Lettre à Fernand
charlie
Elle, elle n’est rien. Un petit mètre soixante dix bien tassés, quelques rides disgracieuses, un bras tremblotant et une attitude générale qui confond la tourmente à une forme légère mais très probablement avancée de démence.
Il y a quelques années déjà, sa jeunesse s’est fait la malle et les outrages du temps, à l’instar de l’écorce pour les arbres, laissent eux aussi leurs traces comme les vestiges d’une vie remplie d’épreuves et de rires facétieux.
Elle est maigre. Tout chez elle est maigre. Difficile de savoir si cette femme a des formes, si elles ont disparues aspirées par une gravité fatale aux épidermes les moins fermes ou si elle est juste aussi femme que ma tante est homme aussitôt que l’on scrute en dessous de sa ceinture…
Je ne regardais pas cette femme. Et pourtant, à la première secousse douteuse, je ne pouvais plus détacher mon regard de ses yeux que je devinais perplexes, de ses bras tellement à l’épreuve et de son débardeur qui laissait transparaitre un corps quasi-squelettique. Dans un mot comme en cent, dans un film de Romero, elle aurait fait peur aux zombies.
A la voir, je prends des airs de suceuse anxieuse, quelque chose me turlutte pine… La route est droite mais la chaussée ressemble à cette femme : déglinguée de toutes parts, elle met à l’épreuve l’âme à trop soumettre les os… Cette femme est mon chauffeur. Ma volonté de donner un maximum d’exactitude à mes propos devrait m’obliger à préciser qu’elle est notre chauffeur. Dans ce bus, chargé de la délicate mission de service public destinée à lutter contre le dépérissement à petit feu des campagnes françaises, je suis là, à l’avant. A contempler cette femme clairement peu sure d’elle-même, à contempler cette femme être chargée de ma survie immédiate sur les routes tantôt sinueuses, tantôt tortueuses et rarement agréables de la charmante brousse icaunaise que je redécouvre après une longue absence.
Une forme de sevrage m’avait conduit à m’abstenir de trainer ma couenne dans les parages. Les événements du week-end m’imposent un retour aux sources…
A cet instant, tout respire une irrationalité qui ferait douter de l’heure devant une montre, du nord face à une boussole et de son hétérosexualité devant un cul rebondi et ferme à la fois. Nous sommes un lundi et je traine sous un soleil de plomb habillé d’un pantalon de costume noir, d’une veste qui lui est assortie, d’une chemise qui ne dépareille pas de l’ensemble et d’une cravate de la même couleur.
Je sue et je m’accroche au siège comme un cancéreux motivé s’accroche à son dernier cheveu. La route est droite et nous zigzaguons comme dans un champ d’incertitudes. Les vibrations du bitume contraignent les bras amaigris de mon épée de Damoclès qui me sert de pilote à une imprécision coupable qui nous fait frôler les bornes kilométriques et les fossés fleuris.
Ces bras, bordel ! Ces bras ! En temps normal, ils ne soulèveraient pas la fourchette d’une anorexique en crise et là, ils se font le guide de près de 15 tonnes de taule pas encore froissée mais qui prennent néanmoins des allures de tombeau…
Un virage pointe au loin. Je n’ose pas regarder. Au mieux, je suis vivant à la sortie ; au pire, ma vie s’arrête au kilomètre 23 entre Montbard et Avallon et j’aurais eu le courage de ne pas voir ma mort en face.
Il m’est alors venu une réflexion stupide et drôle à la fois. Stupide parce que la plupart des choses qui sortent de ma tête sont généralement de cet acabit et drôle parce que la plupart des choses stupides, même si les biens pensants s’en défendent, sont souvent drôles. Je me disais alors qu’il était décidemment bien difficile d’arriver vivant à un enterrement et cela, même quand ce n’est pas sur notre gueule qu’on referme le couvercle et qu’on appose le point final de notre story personnelle.
Je ne prie pas. Je n’y crois pas et quand bien même je ferais semblant d’y croire, je ne saurais pas par où commencer ignorant si des formules introductives de politesse sont nécessaires ou si il faut au préalable faire une promesse de don à la SARL coiffée d’une croix la plus proche de mon domicile. Néanmoins, je me surprenais à entretenir une discussion avec quelqu’un d’autre que l’autre moi, désormais habitué à nos conversations illuminées proches du monologue psychotique…
« S’il vous plait… Quelle que soit votre fonction dans ce monde, quel que soit votre nom et quel que soit le culte dont vous vous faites le patron et le VRP à temps complet, faites que cette femme garde encore assez de force dans ses bras et que j’arrive en vie… ».
Au fond, ça ressemble à une prière. Mais prenez ceci comme le moment de faiblesse d’un homme conscient des bonnes manières et qui sait qu’il est plutôt mal vu d’arriver mort à un enterrement… Ce genre de plan, ça fait un peu le mec qui vole la vedette… On a connu plus discret et plus approprié.
Il était donc midi passé quand je retrouvais mon père en une seule et même pièce. Je me suis levé tôt et ce ventre qui gargouille, cette faim qui tiraille mon estomac me rappelle combien c’est pénible de vivre dans un corps comme le notre. La prochaine fois que je suis sur la ligne directe du tout-puissant, je lui tiendrai deux mots à propos de notre conception et des plans de bases qu’il a utilisé pour ce qui est soi-disant, sa plus grande réussite. On est à peu près aussi bien foutus qu’une maison sans fenêtre et on se pavane à se courber le dos devant tant de lumière et de bonté… Toujours est-il que je suis vivant.
Sur les dernières portions de route, je croise de vieux souvenirs, des moments d’idioties entre amis, des exploits sportifs à la hauteur de nos moyens, des sourires, un brin de nostalgie, un passé qui ressurgit et un présent qui ne sait plus très bien quoi penser de l’avenir.
Sans le savoir, cet hommage que je m’apprêtais à te rendre, à toi mon grand père de substitution, à toi que j’appelais affectueusement papy pour combler le départ prématuré de celui que je tiens de mon père et l’absence involontaire de celui qui a permis à ma mère de voir le jour ; cet hommage me confrontait à de drôles de fantômes.
De retour dans cette rue qui, jadis, me semblait si grande, j’ai été surpris de voir mon père m’arrêter du bras pour le laisser souffler alors qu’à peine une dizaine de pas m’avait suffit à traverser le boulevard de mon enfance. J’ai grandi et c’est maintenant que je vois les choses en grand que certaines d’entre elles reprennent leur véritable dimension. Je suis à l’étroit dans ce village. Le village de mon enfance n’abrite plus rien de moi, si ce n’est quelques souvenirs superflus à ma future destinée et quelques blessures que je m’efforce encore à panser comme il se doit.
C’est lors de la cérémonie en ton honneur que j’ai compris tout ça. Dans cet exercice de mémoire où il ne fait pas bon d’avoir Alzheimer, dans ces discours d’amour éternel, dans ces mots qui redéfinissent une vie, refont les liens et bâtissent les familles, la valse des mouchoirs résonnait dans l’église St-Pierre comme les trompettes de Verdi dans la grande marche d’Aïda. Je me demandais combien pleuraient de ne pas supporter ton départ et combien le faisaient parce qu’ils se rendaient soudainement compte de l’issue de chaque vie et de la destinée commune que nous partageons tous.
Devant ton cercueil papy, je me suis étonné de la foule que tu avais déplacée pour ta dernière réception, pour ton ultime sauterie. J’en étais fier pour toi car même si l’on enlève les quelques hypocrites qui ne manquent jamais de noircir le tableau en pareille circonstance, te connaissant toi, je ne doutais pas que la grande majorité de ceux qui étaient à mes côtés pour te saluer une dernière fois le faisait du plus profond de leur cœur.
J’étais fier de voir que depuis notre dernière rencontre - et tu sais qu’elle remonte à quelques paires d’années, le temps n’avait pas fait de toi quelqu’un d’autre. Cette fidélité, c’est ce qui m’a frappé. Tout avait changé autour de moi. Ma ville avait changé, mon père prenait un coup de vieux, ma mère était au bras d’un autre homme et toi, tu étais toujours aussi grand. Fidèle au poste, fidèle à toi-même.
Fernand, je ne venais pas pour autre chose que te saluer. Je ne m’attendais pas à recevoir en héritage ton ultime leçon de vie. Je n’espérais pas que ce retour vers le passé m’encourage et me guide à ce point dans le futur.
Je suis rentré chez moi. Dans ce lieu où je suis un adulte. Là où j’entretiens encore les haines d’hier, là où je jouis du présent et là où je pose les bases de demain. En repensant à toi grand-père, il me vient soudain le désir de te ressembler et d’offrir aux autres cette fidélité que tu as offert à chacun d’entre nous. J’ai perdu mon troisième grand-père. Le dernier. Une page peut être tournée.
Quelle écriture ! Très beau. Vraiment.
· Il y a plus de 14 ans ·bibine-poivron
bravo pour ce texte pleins d'humour caustique m^mé de tendresse et d'émotion. Personnellement, j'adore la description du trajet qui est savoureuse. On s'y croirait et on a envie que çà constinue dans le même registre.
· Il y a plus de 14 ans ·Super !
Agathe
agathe