L'histoire de Yann

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C'était un jour où j'étais plus motivé que les autres. Jusqu'à à peu près 14 heures, j'avais mangé deux repas sains équilibrés. M'étais résolu à faire vingt minutes, peut être trente, de marche à pied. Je les avais vu, j'avais remarqué leurs grimaces, j'avais entendu leurs sarcasmes à voix basse. Encore et encore. C' était l'hiver et pour mettre le nez dehors, il fallait vraiment le vouloir. Les gens n'avaient pas envie de me croiser, ça se sentait. Au fait, moi c'est Yann et je suis actuellement en perte de poids.





Que les gens pensent ou disent que je suis gros, je suis habitué, ils sont tellement prévisibles. Mais le jour où ma mère, ma propre mère m'a dit qu'il fallait vraiment faire quelque chose, là, ça m'a fait quelque chose. Quand je mange, j'ai du mal à m'arrêter, pain, confiture, gâteaux, chocolat, biscuits, crêpes, tout y passe, j'en ai jamais assez. Je ne supporte pas de me sentir vide, ou du moins de ressentir ce vide. Une sorte  d'état second où je me vois, en spectateur, manger tout ce que je trouve, dans n'importe quel ordre, à n'importe quel moment.


Ces habitudes que j'ai, sont tellement ancrées. Dur de se changer les idées, à la télé ils ne montrent que des gens minces, en pleine forme, très bien habillés, les yeux scintillants. En moi, tout est mort, ou bien fade, vacillant, obscur. On m'appelle au choix "le gros" ou bien "bouboule". Une fois j'ai eu droit à "Obélix". L'autre jour, alors que j'étais décidé à acquérir de nouvelles habitudes, moins manger gras, limiter le sucré, à faire du sport, le moral s'est à nouveau effondré. Les gens continuent avec leurs regards qui en disent longs. Des préjugés ou de la pitié. Alors quand je suis rentré chez moi, j'ai foncé sur le paquet de pains au chocolat. C' est plus fort que moi. Autant m'accepter comme je suis. Gros je suis, gros je resterais.



J'aurai bien aimé être comme les gens des émissions télé. Mince, les abdos visibles, le corps affûté. Ce sont les qualités numéros unes de notre temps, apparemment. Et si t'as pas ça, tu peux pas te sentir bien, alors t'es qu'une grosse merde. Et je n'y crois plus aux : "perdre 30 kg en un mois, c'est possible, la preuve". Quand chaque heure est un combat, qu'à tout moment peut survenir une envie de gâteaux, immensément forte et persistante... Faire un mois d'affilée sans un seul écart... relève de l'impossible.



J'ai encore eu "mère" au téléphone, première chose qu'elle me demande c'est combien j'ai perdu et la deuxième c'est si je continue les efforts. Eu envie de répondre, que non, que je me suis effondré, que si je continue ainsi, c'est que c'est la seule chose au monde qui peut me procurer du soutien. Forcément elle ne comprendrai pas, alors j'ai répondu, dans l'ordre : trois kilos de moins, et : oui, je continue les efforts.



Ce qu'il me reste à faire est de prendre un couteau et de couper tout ce qui dépasse. Tout ceci me fait culpabiliser à un point... Et les gens sveltes ne se rendent pas compte de leur chance. L'été suivant, je resterai encore ici, je ne pourrais jamais aller à la plage et enlever mon t shirt. Je continuerais à ruminer. Tout ceci semble mission impossible, et je n'ai pas la solution.



Quelques temps plus tard



Dans le troisième paquet de chips, j'ai trouvé un ticket gagnant de leur grand jeu marketing. J'ai gagné mon poids en chips. J'ai eu du mal à y croire. Mère m'a accompagné à leur siège social où avait la remise du prix télévisée, retransmise en direct. Tout se passait bien, bonne ambiance, quand tout à coup, j'ai entendu un employé du staff qui disait à peu près ceci, à voix basse : "avec son poids, c'est tout juste si on va pas faire faillite". Là j'ai vu rouge, je lui ai crié dessus de toutes mes forces, il n'a jamais été aussi honteux de toute sa vie. Au moment même de mon pic émotionnel, j'ai refusé leur prix si généreux, dénoncé leur mal-bouffe si facile d'accès, et me suis engagé publiquement à prouver que oui, on peut y arriver.



La vidéo a fait un carton sur le web, alors que je ne m'y attendais pas, j'ai reçu une avalanche de message positifs, de soutien, de remerciements, venus de gens de tous horizons. Et une société de remise en forme m'a offert une cure complète, avec programme personnalisé et suivi. On me réapprend le goût de l'effort physique et la manière de bien manger.



Depuis, je ne ménage plus mes efforts, je me sens investis par une mission qui me dépasse, je fais ça autant pour moi que pour les autres. C'est dur, je tiens, et je vais y arriver.


  • Un texte assez bouleversant Torpeur ... nous sommes tellement dans une société de l'image que les gens inconsciemment ou pas avec leurs propos blessants sont loin de mesurer la souffrance et la pression que subissent les gens en surpoids ... Fort bien analysé

    · Il y a presque 7 ans ·
    W

    marielesmots

  • Texte très intéressant et bien structuré qui fait vraiment réfléchir. Belle mission qui montre aussi qu'on interprète parfois mal les réactions des autres. Et quand bien même ce serait vrai, il faut faire confiance :) Bravo !

    · Il y a presque 7 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

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