L'extase des lumières

je-est-un-autre

Fracasser le réel.

Et puis faudrait savoir où l'univers finit, l'infini ça m'angoisse, y a trop de galaxies, trop d'étoiles, plus que de grains de sable sur toutes ces plages qui longent la Terre, ça m'fout les boules toutes ces choses trop grandes pour moi, tous ces trucs que je ne pourrais jamais saisir, j'ai la trouille de tomber, de me perdre dans cette immensité sans fin, de me dire que mon âme est sûrement un bout de ce truc, c'est trop abstrait, c'est intouchable, insaisissable, impalpable, et pourtant ça tourne autour de toi, les atomes dans mon corps me font perdre la tête, putain d'angoisse, putain d'angoisse, je sais pas ce que c'est, je connais pas les atomes, c'est trop petit, c'est invisible, mais c'est là, dans mon cœur, dans mon sang, dans mes os, dans mon cerveau, ça tourne, ça se transforme, ça change, ça fait des trucs que je contrôle pas, je voudrais les éliminer, mais si je le fais je meurs, c'est le truc qui forme tout dans ce putain de système qui marche, qui rampe, qui court, qui dort, ce socle de l'âme pour parler à d'autres gens, voir le monde et pouvoir l'écrire, le crier, lui cracher dessus, c'est comme les mots, ça sert juste à créer un truc un peu moins abstrait, sinon, on serait tous des êtres un peu mystiques, et au fond, j'suis sûr que ça nous arrangerait pas mal, on arrêterait peut-être de s'envoyer des bombes, des insultes, des déclarations de guerre, des cendres et des fleurs fanées dans la gueule, faudrait virer les frontières, même si ça va poser des problèmes pour les équipes de foot, et qu'on arrête de penser qu'on est des dieux alors qu'on est tellement que dalle, est-ce que t'existe avant que je ne te vois, est-ce que tu es toujours quelque chose tant que je ne t'entends pas parler, tant que je ne te vois pas, si un jour je deviens aveugle, je t'en prie, tire moi une balle dans la tête, parce que déjà que là je doute, si je ne vois plus rien, j'aurais l'impression terrible d'être en train de mourir sans pour autant être mort et en avoir sûrement pour encore longtemps à vivre, vivre dans le noir, sûr de rien, ni de toi, ni du monde, ni des fleurs, ni du sable, ni des oiseaux, je finirai par perdre l'ouïe, le goût, le toucher, pour être plongé dans le néant, je comprends rien je comprends rien, personne entend le silence qui fuit de mes poumons, ils regardent ils regardent, les étoiles les étoiles, ça me fait peur, je peux plus dormir, je pense trop à elles, et je sais que le monde va tourner sans moi que la Terre s'en fout terriblement de moi, je vis pour sombrer dans l'oubli, mes empreintes dans le sable de l'existence s'effacent déjà, et même toi, un jour, tu m'oublieras, j'y pense sans cesse, au jour où tu me quitteras, ou bien quand je te quitterais, j'ai peur de ce jour, et oui, on pourra me dire que tout ça c'est futile, et que la futilité c'est un peu beau, mais j'y crois pas, moi, j'ai envie d'être là pour faire des trucs, à croire qu'il faut faire des horreurs pour qu'on se souvienne de toi, parce que personne retient le côté cool des choses, tout le monde s'en branle, on te dit juste tu vas crever et le monde te renvoie ce message chaque jour qu'il fait, tu vas mourir tout le monde va mourir tout le monde oublie, et moi de qui je vais bien pouvoir me souvenir, je suis en compétition avec chaque être de cette satané planète, c'est la lutte pour survivre et Derrida qui disait qu'il y a une violence dans la lumière, ça tape, le réel, les trucs qui brillent, qui écorchent ta rétine, j'suis à l'aise dans la nuit pourtant les conventions, la société, l'habitude me force à y dormir, mais à choisir, c'est clair que je me lèverais jamais le jour, j'ai la haine j'ai la rage contre les machines, les grattes ciel qui montent là où je ne pourrais jamais monter, chaque ordinateur chaque ebook tout ce numérique me fout la gerbe presque autant que les foules qui se pressent le matin pour rejoindre un lieu fixe où ils n'ont de cesse d'aller, ils ont pas envie d'arrêter arrêter de souffler, de transpirer, chaque corps qui me frôlent me fait atteindre un arrêt de mon système, je vois des taches noires sur les murs, sur les visages, mais dans les métros, y a des gens beaux, c'est sympa de voir des gens beaux, enfin je crois, mais qu'est ce qu'ils font du bruit, beaux ou laids, insupportable, j'entends même plus les pensées qui fourmillent en moi, tué, à coup de mots, à coup de cœur, à coup de larme, ça me défonce de tous les écouter, d'essayer de me concentrer sur ce qu'ils sont en train de parler, juste pour m'éviter, mais en même temps tous ces bruits me font espérer le retour du silence, m'endormir dans l'ineffable, le mutisme, l'imaginaire, et rouvrir les yeux, voir des trains qui déraillent sur le plafond, des fleurs exploser les yeux des gens, des créatures du folklore asiatique déployer leurs ailes en pleine ville des anneaux de Saturne aux poignets, des papillons dans leur chevelure, des poussière de lune sur leurs paupières floues, je me sens ni fille, ni garçon, je me sens rien, ce qui est un peu prétentieux quand on y pense, j'vois les âmes des gens en transparence de leur corps, j'imagine qu'ils sont noirs, des galaxies dans l'estomac, des formes qui se déforment et explosent au cœur des villes, des chimères à leurs chevilles molles qui les enchainent à la réalité sans vouloir les laisser partir, qu'est ce qui fais que je suis moi, qu'est ce que moi, suis-je le même moi que le reflet dans le miroir, le reflet dans le miroir est-il bien celui de ce monde, c'est quoi être humain, c'est quoi l'humanité, c'est si grand, beaucoup trop grand, si lourd à porter sur mes épaules, je vais céder, mon squelette ne peut pas... peut pas... je suis un squelette ou un cœur ou une âme ou une conscience ou rien ou tout ou une peur une mémoire mais je peux oublier arrêter d'avoir peur n'avoir plus de corps suis-je toujours moi qu'est ce qui reste intouchable peut pas peut pas... supporter... tout... trop de responsabilité... où... s'arrêtent mes chaines... suis-je libre suis-je emprisonné dans une cage dorée... condamné à être... moi... à être... à paraître... chimères... anneaux de Saturne... écriture qui prend vie... gens... dans le... métro... pas moi... moi... la lumière... si violente... dormir... est-ce que c'est s'éteindre du monde réel ? Est-ce que le monde des rêves n'est pas le vrai monde ? Quel monde... quel moi... quel toi... tout est trop grand... comment saisir tous les êtres au monde... c'est pas... me laisse pas... trop de choses... le sable... les grains de sable... les planètes... galaxie... là... si... proche... au fond de l'espace... les atomes... araignées sur les murs... mouches au dessus... de... la... tête... virgule qui termine une phrase... vivre ici... ou là bas... suis-je... suis... je... vrai ? »


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