Leur utopie, notre agonie

Möly Mö

Pensée pour Steve dont on a probablement retrouvé le corps dans la Loire; pensée pour ses proches. Ce qui s'est passé est scandaleux. Justice doit être faite. On ne doit plus se laisser faire.

            Le sable sous mes pieds étaient presque trop chaud, mais putain que c'était bon de sentir ça. Le ciel était dégagé, pas un nuage et l'horizon s'étendait au loin, au bout de cet océan. Le bord de mer, il fallait pas beaucoup plus pour me faire plaisir. Mon premier réflexe fut de m'agenouiller au milieu de ces grains de sable, et de les caresser avec ma main. La chaleur était tellement écrasante que j'enlevai mon tee-shirt. J'avais qu'une envie c'était courir et plonger dans l'eau. Ce que je fis. La sensation de fraîcheur sur ma peau, le goût salé sur mes lèvres. Je prenais mon pied, on pouvait pas faire mieux. Je plongeai une nouvelle fois, nageant sous l'eau, frôlant le sol, je ramassai un caillou et puis je sortis ma tête hors de l'eau.

-          ….Haa…Putain….

Le choc de la réalité. Bien plus violent que de rentrer dans la mer quand elle fait 20 degrés. Bordel, cette dope était bonne, cette fois Genko avait atteint le sommet de la qualité. J'étais pas loin d'y croire et d'avoir envie de rester coincé dans ce tripe. Fais chier…pourquoi les meilleures choses étaient toujours les plus courtes. Je mis vingt bonnes minutes à comater, à laisser mes paupières se fermer et se rouvrir. Puis j'eus la force de m'extraire de mon pieu et de traîner les pieds jusqu'à l'évier. L'eau qui coula du robinet me fit bien moins bander que celle dans laquelle je venais de plonger. Je me caressai le bras comme pour essayer de retrouver une fois encore cette sensation mais il fallait se résoudre à l'évidence. Cette drogue était une des meilleures que j'avais pu prendre par contre l'effet était bien trop court. J'en toucherais deux mots à Genko. Après avoir bu mon verre d'eau d'une traite, je jetai un œil à l'horloge incrustée dans le mur de mon logement.

-          Fais chier…pestai-je

Cette horloge de merde affichait 23 heures. Trop tard pour prendre l'air, j'étais coincé dans mon cagibi jusqu'à demain matin. J'attrapai mon smartphone, qui n'avait plus rien de smart hormis le fait de fliquer tous mes messages et j'envoyai un message à Genko. « Merci », il comprendrait, pas besoin d'en dire plus. Vu l'heure, j'avais plus qu'à aller me coucher. Sinon, pas le choix de devoir allumer cette putain de télé et me taper leurs émissions à chier, à pleine balle dans mes tympans. La vérité c'était que j'étais pas du tout crevé puisque ce pic d'adrénaline et d'émotions m'avait complètement excité les nerfs. Ce qui me faisait envie là, c'était de cogner dans un sac de boxe, comme avant. J'en avais un dans mon appartement, ça datait pas tant que ça en vrai. Mais depuis, le temps passait tellement lentement. C'était peut-être ça la pire des morts : c'était prendre perpet' dans la vraie vie, sauf que la vraie vie s'était transformée en enfer. Ça faisait rêver hein ? On attendait juste de crever, quand c'était pas elleux qui s'en chargeaient. Se charger de sa propre mort, se tirer une balle, ou se foutre par-dessus le balcon, c'était quasiment impossible. Certain.e.s y arrivaient mais c'était rare. Ce qui marchait le mieux, à la limite, c'était l'overdose ou le coma éthylique si t'avais du bol et que tu connaissais des types dans la contrebande et le marché noir. Mais en général, c‘était déjà des potes de ton ancienne vie ou de la famille. Sinon, t'étais bon.ne à attendre ta mort en filant droit pour pas te prendre de décharges électriques, de coups de matraques ou de te faire exécuter pour avoir trop ouvert ta gueule.

Bienvenue dans ton nouveau pays, citoyens, citoyennes. Toi aussi tu fais partie de la grande majorité de la population qui a juste envie de crever ? C'est normal, qui a encore envie de vivre ici? C'est pas vivre, c'est survivre. Survivre pour quoi ? Pour que dalle. Tu crèveras la bouche ouverte, tu crèveras la dalle mais sache que ça, là-haut, iels s'en carrent complet. T'es rien qu'un pauvre ou qu'une pauvre type à deux balles. T'es même pas une personne qu'iels prendraient la peine de regarder. D'ailleurs t'avises même pas de lever un regard vers ces enfoiré.e.s, suffit qu'iels soient pas dans un bon jour et iels te foutront en "camp de redressement".

Lève-toi tous les matins et contente toi d'aller bosser comme un.e forcené.e. Et t'as intérêt d'être à l'heure au boulot mais sois aussi bien à l'heure pour rentrer chez toi. Et manque pas le couvre-feu, sinon c'est sur toi qu'iels feront feu. Combien de jeunes au début se sont fait buter à cause de ça ? C'est qu'il aura fallu imposer un régime strict et faire régner la loi comme bon leur semble pour que l'ordre règne et que personne ne moufte. Iels ont dégommé une bonne partie du peuple: enfants, vieux, femmes, hommes, blancs, noirs : pour une fois y'avait pas de discriminations. Tu les faisais chier, tu voulais pas filer droit et ben on te faisait fermer ta gueule et c'était pleinement assumé.

Plus le droit de mettre un pied en dehors du pays, plus le droit de sortir. Tous les bars, les cinés, les librairies, bibliothèques, les salles de concert ; tout ça, ça a été fermé. Si tu veux boire un verre c'est avec tes collègues et ton boss ou ta boss. Après le boulot, une heure de détente, un verre et tu te casses chez toi. 23 heures, rideau. Et c'est soit tu dors, soit tu te fais laver le cerveau en matant leurs merdes à la télé. Encore un truc qu'iels avaient réussi à fliquer. Trois chaînes, un programme le matin, le soir et le week-end. Point barre.

Haha et le « week-end »…c'était seuleent le dimanche. Un jour. C'était largement suffisant, faut pas déconner. Et les enflures qui tenaient les ficelles ben c'était les personnes qu'y'a cinq ans, les tenaient déjà plus ou moins. Iels s'étaient juste un peu énervé.e.s à un moment, c'était trop le bordel. Fallait calmer la populasse et qu'on les laisse faire leur biz. Et le peuple commençait à leur casser les bonbons. Alors du jour au lendemain, on a imposé des lois, des décrets et puis l'enfoiré au pouvoir…est resté au pouvoir. Et personne n'avait jamais voté pour ça. Il s'est auto-proclamé chef du village, grand vizir et les personnes à qui ça plaisait pas ont eu deux jours pour fuir le pays. Sauf que la vérité c'est que dans celleux qui ont tenté de fuir, la plupart se sont fait.e.s prendre et buter. Les autres ont fui, sans rien, et ont immigré vers les pays alentours parfois en laissant la famille derrière elleux. Parfois sans rien, vraiment rien et dieu sait comment iels ont fini et où.

Je croyais pas en Dieu mais je devais avouer que ces dernières années, ça me semblait plus être la pire des croyances. Ça faisait du bien des fois d'imaginer une entité qui pouvait faire changer les choses, alors j'ai décidé de lui laisser une chance. Ça marchait pas des masses mais je voulais plus abandonner. Sinon ça voulait dire me laisser crever.

J'avais décidé d'allumer la télé. Depuis un an, j'avais élaboré une technique me permettant de ne pas écouter réellement les conneries que ça déblatérait. Quand j'y pensais, c'était plus ou moins une technique que je maîtrisais déjà avant. Quand j'avais pas envie d'écouter les conneries de certaines personnes. De toute façon à 00h30, c'était coupé. Je restai dans mon lit, à réfléchir et à repenser à ce souvenir bien kiffant que je venais de revivre. Il fallait que j'en rachète à Genko de celle-là, un petit shoot tous les dimanches pour me faire kiffer. D'après Genko, ça restait pas dans le sang plus d'une nuit sauf si t'en prenais trois d'affilée ; et donc ce serait pas détecté aux contrôles. Iels en faisaient un par mois puis un par semaine si tu étais suspecté.e. J'y avais toujours échappé, gros coup de bol. J'avais arrêté les cuites parce que c'était trop facile à détecter. La drogue c'était moins voyant. Genko était un pote de lycée et on avait arrêté de traîner ensemble un peu après, quand la fac ça avait merdé ; moi j'étais parti bosser dans une autre ville et lui avait bougé en Angleterre.

Quand ça a commencé à partir en couille, on s'est retrouvé par hasard, à bosser pour la même boîte. Iels recrutaient tout le monde, te foutaient n'importe où, au hasard et t'avais intérêt à assurer et te bouger le cul. Genko est vite redevenu le bon pote que je connaissais et ça faisait du bien. On discutait souvent de ce merdier et on était bien d'accord, qu'un de ces quatre, on irait poser une bombe dans un de leurs hôtels particuliers ou directement à leur siège. C'était pas comme si on avait pas le matos sous la main là où on bossait. Fallait juste pas se faire choper. « Juste ».

Ce qui était fou et on avait jamais su pourquoi, c'était qu'aucun des pays voisins ou même lointains d'ailleurs ; n'avaient fait quoi que ce soit pour empêcher et arrêter cette dictature sanglante. Elle s'était tranquillement installée, puis refermée sur elle-même et plus personne ne pouvait maintenant y pénétrer ni en sortir.

Pourtant moi j'y croyais encore à pouvoir en sortir et je parlais pas d'un tripe grâce à la dope. Nan, vraiment se barrer de ce gros délire qui me faisait encore halluciner même des années après ; et me foutait les jetons à l'idée que ma vie était en jeu chaque putain de jour que dieu faisait. Et sur ce coup-là, je le détestais de continuer à les faire avancer. Avec Genko, on y pensait, on en parlait ; on s'imaginait. Mais on était pas de simples rêveurs ou des désabusés ou des cons qui préféraient abdiquer, nan. Nan, on savait qu'on le ferait un jour notre gros coup. Et si cinq années devaient encore filer, on s'en balançait, on prendrait notre temps. Parce qu'on ferait bien les choses et qu'on finirait par les saigner un par un et une par une ces enflures de merde. On les exécuterait face au peuple qui jubilerait, on en ferait un beau spectacle pour leurs shows à la télé, on la jouerait à l'ancienne en ressortant de bonnes vieilles lames bien aiguisées qui viendraient faire danser leur tête sur le bitume. J'avais plus rien à perdre, j'avais plus peur ; j'étais juste assoiffé de vengeance.

Et ouais comme dans toutes bonnes histoires glauques, j'étais le type qui avait vu son frère et sa mère se faire dézinguer le bide et le crâne, à coups de balles tirées au hasard au milieu d'une émeute. Cette scène, je pourrais jamais l'oublier. J'étais pas le seul à avoir vécu ça. Genko avait perdu sa meuf. Mon père était devenu fou, il était incapable de travailler et iels l'avaient envoyé dans un camp ou peut-être qu'iels n'avaient même pas pris la peine de construire ces camps inhumains, on foutait les inaptes devant une fosse et on les flinguait. A la pensée de cette image, une rage puissante et violente m'envahit.

Et elle cognerait un jour. Très fort. Ces petites merdes, ces fils et filles de rien ; allaient le payer. Au même titre que leur manière de faire, il n'était plus question de pauvres manifs ridicules et inutiles. Il était question de répondre à leurs attaques avec les mêmes armes, il était question d'être violent. Et meurtrier.

  • Dans un autre registre, il faut bien des policiers pour protéger les innocents, les gens qui ne peuvent même pas rentrer chez eux sans montrer patte blanche aux délinquants. Pour cela, l'état ne fait pas grand chose, rien en fait !!
    Il y a tellement de violences dans les manifs ces derniers temps, que la police est à bout et peut déraper facilement. Et puis, dès qu'il y a une intervention, elle n'est plus respectée et est elle-même agressée ! N'oublions pas toutes ces enseignes saccagées, des gens qui perdent leur travail ! Et puis ces médias qui montent tout "en épingle "...ça n'aide pas !! C'est fatalement l'engrenage !
    Et évidemment, c'est terrible pour ce jeune et sa famille !!

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Louve blanche

    Louve

  • Dans un autre registre, il faut bien des policiers pour protéger les innocents, les gens qui ne peuvent même pas rentrer chez eux sans montrer patte blanche aux délinquants. Pour cela, l'état ne fait pas grand chose, rien en fait !!
    Il y a tellement de violences dans les manifs ces derniers temps, que la police est à bout et peut déraper facilement. Et puis, dès qu'il y a une intervention, elle n'est plus respectée et est elle-même agressée ! N'oublions pas toutes ces enseignes saccagées, des gens qui perdent leur travail ! Et puis ces médias qui montent tout "en épingle "...ça n'aide pas !! C'est fatalement l'engrenage !
    Et évidemment, c'est terrible pour ce jeune et sa famille !!

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Louve blanche

    Louve

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