L'étrange mort du Baron Noir

aena

Concours "Meurtre mystérieux à Manhattan", Transfuge.

« Alors ça, c’est pas normal ». L’inspecteur Christopher Moltisanti parcourt une nouvelle fois les lignes du rapport qu’il tient sous les yeux.
« - Crache le morceau, Chris » rétorque Johnny Sack, son collègue du CES.
« - Conclusion de l’autopsie : arrêt cardiaque, mort naturelle.
- C’est ridicule, le carnet de santé du baron noir indique que son cœur s’est arrêté de battre en 1770. Il n’a pas pu décéder de mort naturelle puisqu’il était déjà mort !
- Je sais. Mais le légiste n’a rien trouvé d’autre. Ni pieu de bois, ni balle en argent, pas même des traces de brûlure à l’eau bénite ou aux rayons solaires. Si on avait vraiment tué le baron noir –je veux dire, une deuxième fois-, son corps aurait dû tomber en poussière.
- Oui. Mais nous avons bien un corps. Et pas de poussière.
- Ça, c’est pas normal ».


Trois jours plus tôt.


Lorsque Madeleine Jimenez ouvre la porte, le sixième sens de Johnny Sack se met immédiatement en alerte. Il lui suffit de humer l’atmosphère du lieu pour deviner que cette affaire n’est pas comme les autres. Ce n’est pas pour rien qu’il fut l’un des premiers à bosser au CES, lorsque les vampires ont fait leur coming out, vingt ans plus tôt.

« Vous êtes les policiers ? » demande Madeleine Jimenez. Intimidée, elle recule devant le visage creusé comme un vieux canyon de Sack.
« - Oui madame. Inspecteurs Sack et Moltisanti, de la brigade des Crimes Etranges et Surnaturels ».

Les deux enquêteurs emboîtent le pas à la femme de ménage. Celle-ci marche sur la pointe des pieds, note Johnny Sack, comme si elle craignait encore de réveiller son patron. « C’est ici » dit-elle, s’arrêtant sur le pas de la porte de la chambre.

Du sol au plafond, les murs sont tapissés de livres anciens aux couvertures mordorées. Une baie vitrée offre une vue plongeante sur Central Park. Le lieu a quelque chose de glaçant. Comme s’il était surchargé d’âmes errantes, songe Johnny Sack, sans bien savoir ce qui lui inspire une telle réflexion.

« D’habitude, le baron ferme toujours les rideaux pendant la journée », murmure Madeleine. « J’ai vraiment compris que quelque chose clochait quand j’ai vu que le cercueil était ouvert ».

Elle recule tandis que les inspecteurs se penchent au-dessus de l’objet : le baron noir est allongé là, les bras le long du corps, comme assoupi. Les rayons du soleil caressent son visage. Sack et Moltisanti échangent un regard étonné.

« - Ils ne sont pas censés se désintégrer au soleil ? » demande Madeleine Jimenez.
« - En effet.
- Mais alors… Est-ce qu’il est mort ? » Les vampires sont déjà morts, songe Johnny, mais il ne dit rien : la pauvre femme est bouleversée. Il déboutonne la veste du baron, tâte son torse froid à la recherche d’une blessure par balle ou par pieu. Rien. Mais il remarque quelque chose entre les doigts du vampire : un minuscule poisson humide et argenté.
« - Votre patron a-t-il un aquarium ? »
La femme de ménage hausse les épaules, sans bien comprendre. Au moment où il se redresse, Sack aperçoit quelque chose au fond de la pièce. Deux yeux félins le dévisagent près de la bibliothèque. Ceux d’une enfant. Mais à peine a-t-il cligné les paupières qu’elle a disparue.

*   *   *

« Où va-t-on, Johnny ?
- A Chinatown. D’après le légiste, le poisson qu’on a trouvé près du corps est une espèce très rare. On ne la trouve que dans une région reculée du Yunnan, en Chine ».

Pendant tout l’après-midi, les deux inspecteurs explorent les échoppes entre Canal Street et Worth Street, à la recherche d’une source susceptible des les renseigner. En vain.

Au moment où, à la tombée de la nuit, ils s’apprêtent à jeter l’éponge, Johnny tombe né à né avec une enfant. Douze ou treize ans, de longs cheveux noirs. Des yeux félins dans lesquels on se perdrait. La fillette qu’il a aperçue dans la chambre du baron noir.

« Je suis Adriana Capriciosa », dit-elle.

Adriana Capriciosa, murmure Sack. La plus ancienne des vampires, née il a plus de vingt siècles. La mère d’entre tous. L’inspecteur était persuadé qu’elle n’était qu’une légende. Et sûrement pas qu’elle avait le corps d’une enfant ! Pourtant, il émane d’elle une aura troublante, mélange d’assurance, de sagesse et de colère.

« Quelqu’un a assassiné l’un des miens », dit-elle.
« - Le baron noir. Vous étiez là, n’est-ce pas ? Vous savez qui est le tueur.
- Oui. Il est originaire de Chine. Il détient un grand pouvoir, inimaginable. Mais je ne peux vous révéler son identité qu’à une condition. Celle que vous acceptiez de devenir un vampire ».

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