L'estropié de l'instant présent

Michael Ramalho

Voir Londres et ne pas mourir

Comme à chaque fois qu'un événement inhabituel se préparait à entrer dans ma vie, mes fonctions physiologiques se dérèglaient. Depuis une semaine, le sommeil me fuyait. La faute à la maudite échéance qui approchait, implacable. Il y a six mois, des paroles en l'air au sujet de l'impérieuse nécessité d'améliorer mon anglais, amorçaient finalement leur descente, avec en ligne de mire, ma fanfaronnerie. Entortillé dans mes draps, je passais mes ultimes nuits à ressasser mon départ pour l'Angleterre. Les sempiternelles interrogations tournoyaient dans la tête du jeune homme mal dans sa peau que j'étais. Trouverais-je ma place dans ce pays si proche mais pourtant si différent ? Obtiendrais-je le poste de barman dans ce restaurant, en dépit de mon imparfaite maîtrise de la langue ? Serais-je bien accueilli dans cette maison de la banlieue londonienne que je partagerai tout un été avec d'autres jeunes ? Je m'éreintais les nerfs à imaginer des scénarii terribles me plongeant dans les pires situations qui ne manqueraient pas d'arriver là-bas. Moi, vêtu tel un héros de Dickens arpentant les ruelles sombres, subissant la cruelle morsure de la faim, mendiant quelques piécettes pour appeler mes parents à l'aide. Moi, emmitouflé dans mon veston, me débattant contre le froid glacial des couloirs déserts de la gare. Moi, le visage apeuré, errant dans des chambres biscornues d'une bâtisse menaçante, repoussant des agresseurs armés de battes de criquet. A l'aube de mon effrayant envol, je perçus le pas feutré de mon père qui se préparait pour le travail. Une immense émotion m'étreignit. La veille nous nous étions dit au revoir d'une manière distante. J'écoutai le mince filet d'eau qui coulait lentement dans le lavabo tandis qu'il se rasait. Un rai de lumière filtrait sous la porte éclairant d'une lueur tamisée, les ténèbres du hall d'entrée. Je me serais bien levé pour aller discuter un moment avec lui mais les garçons de mon âge n'ont pas ce genre de courage. Les bruleurs se mirent à siffler sous la casserole d'eau. Je l'imaginais assis à la table de la cuisine buvant son café en silence, profitant d'un moment de calme avant l'agitation des transports et le fracas du chantier. La porte qu'il referma doucement pour ne pas nous réveiller me fit monter les larmes aux yeux.

La gare de Gallieni à Bagnolet, à l'instar de toutes les gares routières du monde était hideuse. Ces souterrains empestant les gaz d'échappement illustraient à mes yeux ce que l'humanité pouvait concevoir de plus pitoyable. Précédé de ma mère, je trainai mon bagage d'angoisse jusqu'au bus indiquant London-Victoria Station. Après qu'elle se fut assurée que je n'oubliai rien, elle m'embrassa avec chaleur en me recommandant de bien faire attention à moi. Pour ne pas me délester du peu de courage qui me restait, je me dépêchai de monter et de ne surtout pas regarder ce petit bout de femme toute ratatinée de chagrin.


Le bus profita de la torpeur matinale pour s'échapper de la grisaille parisienne. Il s'engagea sur l'autoroute encore tout engourdi de sommeil. Pendant que dans un bourdonnement furieux, il avalait le ruban d'asphalte, je rabâchai mes angoisses. Le cœur serré, j'enviais presque les gouttes qui ruisselaient le long des vitres et qui n'iraient jamais à Londres. A l'arrière, des jeunes devisaient bruyamment. Je m'interrogeais sur les raisons qui faisaient qu'à l'inverse d'eux, je me montrais incapable d'éprouver ce sentiment de lâcher-prise. Je me voyais comme un handicapé du moment présent. Ne pas me projeter vers les évènements à venir m'était impossible. Jamais mon imagination ne les envisageait sous un angle agréable. Infailliblement, elle modelait un golem hideux à partir d'une grumeleuse argile de faits catastrophiques. Je vivais en jetant la totalité de mes forces dans l'anticipation d'un coup du sort effrayant, qui à coup sûr, m'infligerait des dommages sévères. Mon anxiété fermait toutes les portes donnant sur le monde. La jeune fille rousse aux cheveux-mi longs me rappelait Laurie, une camarade de classe qui m'avait donné mon premier baiser. Un jour qu'elle me demandait de l'accompagner à l'étage pour descendre des chaises, elle se jeta sur moi et glissa sa langue dans ma bouche. A la fin, elle me fixa longuement, les joues empourprées et le regard emplit d'une émotion que je n'étais pas sûr de pouvoir éprouver en retour. Je fis comme à l'accoutumé, je m'éloignai et elle finit par ne plus m'adresser la parole. Cette épisode constituait le summum d'une année de Lycée qui, selon mes modestes critères, s'était montrée faste. L'acné se fatiguait de me harceler et laissait apparaître un visage m'autorisant peut-être, à viser la moyenne. Comble de bonheur, cette rutilante face se faisait pincer presque chaque jour par Virginie, une autre camarade, qui semblait raffoler de mes fossettes. Quand elle me croisait dans le couloir, elle les attrapait, collait son visage au mien et disait « elle sont trop mignonnes tes p'tites fossettes. Je les croquerais bien ! ». C'était la première fois qu'une fille me touchait. Jusque-là, à l'idée d'une simple bise échangée avec moi, je n'avais eu droit qu'à des refus humiliants ou à des rictus de dégout. Elle me plaisait bien Virginie. Le soir même, j'imaginais des choses avec ses mains, sa bouche et son corps. Le lendemain, je la vis au bras de son amoureux. Je fus déçu, renvoyé dans mes pénates, mais une étincelle agréable était née.


Après avoir peiné dans la circulation londonienne, le bus s'engouffra dans Victoria Station. Le décorum et le fourmillement de la capitale m'impressionnèrent beaucoup. Les bus à impériale, la Tamise, le Parlement, Big Ben, la conduite à gauche, les look left, look right écrits sur le bitume, les cabines téléphoniques, les pillars box, les taxis, les passants aux styles les plus exubérants les uns que les autres...Que tout cela était éloigné des images poussiéreuses figurant dans nos ouvrages d'apprentissage. Lorsque le bus stoppa tout à fait, mon cœur battait à la chamade. Nulle échappatoire, j'étais bel et bien livré à moi-même. Je constatai avec une pointe de jalousie que les jeunes embrassaient leur destinée avec toujours autant de décontraction. Slalomant entre les autres voyageurs, les kiosques à journaux et les tourniquets, je m'arrêtai un instant pour étudier mon plan de métro. Je devais me rendre à la station Boston Manor se situant à l'extrême Sud-Ouest de la Picadilly Line. Pour ce faire, il fallait emprunter la district line en direction de Ealing Broadway, changer à la station South Ealing et redescendre vers l'aéroport. Là-bas, j'étais tenu d'appeler l'organisme qui s'était chargé d'obtenir l'entretien d'embauche et le logement. Une fois les formalités accomplies, une certaine Mme Massambout m'accompagnerait en voiture jusqu'à la maison se situant à Hounslow

Sur le quai du métro, l'angoisse de m'égarer m'assaillit. La vision d'une voie ferrée aboutissant à un cul de sac où régnaient des ténèbres épaisses surgit. Je demandai mon chemin un nombre ridicule de fois pour m'assurer que j'avais pris la bonne direction. « Sorry Sir (Sic!). This train goes to South Ealing, please? ». Parvenu à Boston Manor, je me précipitai dans une cabine téléphonique. La sonnerie d'appel me laissa le temps de répéter la phrase que j'avais apprise par cœur et que par précaution j'avais recopié sur un morceau de papier. Personne ! J'essayai à nouveau. Toujours rien. Avec angoisse, j'observais les crédits de ma carte qui diminuaient en même temps que mes infructueuses tentatives augmentaient. Moi dormant sur un banc de la gare à Victoria en attendant l'argent de mes parents, furieux d'avoir été bernés par un organisme fantôme. Moi suppliant une bonne âme de me donner quelques pièces pour les appeler au secours. Transpirant à grosses gouttes, je composai une énième fois le numéro. Une voix féminine éclaira ma réalité. Je dépliai en vitesse mon papier et lus mon texte malhabile. « Good afternoon Miss or Mister. Heu... Sorry, Miss ! I'm Michael R.. I came from France to work as a barman in a restaurant called Garfunkle's, based in Heathrow airport. I had the instruction to call this number once I'm in Boston Manor Station. » Un silence emplit le combiné.

« Michael! Comment allez-vous ? Je parle français. Je m'appelle Aurélie Massambout, je viens d'Avignon. Vous êtes arrivés à Boston Manor ? Ne bougez pas, j'arrive dans un quart d'heure. Vous êtes à quelle sortie de métro ?»

Je mis du temps à répondre, ensorcelé que j'étais par son accent chantant.


La permanence d'Ewep n'offrait rien de particulier à observer. Deux bureaux se faisaient face dans une pièce aux dimensions réduites. Les rayons d'un soleil fatigué d'avoir trop attendu pour s'épanouir, peinaient à traverser l'unique fenêtre. Sous elle, trônait une commode gigantesque toute droite sortie des années Thatcher. Sur le mur, excepté le calendrier et le logo de l'organisme, deux posters représentant pour l'un, l'Union Jack et pour l'autre, un homme souriant adossé à une cabine téléphonique, égayaient un mur au papier peint délavé. Aurélie étudiait mon dossier avec attention. Ses cheveux auburn domptés en chignon n'arrivaient pas à donner un air sévère à ses traits doux et harmonieux. Sous l'effet de la concentration, son nez en trompette se retroussait légèrement en même temps que ses sourcils se fronçaient. Ses yeux couleurs noisette flottaient au-dessus de lunettes dont la monture fuchsia faisait ressortir l'éclat. Elle portait un chemisier d'une blancheur éclatante auquel il manquait un bouton. Comment l'avait-elle perdu ? Elle interrompit ma réflexion en me détaillant le programme du lendemain.

Je devais me rendre au Terminal 1 de l'aéroport et rencontrer Miss N'Guyen, la manager du Garfunkel's pour un entretien d'embauche. Si j'étais retenu, il faudrait ensuite se rendre à Ealing Common afin d'ouvrir un compte à la banque. Enfin, elle me demanda 50 livres qu'elle crédita à mes cartes « eau » et « électricité » pour les charges d'hébergement de la semaine à venir. Nous nous dirigeâmes vers sa voiture. Avant d'aller à la maison, elle fit une halte au super marché. Je m'affalai sur le siège, fatigué par les émotions de la journée. Elle conduisait avec assurance dans les rues résidentielles du grand Londres. L'enseigne Tesco offrait un choix de produits considérables. Aurélie me guida avec patience. Je repartis avec une bouteille d'eau, du pain blanc coupé en tranche, des nouilles coréennes déshydratées aux légumes et sur ses conseils, des chips au vinaigre. Enfin, arriva le moment tant redouté de la découverte de mes colocataires. Heureusement, Aurélie s'occupa avec calme et naturel des présentations.

Dans le couloir d'entrée, nous tombâmes sur Marc, français lui aussi originaire de Perpignan. Je fus heureux de ne remarquer dans ses yeux, aucune défiance à mon égard. En dépit d'un physique imposant –il me dépassait d'une tête et ses bras étaient plus épais que mes cuisses- Marc disposait des caractéristiques typiques du gentil géant. Un visage bonhomme orné de taches de rousseur, couronné d'une tignasse aux boucles rougeoyantes, me souriait en me souhaitant la bienvenue. J'entrai dans un salon meublé de façon spartiate. Un canapé, une table basse et un meuble de télévision. Ici et là, des chaises reposaient contre les murs abîmés. Au fond du salon, on trouvait une cuisine toute simple doté d'un passe-plat sur lequel les membres les plus précieux de la maisonnée prenaient leurs repas. Deux filles blondes élancées, affalées sur le canapé, fixaient l'écran en dégustant des yogourts agrémentés de céréales. Elles s'appelaient Reeta et Marketta. Elles venaient de Finlande. Dans la cuisine, des noms d'oiseaux lancés en italien attirèrent mon attention. Un homme d'âge mûr pestait en ouvrant et fermant vivement les placards. Une figure bronzée, marquée par le bleu de la barbe, apparut dans le salon. L'impression de dureté du visage de Paolo était accentuée par ses petites lunettes rondes et ses cheveux coupés très courts. « Where are my ...Come si dice ? Pasta? Cazzo ! Ho dimanticato. Marc ! Have you eaten... la mia spaghette. Hé! Marc! Mé pates... tou les a mangé ?» Absorbé par le film, Marc ne répondit rien. Fou de rage, il sortit en maudissant la terre entière. Aurélie me conseilla de ne pas faire attention. Paolo faisait partie de ces gens qui aboyaient sans cesse mais qui ne mordaient jamais. C'était un ancien militaire. Ce séjour en Angleterre avec de jeunes européens indisciplinés constituait pour lui, un nouveau départ empreint de pénitence. Nous montâmes à l'étage où Aurélie me montra la chambre que j'allais partager avec Salva, un espagnol encore au travail. Puis, il fut temps de nous dire au revoir. Nous nous reverrions certainement, me dit-elle. Elle passait souvent.


J'obtins aisément le poste de barman. Les critères de recrutement de Miss N'guyen étaient il est vrai, peu élevés. Je m'en trouvai soulagé. Pour ce travail, j'allais percevoir 220 Livres par semaine auxquels s'ajouteraient les pourboires. Je me sentis tout de suite bien au Garfunkle's. Le premier jour, j'eus l'agréable surprise de constater que la brigade de cuisine était entièrement constituée de portugais. Dès qu'ils surent que j'étais un compatriote, ils me considérèrent comme leur mascotte. Des denrées furent mises de côté à mon attention et au moment des repas, mes assiettes débordaient. La providence voulut aussi que le personnel de salle me fut favorable. Je m'entendis très bien avec Aaron, un anglais qui travaillait au restaurant pour payer ses études ainsi qu'avec Luuk, un géant sud-africain au look de surfer, venu tenter sa chance en Angleterre. Le soir après le service, nous pintions ensemble jusqu'à ce que, incapable de suivre la cadence, mon estomac demande grâce. Ma seule ennemie était une serveuse philippine nommée Ligaya. Mon premier jour, je l'avais ébouillantée avec un Café Latté. Dès lors, à chaque fois qu'elle s'approchait du comptoir, elle me jetait un regard noir et examinait chacune de ses commandes avec suspicion. Il arrivait parfois que je trouve des pièces ou des numéros de téléphone dans les verres qui me revenaient. Je croyais qu'ils m'arrivaient par erreur. Je tendais l'argent ou les numéros à Aaron mais il m'assurait que la cliente n'avait regardé que moi et qu'ils m'étaient adressés. Je ressentis un fourmillement au niveau du bas-ventre. Voilà ce que cela faisait d'être l'objet du désir de quelqu'un. A la maison enfin, les choses prirent un tour très positif. J'avais tissé avec Marc, des vrais liens d'amitié. C'était notre passion commune du cinéma qui nous avait rapprochés. L'autre intérêt que nous partagions résidait dans notre goût prononcé des instants passés avec Aurélie. Je scrutai les yeux de Marc lorsqu'elle nous rendait visite. Ils brillaient d'un éclat sans équivoque. Elle aussi semblait l'apprécier tant elle acceptait les jeux de mains toujours de mise entre eux. J'avais, je crois moi aussi, l'honneur de lui plaire. Humblement, je m'étais glissé entre eux. L'alchimie entre tous les trois était telle que nous passions toutes nos journées « off » ensemble. Sans nourrir d'autre ambition que celle d'observateur, un après-midi où la maison se trouvait déserte, je fus obligé de reconsidérer ma place dans leur histoire. En sortant de la douche, j'eus l'immense surprise de voir Aurélie et Marketta qui m'attendaient souriantes, à demi allongées sur les draps froissés de mon lit. Je n'ignorais pas que l'amour pouvait se danser à plus de deux mais je n'imaginais pas qu'un jour, on daigne m'inviter. Je m'asseyais entre elles mal à l'aise, dissimulant une érection presque douloureuse sous mon oreiller. Elles se mirent en sous-vêtements puis Marketta m'encouragea à me coucher sur le ventre. Elles sentaient bons. Une odeur délicieuse, mélange sensuel de parfum fruité et de lait pour le corps à la noix de coco, m'enivra. Leurs peaux lisses et luisantes cuisaient mon sang à feu vif. Tout en me tirant vers l'avant, Marketta entreprit de défaire la ceinture de mon peignoir. Je résistai. Je n'en étais pas encore à ce degré de confiance en moi. Elle insista en glissant une main chaude à l'intérieur de mon col. La chaleur de sa main me fit frémir. Elle agita ses doigts et je frissonnai sous l'effet de la sensation glacée provoquée par ses bagues métalliques. Aurélie me susurra de douces paroles et tenta à son tour de m'ôter mon vêtement par les épaules. Je demeurai immobile, mes yeux roulant d'une déesse à l'autre. Elles défirent leurs soutiens gorges et offrirent à mon regard subjugué le spectacle irréel de leurs divins atours. Je plongeai tout entier dans la contemplation d'une constellation de grains de beauté au-dessus du sein droit d'Aurélie. Ah ! L'acné sur mon dos. Ah ! Ce ventre proéminent. Ah ! Ces fesses flasques et plates. Ces maux qui à l'époque faisaient de moi l'égal d'un monstre. Cette danse ne pouvait m'être destinée. Je ne la méritai pas.


Cette occasion manquée marqua le début d'un éloignement quasi définitif entre Aurélie et moi. Nous continuions de nous parler mais les contacts étaient devenus d'une consternante neutralité. Quelques jours plus tard, sa relation avec Marc fut officialisée. Je me trouvai donc dans la situation pénible de les voir se démontrer leur amour à chaque instant. Cette situation me devint intolérable et je décidai d'aller vivre ailleurs. Je m'adressai à Ewep où on me proposa un hébergement qui venait de se libérer chez les Ames, personnes âgées vivant à quelques blocs de la maison. Marc m'appréciait vraiment. Il vécut mal mon départ d'autant plus que j'étais incapable de le justifier. Pauvre Marc. Sa façon simple et légère d'envisager l'existence lui interdisait de voir ce qui se déroulait sous son nez. Heureusement, sa bonté naturelle lui interdisait de me pousser dans mes retranchements. Pour l'apaiser, je lui promis de lui rendre visite souvent. En guise d'adieux, il m'invita à une fête donnée chez une de ses connaissances. Jamais, je n'avais assisté à de telles réjouissances. Il y avait tellement de monde dans la maison qu'à chaque arrivée, on se demandait comment il était possible d'en faire entrer davantage. La musique assourdissante obligeait les protagonistes à hurler dans les oreilles de leurs interlocuteurs. Même le toit de la maison s'était transformé en piste de danse. L'alcool, la drogue et la fumée emplissaient les bouches et les mains des convives. La combustion des années de jeunesse imprégnait les murs d'effluves grasses et acides. Marc et Aurélie restèrent avec moi un moment puis s'éclipsèrent. D'humeur sinistre, je me faufilai dans un coin et fumai sans m'arrêter, en sirotant des Whisky Soda. Une nausée insupportable ne tarda pas à m'envahir. Je ne voulais pas partir.

En quête d'air fais, je marchai dans le jardin mais je n'éprouvai aucun soulagement. Je m'allongeai dans l'herbe mouillée cessant un instant d'intoxiquer mon corps. Le halo orangé produit par les lumières de la ville me privait de la contemplation des étoiles. Mes pensées bondissaient de l'image sublime de la constellation d'Aurélie, aux éclats de rire avec Marc, en passant par le tableau plus terne qui m'attendait chez les Ames. Je perçus un coude qui touchait le mien. Un visage féminin se tourna vers moi. Ses yeux vitreux me transperçaient et donnaient l'impression d'être tourné vers un point situé à des années lumières de mes espérances. Un point, je le devinai, pour toujours hors d'atteinte. Un point marqué du sceau des occasions manquées.




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