu'on parlait d'elle, mais ne comprenait rien à ce qu'on lui demandait. Ils paraissaient si lointains, tous ces pantins, flous et aux gestes désordonnés...

"Il va falloir qu'elle pousse, on peut quand même pas l'ouvrir d'emblée !"

"Vas-y fais-la pousser toi, on va devoir le sortir tous seuls ce bébé !"

Le bébé !

- Jo !

Elina ouvrit subitement ses yeux le plus grand qu'elle pût. Un des pantins coiffés, et masqué le remarqua.

- Madame ? Madame ? Ca va ?

Une terrible douleur lui déchira les entrailles, lui coupant le souffle.

- Ne vous inquiétez pas, la péridurale va bientôt agir, vous pourrez vous concentrer sur votre poussée. Suivez bien nos consignes surtout !

- Le bébé arrive ? paniqua-t-elle soudain.

- Il est en chemin, on va lui montrer la voie tous ensemble, d'accord ?

Une nouvelle contraction lui arracha un cri.

- Ca marche pas ! Ca fait mal ! gémit-elle en laiisant les larmes couler sur ses joues.

- Respirez, inspirez puis soufflez longuement, allez ! Un, deux on inspire et on pousse en soufflant, bien à fond !

Elina mobilisa toutes ses forces et tous ses muscles. Elle ne pensait pas qu'il fût possible de souffrir autant. Sa chair meurtrie lui envoyait mille décharges douloureuses à la seconde. A nouveau, ell ese laissa envelopper dans une torpeur protectrice. Il n'y avait plus rien, qu'elle et une vie qu'elle se devait d'offrir à la lumière du jour. Un halo brumeux lui brouilla la vue, les pantins n'existaient de nouveau plus. Elle se mit à écouter son corps, sa douleur, et l'accepta. Elle lui tendit les bras, accueillit sa venue comme le signal de sa nouvelle vie. Son bébé venait à elle, avec son flot de déchirures, de tiraillements, soulagés par les quelques bouffées d'air qu'elle arrivait à aspirer en elle. Ces bouffées d'air qu'elle aurait voulu transformer en tourbillons dans sa poitrine, pour entraîner avec eux, hors de son corps le corps qu'elle voulait dans ses bras désormais...

Dans un ultime râle, des milliosn de chaînes semblèrent s'envoler. La Nature la délesta du poids de ses angoisses, de ses malheurs. Plus rien ne l'entravait...

Elle se réveilla de son délire, et découvrit un poupon violacé tout contre elle... Quelque chose vibrait sur elle. Quelqu'un plutôt. Quelqu'un à qui elle devait dire bonjour...

- Et le voici ! Dis bonjour à Maman mon petit !

Un garçon ! Un garçon ! Un petit bout d'homme si fragile. Ils se reconnurent aussitôt, et Elina serra contre coeur ce petit être qui ne demandait qu'à être apaisé.

- Bienvenue mon ange, bienvenue parmi nous... souffla-t-elle, en se promettant de tout lui offrir, chaque jour que la vie leur accordera côte à côte.

Il n'y avait plus qu'elle, et lui, les autres n'existaient plus. Sauf Jo.

- Je vais te présenter quelqu'un de formidable mon amour... Quelqu'un qui m'aidera à te rendre heureux, heureux comme nou le sommes maintenant...

Quelques heures plus tard, Elina était remontée dans sa chambre. Dans son couffin à côté d'elle, sa petite merveille dormait à poings fermés. Il semblait si calme. Sa petite bouche rose, son petit nez tout rond, et ces cils incroyablement longs emplissaient Elina d'une incommensurable fierté. Elle regarda l'heure sur l'horloge.

- Parfait... C'est l'heure, mon amour ! Les infirmirmières sont passées à l'étage supérieur à cette heure...

Elina s'assit dans son lit, pivota et glissa le long du bord du lit jusqu'à poser les pieds par terre. Cherchant son équilibre, elle s'assura que ses jambes la soutenaient. Elle fit un pas, deux, puis trois pour contourner le lit. Elle se pencha au-dessus du couffin, et son regard attiré par l'étiquette qu'elle poratit : "SP". Sans prénom. Elina l'arracha et la déchira. Il n'était pas "sans prénom", il était lui, cela suffisait.

Délicatement, Elina souleva son petit trésor et le posa contre sa poitrine, bien calé dans le creux de son cou. Le poupon émit à peine un petit hoquet. Elina réajusta son petit bonnet afin qu'il ne lui couvre pas les yeux.

- On va voir Papa, mon chéri, mais c'est un secret, alors faut pas faire de bruit, d'accord ? On y va.. chuchota-t-elle à l'oreille de son fils.

Très lentement, elle ouvrit la porte d'une main, en tremblant comme une feuille. Elle passa la tête à l'extérieur du cadre et, un coup d'oeil à droite, un coup d'oeil à gauche : personne. La voie était libre. Sur la pointe des pieds, elle parcourut les quelques mètres qui la séparaient de la porte menant à l'escalier.

- C'est très bien mon coeur, on continue ! On est trop forts !

Elle descendit un, puis deux étages, frémissant au moindre bruit de porte ou de pas qu'elle aurait pû entendre. Heureusement, rien ne venait jamais dans sa direction.

Arrivé au bon étage, elle poussa de nouveau la porte menant au couloir. Vérification dans le couloir sombre, toujours personne.

Porte 009, plus que quelques mètres, à gauche. Elina approcha sa main de la poignée, expira longuement, frotta sa joue contre la tête de son petit trésor, et repoussa la barrière qui les séparait de leur être cher.

Joseph était toujours là. Une quiétude bienveillante enveloppait le trio silencieux. Solennellement, un pas après l'autre, Elina avança. Son fils s'agita au creux de son épaule.

- Chut, chut, chut mon coeur ! murmura-t-elle.

Mais le petit ne l'entendit pas de cette oreille, et il émit un long gémissement, ressemblant presque à un couinement de chaton. Malgré les caresses bienveillantes d'Elina, il poussait maintenant une longue plainte déchirante.

- Mon coeur ? Mon coeur ? Chuuut, on ne doit pas nous trouver ici, sinon on va se faire gronder !

Un bruit la fit sursauter. Un bruit métallique. Comme si quelque chose entrechoquait deux objets entre eux. Mais cela ne venait pas de la porte. Elina se figea, elle ne cherchait plus à supplier son enfant. Joseph s'était redressé si brusquement qu'il avait heurté la tête de lampe penchée au-dessus de son visage. Qu'il se tenait d'une main.

- Tu... Elina ?

- Oui Jo ? C'est moi... Enfin... C'est nous...

Elle s'approcha de son aimé, et lui présenta la tendre frimousse qui s'était soudain tue.

- C'est notre garçon. Il est arrivé précipitemment cet après-midi... Je... C'est ton fils Jo ! Et il est en parfaite santé !

Elle le déposa contre le torse de Jospeh, qui parut hésiter avant de l'étreindre. Ce petit corps contre le sien à peine revenu à la vie, comme une deuxième naissance, déversa dans son coeur des trombes d'émoi. Il leva des yeux pétillants de bonheur vers son aimé.

- Je suis resté endormi combien de temps ?

- Trop longtemps mon amour, mais tout cela n'a plus d'importance, maintenant.

Elle vint se blottir contre lui, et il couvrit ses cheveux de baisers passionnés. Elina caressait la joue de leur merveille, qui sommnolait contre le coeur de son père.

- Il est magnifique Elina...

- Oui... Tu arrives à croire que nous ayons fait quelque chose de si beau ?

- C'est dur à croire, en effet...

- Je... Je n'ai pas su trouver de prénom... Je ne me voyais pas lui donner, sans toi, enfin, tu vois...

- Et tu as une idée ? Moi j'ai bien quelque chose mais...

- Peut-être... Ulysses ? Qui dut vaincre des tempêtes et des tumultes pour retrouver la chaleur de son foyer ?

- Je crois.. que cela colle parfaitement... admit Joseph.

- Ulysses... souffla Elina.

- Et MacBeth ? demanda abruptement Joseph, comme si tous ses souvenirs lui étaient revenus d'un coup, tel un coup de tonnerre.

- Oh, lui...

Elle marqua une pause.

- Lui il ne nous embêtera plus. Maintenant, il n'y aura plus que nous.

Et elle embrassa son aimé, comme pour sceller à jamais la magie de cet instant, et graver cette promsesse dans le marbre de l'éternité.

-FIN-

Signaler ce texte