L'exode

Angata

Premier épisode
C'est une boule de feu, aux multiples nuances orangées qui cherche à disparaître derrière la cime des Géants verts, dont les feuillages murmurent à qui veut bien entendre ou s'émouvoir, les légendes d'un autre monde.
Plus l'ombre d'un nuage à l'apparition des constellations qui égrainent l'obscurité dans un tournoiement presque imperceptible. Inutile de savoir si le cycle commence au jour à la nuit, car une nouvelle effervescence de vie aussi majestueuse que discrète, s'empare déjà de la foret.
Le chant des criquets, les pas feutrés du renard, l'appel des chouettes et des hiboux, l'aboiement plaintif du chevreuil, le craquement du bois mort...Elles sont nombreuses ces sonorités arithmétiques, résonnant dans la caresse de la pénombre sans que le regard ne puisse les nommer.
L'humidité s'élève du sol et rejoint celle en apesanteur, telle la brise salvatrice d'une long jour d'été. Les proies sortent de leurs cachettes en espérant se mouvoir. Un élan que chaque être vivant partage avec ses prédations. La peur vient après bien qu'elle soit instinctive. La survie prend la forme d'un repas, mérité par la traque ou l'effort.
C'est dans ce climat qui oscille paisiblement entre ce qui peut être entendu sans être vu que la quête de sens s'élabore. Dont l'anonymat est rompu par le chocs des corps.
Des pupilles se mettent à scintiller quand la Lune fait tardivement son entrée dans la projection astrale. Une nouvelle clarté se propage à travers les feuilles, sa rondeur parfaite se dessine dans un océan sans profondeur.
Il règne une agitation toute particulière, la Lune accueillie par des tensions invisibles, des cris subitement féroces, par l'animalité qui prend un nouvel éveil.

***

Il vient apposer l'index sur ces lèvres à Elle, scellant le pacte du silence. Ensemble ils se frayent un chemin prit en embuscade par de nombreux troncs et bosquets. Seul leurs ombres les distinguent. A leur passage, d'autres pas se retiennent, car quand l'ouïe est trompée, l'odorat est une alliée.
Elle a entendu et s'arrête à son tour, murmurant tout bas à l'oreille de son compagnon de cavale:
«Tu as entendu? Il y a quelque chose près de nous...»
«Ludmila tu pensais vraiment qu'on serait les seuls à se terrer dans cette foret?»
«Non mais...je repense à toutes ces histoires quand j'étais gamine.»
«Le grand méchant loup a depuis longtemps été neutralisé, tu sais.»
« Arrête de te moquer! Continuons.»


Chapitre I


C'est l'histoire d'une désertion engendrée par la rupture.

Nous n'étions pas les seuls à penser que l'amertume au creux de nos bouches avides n'était pas du à la présence quasi automatique des exhausteurs de goût, dont l'industrie alimentaire se targuait pour palier à la dégénérescence de notre agriculture. Ils auraient pu être un parfait simulacre si le vide qui entourait nos existences ne nous n'avait pas rendu aussi nauséeux.
Le Système avait eu plusieurs millénaire pour se roder à chaque défaillance ou autant le dire plus clairement: soulèvement. Il recréait un algorithme, chaque faille étant analysée et acceptée pour ne plus être une menace, mais au contraire un exemple d'intégrité de la causions démocratique. Pour ceux et celles qui n'acceptaient pas de participer à ce schéma binaire, c'était la révolte puis la répression avant de finir dans l'oubli de tous. Un cycle de résistance qui avait du mal à se maintenir car les vaincus non jamais voix au chapitre et qu'il est plus aisé de se soumettre aux rêves des autres que de donner  corps à ceux qui nous appartiennent.
Ludmila et Max venait de la Ville, intégrés tout comme leurs parents à une avenir productif au service de la Nation. Plusieurs fois ils s'étaient aperçus dans la file d'attente du poste alimentaire où personne n'osait s'adresser la parole, et qui se déployait sur différents secteurs pour rationner la population.
L'âge d'Or de l'agriculture s'était effondrée dix ans auparavant dans les cendres d'une usine pétrochimique, polluant ainsi les cours d'eau et les terres sur des milliers de kilomètres à la ronde. Toute la planète avait subi les conséquences d'une atmosphère irrémédiablement changé en smog et d'un sol en phase de devenir quasi stérile.
A peine une semaine après la catastrophe, dans le chaos et le désespoir le plus total, un industriel Marc Zléta sortait de l'ombre une nouvelle technologie, entourée de modifications génétiques et de rayonnements nucléaires qui pouvaient permettre à la fois de préserver un écosystème qui résistait tant bien dans le mal, mais permettait aussi de produire en masse une alimentation conçue en laboratoire, lyophilisée et protéinée.
D'énormes stocks étaient déjà accumulés dans d'immenses hangars souterrains et tenu au secret, prêts à l'exportation. Personne n'osa faire de lien entre la catastrophe et l'invention miraculeuse qui venait s'offrir aux survivants. L'homme richissime devenait un sauveur humanitaire, une célébrité mondiale en exportant gratuitement à chaque nation la quantité de vivres dont ils avaient besoin. Mais pour toujours le goût des bonnes choses s'était perdu dans les arômes artificiels.
La grande majorité des États avait mit en place un système de rationnement, sous couvert de vouloir venir en aide à leur population en leur imposant un contrôle sociale et policier, afin de remettre de l'ordre dans les rues pillées et mise à sac.

Ludmila avait dix huit ans et elle se souvenait encore du goût acidulé de la pomme croquée à pleine dent que sa mère lui ramenait du marché, mais aujourd'hui remplacée par le Fruitose une poudre à réhydrater, qui pouvait se recréer dans une moule sphérique pour retrouver à défaut du goût la forme du fruit.
Max lui avait vingt ans et comme a son habitude, il caressait du regard la belle inconnue dans l'attente de pouvoir à défaut de lui parler, capter son attention. Mais c'est lui qui du s'en détourner quand un homme agité, vociférant des insultes, le bouscula par l'épaule entraînant sur son passage une série de réactions. La foule amassée fut prise de panique. Cela arrivait souvent et justifiait ainsi la présence de patrouilles policières ou des milices citoyennes, armées et autorisées à faire feu pour maintenir la paix. Un choix politique discutable mais dont l'argument principale était le bien être commun jamais clairement défini.
Ludmila était elle même ballottée par la cohue finissant par se ramasser au sol alors que Max dans l'élan de ses pulsions amoureuses, fonça vers elle, la main tendue vers ses déboires tandis qu'en fond sonore, les détonations et les cris se donnaient la réplique.
La connexion entre ces deux âmes perdues fut inébranlable, malgré le chaos et la violence qui venaient de naître autour d'eux.

Elle se relevât sous l'impulsion du cœur mais surtout de son bras et les deux s'éloignèrent, chevauchant sur leur passage des corps inertes, criblés de balle. A l'abri d'un porche d'immeuble, ils reprenaient leurs souffle chargés en émotions et sans prononcer le moindre mot qui à coup sûr aurait pu trahir leur peur. Les regards se jaugeaient pour s'assurer qu'ils allaient bien mutuellement, alors que leur main commune à l'autre étaient impossible à séparer, renforçaient leur étreinte.
La séquence fut de courte durée car plus loin une vieille femme suppliait la voix éraillée de douleur les policiers en armes qui amusés par la pagaille, savataient la clocharde.
Une rage primaire venait monter aux tempes de la jeune femme jusqu'à la libérer de toutes autres émotions ainsi que du jeune homme rêvant d'être amant qui la rattrapait à chacun de ses pas, les rapprochant de la scène :

«Arrêtez! Vous voyez bien que c'est une veille femme et qu'elle est inoffensive!»

Les policiers ricanèrent tout en reculant d'un pas pour mieux aviser les deux téméraires. Max s'interposa face à l'un deux, la jugulaire tendue et la mâchoire serrée. Ludmila profita de la distraction virile pour s'agenouiller auprès de la Vieille dont le sang s'écoulait tranquillement depuis son flanc jusqu'au contre bas du caniveau. Dans un élan brutal et primitif, le policier défié abattait la crosse de son fusil au sommet du crâne de l'impétueux, qui sans crier s'effondra lui aussi à genoux sur l'asphalte.

«Sales vermines! Dégagez vos petits culs, car si on vous r'croise, on vu bute !»
Les brutes ricanèrent de plus belle en rebroussant chemin, le claquement sous leur sinistre passage retentissait dans un silence de plomb.

«O déesse mère, avec ta force et ta beauté je retourne dans ta lumière...»La vielle suffoquait, affaiblie à chaque mot qui la rapprochait de la mort alors que Ludmilla soutenait sa tête et que Max blessé à la sienne cherchait à comprimer la plaie par balle logée dans son abdomen.

«Grand mère gardez vos forces. Les secours mettent toujours un temps monstre à arriver.»
«J'ai toutes mes forces car mon voyage est encore long et le votre aussi. Les cartes ne se trompent jamais.»
Incrédules, les deux jeunes s'observaient, interrogeant leur regard face aux propos incohérents d'un futur cadavre, dont la situation leur semblait inévitable.

«...Gardez là avec vous, elle vous guidera au delà de l'obscurité...»
Elle sortait de sa main fripée une vieille carte écornée et ensanglantée qui représentait sous des couleurs vives et chatoyantes, une femme à la nudité lunaire sous un firmament d'étoiles qui se propageait le long de sa chevelure blonde. L'effort fut si extrême qu'il clôtura l'agonie de la pauvre femme, la vie quittant son corps à l'instant où Ludmila récupéra l'iconographie.
Cette mort ne leur provoqua que peu d'émotion, habitués aux drames depuis leur plus tendre enfance, l'État en faisait même la propagande: La mort vous donne la vie!

«Elle devait être folle...Allez viens, on devrait pas rester là, les balayeurs d'Âmes vides vont passer nettoyer la rue.»
Elle acquiesça en cachant d'une main nonchalante la carte au fond de son jean délavé et ensemble à nouveau ils se redressèrent. Alors que Max essuyait d'une autre main la coulée fine de sang sur son front.

«Tu as comprit ce qu'elle disait?»
«Qu'on devait rester ensemble, nan? Et bien ça m'va!»

Un sourire presque insolent venait de naître sur son visage face au regard rusé de la jeune femme.
Leur jeunesse était bien plus pure que l'air, ainsi qu'ignorante du présage qui avait été annoncé. Mais qui se soucis réellement du destin face aux renoncements du futur. Pourtant c'est avec cette rencontre, comme tant d'autres avant elle, aux multiples formes que de nouvelles possibilités se sont créées.


Fin du Chapitre


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