L'essentiel

Muriel Roland Darcourt

Il y avait Lui. 


Il y avait Elle. 


Il y avait les autres aussi, mais Ils s'en foutaient. Enfin, Ils faisaient avec. Comme s'ils n'étaient pas vraiment là. Ils étaient un prétexte. Le pourquoi Ils se retrouvaient là. 


Une amie lui avait dit, viens, on part à la campagne, un copain qui a une piscine et des champs à partager. Une grande maison vide, ça te changera les idées. 


Dans ses idées à Elle, il n'y avait que Lui.


Des mois que ça durait. 


Lui avait dit non. Ce n'est pas une histoire, c'est un jeu tu comprends ? Quelque chose d'anodin qui ne pourra se poursuivre plus loin que le petit matin. Quand tu te réveilleras je ne serai plus là.


Elle n'avait pas dit d'accord. Et Elle espérait encore, même si elle ressentait que tout était fini. Rien n'était possible entre eux. Il y avait un homme, une femme, des enfants, des appartements et puis de la distance. Des existences qu'ils avaient choisies. Dont ils étaient contents. Pas forcément heureux mais contents. Quelque chose de satisfaisant. 


Comment a commencé leur histoire ? Doit-on, peut-on parler de hasard ? Pour Elle le hasard n'existait pas et pourtant. Un jour, Elle a pensé à Lui. Un souvenir aussi soudain que fragile, une pensée versatile, un rappel d'antan. 


Elle a cherché ce que Lui devenait. Elle a trouvé son image. 


Elle la regarde…


Soudain, elle est charmée. 


Lui. Qu'elle n'avait pas revu depuis si longtemps. Cet instant, elle n'arrive pas à l'oublier. Parce qu'il la prise par surprise. Elle était là devant les pages qui parlaient de Lui. Tellement fière de Lui, de ce qu'il était devenu. Elle qui se sentait si perdue. 


Elle n'a pas compris. C'était bien Lui, elle recherchait un camarade. Rien d'autre, et son cœur s'est mis à battre la chamade. Des soubresauts. Elle se sentait prise en défaut. Pourtant, elle n'avait rien fait de mal. Juste se dire quel homme est-il à présent ? Un matin où elle-même n'avait plus de présent. Elle a vu son visage et comme ça, elle est tombée amoureuse. Elle l'a senti en elle. 


Fielleuse, sa petite voix a dit, pars, fuis, et c'est ce qu'elle a fait. Seulement elle avait laissé un message, puis deux puis trois, qui disaient contacte-moi. C'est ce que Lui a fait.

 

Ils étaient là, tous ensemble, sur une terrasse. Un verre à la main, Ils n'osaient pas se regarder. Personne ne savait qu'Ils se connaissaient. Ils faisaient comme si c'était la première fois. Et c'était bel et bien une première fois. Ils mangeaient, ils riaient, ils se sentaient bien. Il n'y avait ni homme, ni femme, ni enfants, pas même leurs appartements. Rien qui les liaient à autre chose qu'à ce moment où Ils se retrouvaient. 


30 ans étaient passés. Sans que jamais Ils ne se revoient. Sans que jamais l'un comme l'autre ne prenne contact l'un avec l'autre. La vie les avait éloignés, sans qu'Ils ne s'en attristent, sans qu'Ils ne se manquent, sans qu'Ils ne soient attentistes de quoi que ce soit. Rien ne les ramenait sur le même chemin. C'était comme ça.


C'est, innocente, que ce matin-là, le souvenir de Lui l'a assailli. 


C'est, innocente, qu'elle a cherché son nom, sans aucune raison.


Elle le regrette aujourd'hui.
Parce que.  Parce que les larmes. Parce que le cœur déchiré. Parce qu'un vacarme dans sa tête malmenée. Parce que rien n'y a fait pour qu'elle puisse l'oublier.

 

C'était l'été, il faisait chaud. Très chaud au bord de la piscine. L'alcool leur montait au cerveau. Lui se taisait. Elle pas. Il l'écoutait malgré Lui. Elle rêvait de l'embrasser. Elle ne pouvait pas. Lui ne se doutait de rien. Il songeait, à quoi ?


Les autres servaient de remparts. Ils étaient là. Ça Lui suffisait pour le tranquilliser. Ça suffisait pour l'énerver, Elle qui avait tant de mal à se contenir. Mentir Elle n'aimait pas. Et Elle mentait quand elle faisait semblant qu'il Lui était indifférent. Son amie avait dit qu'il y aurait d'autres amis. D'accord pour se changer l'esprit. D'accord pour oublier sa vie, un temps. D'accord pour se faire d'autres amis.
Elle l'a vu arriver. Les yeux écarquillés. Était-ce le destin qui s'en était mêlé ? Le destin, elle y croyait. Lui n'avait rien voulu dire. Il préférait être nu que de dire. Et Elle, Elle aimait qu'il soit nu. Enfin. C'était une vieille histoire, les mois passés avaient tout effacer.

 

Elle avait dû rêver de Lui. L'imaginer. 

 

Et maintenant ? Ils sont tous partis se coucher. Sauf Elle, sauf Lui. Avaient-ils envie de se parler ? Pas franchement. Depuis le début ils ne se parlaient pas franchement. Ils auraient dû dire : ma vie est celle-ci. Voyons-nous, parlons du bon vieux temps. Comment vas-tu à présent ? Je te fais rencontrer l'homme, la femme, les enfants, dans nos appartements. Ils auraient dû dire : nous n'avons jamais vraiment été amis, soyons-le maintenant. Nos existences sont différentes, on peut en apprendre tellement. L'un de l'autre. Et ces trente années passées ? Lui aurait dit bof, Elle avouerait une catastrophe. Peut-être qu'ils en auraient ri. Peut-être qu'ils se seraient compris.

 

Les mots ne sortent pas. Lui est trop secret. Elle pas. Elle, Elle dit tout. Elle est transparente comme une eau de source sortie du lit. Et  pourtant il a dit : on ne se connait pas. Déjà qu'elle se sent moindre devant Lui. Déjà qu'elle perd confiance en Elle quand Elle parle avec Lui. Va-t-il Lui dire tu as raison ? Tu n'es pas digne que je te porte la moindre attention. Elle préfère finalement qu'il ne dise rien. 


Il reprend un verre, Lui en sert un. 


Est-ce bien raisonnable ? Sont-ils raisonnables ?


Ont-ils des intentions ? Lui peut-être de la voir -ivre morte raconter n'importe quoi- tomber dans la piscine, au beau milieu de ses phrases ou de ses silences, tour à tour. Son cœur battant sous ses vêtements légers. Des pensées inavouables coulent vers Elle sans qu'Elle n'en sache rien. Parce que c'est mieux ainsi. Un silence abyssinien, ça Lui va bien.  

 

Elle sauterait dans la piscine. L'eau l'engloutirait, inconsciente tu as trop bu, veux-tu disparaître ainsi ? Il voudrait la sauver alors il sauterait aussi.


Il la prendrait dans ses bras pour ne pas qu'elle se noie. Elle l'embrasserait pour le remercier d'être là. Parce qu'elle en aurait envie. Parce que ce verre de trop Lui ouvrirait la porte à ce qu'elle veut de Lui. 


Bien sûr ils font l'amour en pensée, corps à corps, juste un trop plein, d'attentes, de joies, de chagrins, sans témoins. Pas l'ombre de l'homme, de la femme, des enfants, si loin de leurs appartements. Ils s'aiment sans retenue car ça leur plaît. De se livrer ainsi. Et Lui, comme Elle, plongent dans l'éphémère. Qu'est-ce qu'Ils espèrent ? Ils ne donneront naissance qu'à une chimère. À quelque chose qui n'existera pas. Car les plus belles amours sont celles qu'on ne vit pas.



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