Lettre à Toi
gatho
Cher Toi,
Je me rappelle parfaitement cette soirée du 3 mai 2010 dans un bar chic pour célibataires soucieux de leur image. Toi tu portais un jean, des baskets et ça m’a plu.
Nous avons parlé cinéma, voyages, sauce béchamel et plomberie. Enfin surtout toi. Moi je me contentais de figurer dans le cercle de tes admiratrices.
Décontenancé par notre attirance, c’est tout juste si tu arrivais à m’adresser la parole. A la fin de la soirée, tu n’as même pas osé me donner ton numéro de téléphone. Tu l’as échangé avec celui d’une autre fille qui ne t’intéressait pas. Celle qui avait une grosse bouche toute rouge et qui a trouvé génial de se mettre une fleur bleue sur l’oreille pour attirer l’attention. Tu te souviens ?
Le destin ayant parfois besoin d’un petit coup de pouce, dès le lendemain, je me suis attelée à trouver tes coordonnées.
D’ailleurs si un jour tu en as l’utilité, je te transmettrai volontiers le nom de ce détective privé très compétent.
Et puis je t’ai appelé, rappelé encore et encore… Soit dit en passant ton message de répondeur est à mourir de rire ! « Bonjour vous êtes bien sur le répondeur de Martin, laissez-moi un message et je vous rappellerai ». C’est tellement toi cet humour second degré !
En attendant que tu surmontes ton émoi et que tu te décides enfin à me contacter, je me prenais à imaginer que tu étais mon cochon en peluche et te mordillais sans cesse le bout du groin. J’ai cuisiné des dizaines et des dizaines de petits gâteaux en forme de cœur. Comme je ne voulais pas les manger, je les ai accrochés aux murs de mon appartement pour le décorer à l’image de mes pensées.
Lasse de patienter chez moi le téléphone toujours à portée de main, j’ai décidé de retourner dans le bar où nous nous sommes rencontrés. Tous les soirs. Jamais je ne t’y ai aperçu. Ardemment sollicitée par un pseudo sosie de Clark Gable et m’ennuyant à mourir, je me suis laissé convaincre. Un soir. Bien mal m’en a pris car le Clark Gable en question s’est avéré porter une perruque confite au Pento et fumer des barreaux de chaise dès le réveil.
Et puis notre petit jeu amoureux a comme qui dirait dérapé.
C’était si agréable de m’immiscer dans tes draps t’imaginant à mes côtés. Ton appartement est vraiment superbement décoré. Il était encore tôt dans l’après-midi pour que je me permette feuilleter tes albums photos avant de repasser une ou deux chemises.
Quand tu es rentré à la maison, j’avais presque terminé un succulent dîner pour briser la glace une bonne fois pour toute entre nous. La tête que tu as faite en me voyant !
Mais cette vision idyllique a rapidement laissé place à l’effroi. Juste derrière toi, la « grosse bouche rouge » qui n’avait plus de fleur bleue dans les cheveux était là. Mon sang n’a fait qu’un tour. Bang ! Pile poil entre les deux yeux. Elle n’a pas eu le temps de s’en prendre à toi, à nous.
Le soulagement s'est transformé en incompréhension lorsque je m’apprêtais à servir le repas et que les flics sont arrivés. J’étais très en colère quand ils m’ont embarquée. Non seulement tu n’as pas moufté une demi seconde mais en plus tu avais l’air délivré !
Aujourd’hui c’est de ma cellule que je t’écris ces mots : tu es allé trop loin.
Ton incapacité à accepter notre attirance et à essayer le bonheur à deux me désole.
Je t’embrasse les yeux pleins de larmes et la dignité amoindrie.
Moi.