Lettre à Grand-mère - 1

gb2r

Bonjour ma grand-mère,


Il y a fort longtemps que je ne t'ai écris. Je ne t'ai jamais écrit de lettre je pense. Toujours des cartes postales. Je ne t'ai jamais tout dit non plus.

Par peur de ce que cela pouvait impliquer.
Par timidité aussi, sans doute. La pudeur.

Aujourd'hui je t'écris et je t'écrirais à chaque fois que j'en ressentirais le besoin. Pour pallier ton absence qui me fait toujours verser quelques larmes, encore un an après.
Pour garder ce lien qui m'est si cher.

C'est difficile de dire à quel point tu me manques. Je sais que tu aurais voulu que je sourie plutôt que de pleurer. Alors quand les larmes me viennent, j'essaie de sourire. De me rappeler ton sourire. De prendre exemple sur toi, qui souriait si souvent.

Cela doit être une drôle de scène à voir d'extérieur, une femme qui pleure et sourit en même temps.

« Rien n'est plus grand et si beau que la joie,

Rien sans elle ne se fait ici bas » - voilà comment débute la citation que nous avons retrouvé dans ton agenda de 1945.
En sortie de guerre. Celle que j'ai lu à ton enterrement.

Cela provient d'un texte religieux à n'en pas douter, même si nous n'avons pas réussi à en retrouver l'origine exacte.

J'ai toujours admiré la foi que tu avais, inébranlable face aux épreuves de ta vie. Cette sérénité que tu semblais avoir grâce a elle. Croire toujours et encore en la bonté d'un Dieu quand sa vie est dans la tourmente.

Je me suis faite débaptisé depuis ton décès. Cela fait quelques années que je voulais le faire. J'ai attendu, là encore par pudeur, par crainte de te décevoir. Toi qui arrivait à croire si fort.

Je n'ai jamais vécu cette religion comme tu semblais la vivre.

Les enseignements que j'ai reçu de cette croyance semblaient beaux, nobles. Et puis il y a eu la réalité du terrain, qui fut tout autre dans cette ville de Versailles si prompte à se vanter de ses croyances et si peu véridiques dans leurs implications réelles.

Je n'ai pas eu la même expérience que toi, et surement beaucoup d'autres, de cette religion. Amour, tolérance, bienveillance, tout cela ne semblait pas s'appliquer aux situations réelles.

J'ai vécu du dégoût, des dénigrements, de l'exclusion, sous couvert d'une religion censée dicter des règles que je n'ai jamais vues écrites. Et au délà, voir les affaires pédophiles d'un trop grand nombre, voir les exactions perdurées, les victimes silenciées, l'immobilisme hiérarchique, a eu raison du peu de croyance qu'il me restait encore.

J'espère que tu le vois, d'où tu es. Ici, là-bas, en-haut. Peut importe au final les raisons que j'exprime ici, si tu arrives à voir maintenant, au plus profond des gens, leur vérité, leur sincérité. Je sais que tu pardonnes.

C'est une des choses que j'aime le plus en toi, une des choses qui me fait monter les larmes encore aujourd'hui, quand j'y pense. Ta tolérance et ton amour de l'autre. Que je vienne les cheveux roses, les bras tatoués, que j'aille défiler pour mes amis gays, jamais, je ne t'ai vu émettre le moindre jugement. Soucieuse de ne blesser personne, de ne donner que de l'amour.

Accepter l'autre tel qu'il est. L'aimer inconditionnellement.

Cet amour me manque, et je m'y accroche si fort.

J'aurais aimé changer de couleur de cheveux, peut-être, depuis un an, mais je m'y accroche, terriblement, en t'entendant toujours dire « le rose, c'est ma Gaëlle » comment changer de couleur dans ces conditions ?

C'est futile je le sais, mais le rose c'est moi et c'est toi qui m'aime avec ce rose. J'ai l'impression qu'en laissant tomber cette couleur, je te perdrais encore un peu plus. Je ne le peux pas.

J'ai envie de garder chaque petite partie de toi. Jusqu'au bout de mes cheveux.

Si j'avais su, ce dernier jour, qu'il serait le dernier.

J'aurais prolongé ma visite, j'aurais tenu ta main plus longtemps, j'aurais remis une deuxième couche de vernis, j'aurais refais un scrabble. Je t'aurais peut-être enfin dit « je t'aime » en te serrant dans mes bras.

J'espère que tu as aimé cette journée autant que moi.

Depuis je garde comme des trésors les quelques objets que j'ai récupéré.

Doux souvenirs qui te rappellent à moi. Une serviette, un meuble, un mouchoir. Chaque petite chose m'est précieuse.

Samedi nous allons vider ta maison.

Y remettre les pieds pour la dernière fois, lui dire au revoir.

Le déchirement d'abandonner ce lieu de vie si cher à nos cœurs.

Pouvoir s'y réfugier une journée, loin de tout. Mon téléphone mis de côté, juste profiter l'une de l'autre, déjeuner et jouer au scrabble. Intensément.

Une parenthèse de vie toujours bienveillante ! Elle me manque cette parenthèse.

Tu me manques.

Je t'aime.

  • superbe leçon de vie qu'est le non-jugement.
    je suis touchée par votre lettre.
    ma grand mère aimée s'appelait Rose . . .

    · Il y a presque 6 ans ·
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    li-belle-lule

    • Merci beaucoup pour votre commentaire. Une très belle leçon de vie oui. J'espère que Rose et vous avez pu profiter de beaux moments !!

      · Il y a presque 6 ans ·
      Gb2r

      gb2r

    • oui elle a illuminé mon enfance ; j'ai eu la chance de l'avoir jusqu'à 40 ans

      · Il y a presque 6 ans ·
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      li-belle-lule

    • et bien ma chance à duré 31 ans, mais quel bonheur !
      Tant de beaux moments chers à nos coeurs !

      · Il y a presque 6 ans ·
      Gb2r

      gb2r

  • Une lettre terriblement émouvante ! Quel amour !!

    · Il y a presque 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci beaucoup pour votre commentaire. Un bel amour oui, qui perdurera pour toujours !

      · Il y a presque 6 ans ·
      Gb2r

      gb2r

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